Sur quoi portent les plaintes?
Quelque 217 personnes ont porté plainte, ce jeudi à Paris, dans le dossier des appareils respiratoires pour l'apnée du sommeil défectueux du groupe Philips, a annoncé à l'AFP l'avocat Christophe Lèguevaques.
Elles visent des infractions telles que tromperie, mise en danger de la vie d'autrui, pratiques commerciales trompeuses, et administration de substances nuisibles, a-t-il indiqué, confirmant une information de la cellule investigation de Radio France.
Trois plaintes concernent l'infraction d'homicide involontaire. Parmi elles, celle de Françoise Toulotte, retraitée de 65 ans, qui veut des réponses après la mort de son mari, Serge, décédé à l'hôpital de Calais le 6 avril 2022 d'un cancer généralisé.
"On lui a diagnostiqué un syndrome d'apnée du sommeil. Il a commencé à utiliser un respirateur de la marque Philips. Sa santé a commencé à se dégrader", a raconté la veuve à cellule investigation de Radio France.
"Il avait tout le temps les yeux secs, la gorge aussi, des croûtes dans le nez, des sinusites très importantes. Il s'est mis à avoir des vertiges et à voir des points noirs devant les yeux. Il répétait sans cesse que la machine allait le tuer."
"Mon mari a voulu se soigner et il a été empoisonné. J'ai besoin de savoir de quoi il est mort", a-t-elle conclu.
D'après l'avocat Christophe Lèguevaques, ces plaintes de particuliers seront les premières versées à l'enquête ouverte en juin 2022 par le pôle santé publique du parquet de Paris.
Quel est le problème avec les respirateurs Philips?
Utilisés par 350.000 patients en France et 1,5 million en Europe, les respirateurs contiennent une mousse insonorisante, qui est en cause. Philips a remarqué que des particules sortaient de certains appareils et pouvaient être inhalées ou ingérées par le patient.
Le groupe avait évoqué un risque de "maux de tête, une irritation, inflammation, des problèmes respiratoires, mais aussi des effets toxiques et cancérigènes possibles".
Mais en décembre 2022, Philips a assuré que, selon des tests approfondis, les appareils étaient "dans les limites de sécurité".
En janvier, la justice a ordonné à Philips France de communiquer un document portant sur ses appareils respiratoires, réclamé par des représentants de malades.
Mi-mai, selon des tests présentés comme couvrant la plupart des respirateurs enregistrés, l'entreprise néerlandaise a assuré qu'il était "peu probable" qu'ils portent préjudice aux patients.
Un rapport privé demandé à Laurence Huc, toxicologue et directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), vient "complètement contredire les propos rassurants de Philips", a déclaré l'avocat Christophe Lèguevaques.
"Le risque de cancer n'est pas avéré? C’est comme dire que le Mediator est un potentiel cardio-toxique mais qu'au vu des données disponibles le risque d’atteinte cardiaque n'est pas avéré", s'est insurgé un ancien directeur de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) dans un SMS consulté par la cellule investigation de Radio France.
"Bien sûr qu'il y a un risque", a certifié le Professeur Andreas Palm, qui a réalisé une étude clinique sur les respirateurs. "On a vu dans d’autres études que les molécules, qui sont émises par les appareils, peuvent provoquer un cancer. (...) C’est comme avec la cigarette. Il faut parfois attendre 35 ou 40 ans pour qu’un cancer apparaisse. Le problème, c’est que toutes les études disponibles à ce jour ont été faites sur un temps court. Sept ans et demi au maximum."
Le groupe Philips était-il au courant?
En 2021, Philips a annoncé un rappel massif de ses appareils respiratoires pour l'apnée du sommeil. Il apparaît que le groupe était au courant depuis 2008, selon l'enquête de la cellule investigation de Radio France.
"Selon des documents de la FDA, l’agence américaine du médicament, datés de septembre 2021, entre 2008 et 2017, Philips aurait reçu plus de 220.000 plaintes d’utilisateurs dans lesquelles figuraient des mots-clés comme "contaminants", "particule", "mousse", "débris"."
L'entreprise américaine fabriquant la mousse incriminée, qui ne savait pas qu'elle était utilisée à "des fins médicales", avait alerté Philips "très tôt" et avait proposé de la remplacer par une mousse alternative. Des mises en garde que le groupe aurait ignorées.
Reste-t-il des respirateurs défectueux en France?
Malgré le rappel mondial lancé en 2021, il reste un million de respirateurs non remplacés ou reconditionnés (pour remplacer la mousse), dont plusieurs milliers en France, sur les 5,3 appareils concernés, selon les données transmises par Philips.
En avril, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé avoir saisi la justice au sujet de lacunes dans le remplacement des appareils par Philips, qui s'y était engagé.
Avec cette plainte, "on apporte des informations complémentaires au parquet pour qu'il ait envie de confier l'enquête à un juge d'instruction", a souligné l'avocat Christophe Lèguevaques.
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