Près de cinq ans après la disparition de sa mère Delphine, et juste avant le procès de son père Cédric accusé de l'avoir tuée, Louis Jubillar, 11 ans, a en lui "beaucoup de colère refoulée", raconte son avocate Malika Chmani.
Dans ce dossier, examiné à partir de ce lundi 22 septembre par la cour d'assises du Tarn, Louis fait à la fois figure de victime et de témoin clé, illustrant avec sa soeur Elyah, 6 ans, la problématique des enfants pris dans l'étau des affaires violentes.
Dans la nuit du 15 décembre 2020, tous deux dormaient lorsque, selon le scénario retenu par l'accusation, leur père aurait tué leur mère Delphine, infirmière de 33 ans, puis aurait fait disparaître son corps.
Cette nuit fatidique, Louis dit s'être relevé après avoir entendu ses parents se disputer et les avoir vu s'empoigner, avant de retourner se coucher de peur d'être grondé. Son témoignage contredit les déclarations de son père, qui a assuré aux enquêteurs s'être couché tôt et avoir découvert la disparition de son épouse au petit matin, réveillé par les pleurs d'Elyah, âgée alors de 18 mois.
"Eviter toute pollution" lors du recueil du témoignage de l'enfant
Ce témoignage, Louis l'a livré en plusieurs fois, à la gendarmerie d'Albi, dans une salle Mélanie. Un dispositif baptisé du nom de la première fillette à en avoir bénéficié dans les années 1990 et conçu pour enregistrer le témoignage d'un enfant dans les meilleures conditions possibles afin de lui éviter de répéter le récit d'événements parfois traumatisants.
Le 18 décembre 2020, puis le 21 janvier 2021, Louis prend donc place dans cette salle avec un enquêteur, tandis qu'une caméra filme l'échange.
Les enquêteurs amenés à recueillir ces témoignages sensibles sont formés au Centre national de formation au renseignement et à l'investigation (CNFRI), à Rosny-sous-Bois. Ils suivent un protocole d'audition d'origine américaine, qui vise à "éviter toute pollution durant le temps d'entretien", indique Romain, psychologue formateur au CNFRI qui n'a pas souhaité livrer son patronyme.
Après une "mise en confiance", l'enquêteur passe un "contrat de communication" avec l'enfant pour s'assurer que ce dernier dira la vérité, qu'il n'hésitera pas à corriger l'enquêteur et qu'il ne répondra ni aux questions dont il ne connaît pas la réponse, ni à celles qu'il ne comprend pas.
A la fin de l'entretien, l'enquêteur conclut par une note plus légère, en évoquant par exemple les loisirs de l'enfant, pour que la victime "reparte avec une chose plus positive en tête", explique Romain.
Louis Jubillar a dû ensuite rencontrer les juges d'instruction pour une troisième déposition. "L'audition s'est faite dans de très bonnes conditions, parce que Louis a été mis en confiance", raconte Me Chmani.
Pour l'avocate toulousaine, cette accumulation d'entretiens questionne toutefois l'objectif affiché de préserver les jeunes victimes. "On dit qu'on les filme pour ne pas les faire répéter, mais on leur ment parce qu'ils se répètent très régulièrement devant des juges, des enquêteurs, un psychologue, un médecin légiste", regrette-t-elle.
Les enfants confiés à leur tante depuis l'incarcération de leur père
Après le placement en détention de Cédric Jubillar en juin 2021, une juge des enfants a été saisie. Elle a désigné un administrateur ad hoc "pour représenter les intérêts des enfants" et confié Louis et Elyah à leur tante Stéphanie, la soeur de Delphine.
Il arrive qu'aucun membre de la famille ne puisse recueillir les enfants, qui sont alors placés auprès de familles d'accueil. Pour Louis et Elyah, "heureusement qu'il y avait une famille présente et soutenante", estime leur avocate.
"Les enfants étaient déjà assez marqués, traumatisés par leur histoire. Donc, ça s'est imposé assez rapidement et ça fait l'unanimité. C'est quelque chose qui n'est pas contesté par Cédric Jubillar", ajoute-t-elle, précisant qu'une audience permet de réévaluer la situation tous les ans.
L'accusé n'a pas vu ses enfants depuis quatre ans. Il est toutefois "convoqué une fois par an chez le juge des enfants pour être tenu informé de leur évolution", a précisé à l'AFP son avocat Alexandre Martin.
Louis et Elyah, partie civile, n'assisteront pas aux audiences afin de les protéger des remous d'un procès hors normes. "Ils ont hâte, je pense, d'avoir une vérité judiciaire", confie encore Me Chmani, qui les représentera avec Me Laurent Boguet. Leur tante ainsi que l'administrateur ad hoc, elles, prendront la parole le 30 septembre.
commentaires