"On est catalogués comme des pilleurs!": avec leurs détecteurs de métaux, les détectoristes en quête de reconnaissance

La communauté de détectoristes des Alpes-Maritimes et du Var se fait discrète. Dans le viseur de la justice, elle réclame une réglementation propre au loisir.

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Margot Dasque Publié le 22/06/2025 à 07:00, mis à jour le 22/06/2025 à 07:00
Les détectoristes avancent des sessions "chou blanc" avec une majorité de déchets découverts. Photo Justine Meddah

Bip, bip, bip. "On entend qu’il y a quelque chose. Mais pour vraiment savoir, il faut déterrer." Henri (1) gratte et retrouve vingt centimes d’euros.

"Mon appareil discrimine le ferreux du non-ferreux." Ce père de famille de l’arrière-pays niçois est détectoriste depuis huit ans. Une activité qu’il a découverte sur le tas, en apprenant d’abord chez lui à manier son détecteur de métaux. "C’est intéressant, on peut trouver de tout en fait."

L’Azuréen fait partie d’une communauté pas facile à approcher. "On est discrets, on fait attention c’est vrai", reconnaît-il aisément. La raison? "Vous êtes dans la région où les utilisateurs de détecteurs de métaux passent le plus devant les tribunaux", avance Marc Méreaux à la tête de la Fédération française de détection de métaux.

Cet ancien gendarme a choisi de faire tomber l’anonymat - et d’arrêter la détection - pour défendre cette pratique. Il estime à 200.000 le nombre de personnes en France qui s’y adonnent.

"Mais les gens évitent de détecter à vue, il faut le dire. Il y a une peur parmi les pratiquants parce qu’il y a une forme de stigmatisation. On est catalogués comme des pilleurs!"

Une étiquette que regrette Christophe (1). Ce Varois officie depuis quatre ans sur son temps libre. Le plus souvent dans les domaines viticoles "avec l’accord des propriétaires, cela va de soi".

Ce qu’il trouve? "Des vieilles monnaies, des médailles religieuses, des boutons militaires, des douilles…"

Sa plus belle trouvaille? "Une pièce romaine en très mauvais état, mais j’étais comme un fou!" Son dada, c’est la quête. "C’est comme la pêche à la ligne, vous attendez, vous ne savez pas si ça va mordre, mais vous passez du temps au grand air."

Alors entendre que tous roulent sur l’or en sondant des kilomètres carrés, ça le fait rire: "J’ai investi dans un modèle d’appareil autour de 250-300 euros. Je vous le dis, il n’y a clairement pas d’intérêt financier. Ma découverte la plus chère doit valoir 10 euros, maximum!"

Ils retrouvent les objets perdus

Les détectoristes avancent des sessions "chou blanc" avec une majorité de déchets découverts. "Une fois sur dix vous trouvez quelque chose d’intéressant. Et quand je dis intéressant, c’est autre chose qu’une canette ou un bout d’aluminium", résume ce père de famille de 50 ans. "Des morceaux de ferraille, de plomb, oui j’en ramasse à chaque sortie", complète Laurent.

Lui œuvre dans les Alpes-Maritimes, le long du littoral sur la plage et dans l’eau.

Il a rejoint les 1.500 détectoristes de la communauté "Drop" (2), spécialisée dans la recherche d’objets perdus sur demande. Grâce à cela, il a pu notamment retrouver l’alliance égarée d’un jeune marié polonais en vacances à Nice ou encore la chevalière d’un agent immobilier tombée à l’eau: "C’est toujours beaucoup d’émotion de restituer un bien. Le plus souvent, ils n’ont aucune valeur pécuniaire, mais une forte dimension sentimentale. Je me souviens d’avoir retrouvé en Italie le bijou d’un monsieur appartenant à son père décédé. Quand on lui a rendu, il était vraiment bouleversé."

"L’opération est 100% bénévole, on met gratuitement notre savoir-faire à disposition du grand public", précise Olivier, 58 ans, qui a cofondé le groupe Facebook "Drop" depuis un an. Bilan: une centaine d’objets récupérés par leurs propriétaires. "On a un taux de réussite autour de 50-60%. Les personnes nous contactent sur la page et une annonce est lancée."

Mais attention, des précautions sont prises: "Il n’est pas question de dire qu’on a perdu un diamant sur telle plage précisément. On ne peut pas répondre de chaque personne qui nous suit, alors nous ne voulons pas donner trop de détails. Si quelqu’un peut intervenir dans le secteur, il est mis en contact avec la personne et ils se rejoignent pour mener la recherche ensemble."

Le tout, en ayant en possession une autorisation "de la personne qui nous demande de mener la recherche, de la mairie…" pour éviter tout "embêtement".

Parce qu’on y revient: cette communauté marche sur des œufs.

Pour la Drac, des "pertes et dégradations"

En face, la Direction régionale des affaires culturelles Paca veille au grain. Françoise Trial, la conservatrice régionale de l’archéologie adjointe, fait savoir: "L’utilisation de détecteurs par des personnes non autorisées ne disposant pas de compétences en matière d’archéologie entraîne une perte systématique d’informations et des dégradations des sites archéologiques."

La position de l’institution est claire: "Mettre au jour des vestiges sans prendre en compte le contexte de leur découverte, c’est priver la recherche des informations qui auraient permis de restituer l’histoire des hommes et de leur relation avec leur environnement."

Marc Méreaux ne veut pas tomber dans l’angélisme: "Oui il y a des sites archéologiques qui sont pillés c’est une réalité et c’est un scandale! C’est un manque de respect pour le travail des archéologues, c’est un vol du patrimoine. Seulement, les 3/4 du temps lorsqu’on entend parler de pillage, c’est tout simplement un péquin qui se promène avec un détecteur à côté de chez lui un dimanche matin!"

Pour Marc Méreaux, ce qui coince, c’est le manque d’un encadrement dédié à la pratique de loisirs.

"Qu’il soit législatif ou réglementaire, nous souhaitons un texte qui indique que l’usage du détecteur de métaux à des fins récréatives n’entre pas dans le cadre des recherches archéologiques."

Car à l’heure actuelle, il faut se référer à l’article 542-1 du Code du patrimoine: "Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d’objets métalliques, à l’effet de recherches de monuments et d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche."

Jusqu’à sept ans de prison

Au niveau pénal, les personnes encourent jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende. Une sanction que connaissent les prévenus présentés devant les tribunaux, récemment ceux de Grasse – pour une interpellation à Séranon – ou encore de Draguignan – dans une affaire de revente d’objets au Lavandou sur Leboncoin.

"Depuis des siècles des gens ont perdu des objets dans les champs, dans les bois. Ce ne sont pas pour autant des sites archéologiques", nuance Marc Méreaux qui s’attriste de voir ce hobby "criminalisé".

Selon lui c’est d’ailleurs cette politique répressive qui nuirait à l’enrichissement du patrimoine connu. "Si vous trouvez quelque chose, vous devez le déclarer. Vous vous rendez à la mairie du lieu de découverte pour ce faire. Ensuite la mairie prévient la Drac. Mais même si vous n’avez rien ramassé vous pouvez faire l’objet de poursuites! Alors à votre avis que font les gens?"

La conclusion tombe sous le sens: "Voilà ils ne déclarent pas. Imaginez le nombre d’objets qui n’ont pas pu être étudiés par les gens compétents!"

Le spécialiste avance la politique britannique à travers le Treasure Act, texte qui permet à l’inventeur [NDLR. celui qui découvre l’objet] de se faire connaître auprès des musées nationaux et de revendre l’objet aux instances culturelles si elles sont intéressées. "Cela a permis depuis presque trente ans d’inventorier 1.800.000 objets!" Il balaie l’idée de l’appât du gain: "Nos détracteurs avancent l’idée que l’on fait tout cela pour l’argent.

Certes, il y en a qui détectent pour se faire trois sous. Mais la majorité des détectoristes sont des collectionneurs qui seraient ravis de voir leurs trouvailles exposées. Tant que l’on reste considéré comme des délinquants, cela n’est pas près d’arriver, malheureusement…"


1. À leur demande, les prénoms ont été changés dans un souci d’anonymat.

2. Sur Facebook: DROP Détectoristes en Recherche d’Objets Perdus.

Photo NM.

"Ma maison a été perquisitionnée"

Michel partait détecter tous les vendredis. Mais ça, c’était avant. Avant la procédure judiciaire qui lui vaut d’avoir stoppé net son activité de détectoriste. Depuis deux ans, ce septuagénaire qui réside dans l’arrière-pays niçois attend les suites de l’affaire le concernant.

"Cela faisait quinze ans que je pratiquais quand ça m’est arrivé", indique ce commandant de police nationale à la retraite. Il raconte le jour où tout a basculé, dans une commune du secteur de Valberg. "Avant de faire quoi que ce soit, je suis allé à la rencontre du maire concerné pour savoir s’il y avait des zones protégées. Il m’a autorisé à aller sur certaines parcelles municipales et j’ai obtenu l’accord de propriétaires pour aller chez eux."

C’est sur la propriété de l’un d’entre eux qu’il va réaliser une découverte peu commune.

"Mon appareil sonne, je trouve quatre, cinq anneaux en bronze, et un os. Le tout, enterré à une dizaine de centimètres de la surface. Je ne touche plus à rien, je mets à l’abri ce que j’ai trouvé. Évidemment, je laisse tout sur place."

Le doute ne dure pas longtemps: il s’agit bien d’une sépulture. "Une tombe celte, probablement celle d’un chef de tribu." Il prévient le propriétaire, le maire.

Et la Drac est mise au courant.

"Je voulais rester anonyme dans cette histoire, je savais que je pouvais avoir des ennuis…" Et à raison.

Auditionné par les gendarmes, il a vu sa maison perquisitionnée. "Ils n’ont rien saisi, si ce n’est mon détecteur qui m’a été rendu par la suite. Je garde dans une boîte les choses qui m’intéressent: principalement des montres à gousset et des anciens briquets à essence. Rien d’archéologique donc."

Convoqué par le délégué du procureur de la République de Nice, il a refusé de signer le procès-verbal de composition pénale: "Cela revenait à reconnaître ma culpabilité. Mais je n’ai commis aucune infraction!"

Après trente-sept ans de carrière à porter l’uniforme, il accuse le coup. "Ne comptez pas sur moi pour pointer du doigt les forces de l’ordre, la justice, les archéologues. Mais c’est ubuesque de se retrouver dans une telle situation. Cela pousse à ne rien déclarer, c’est certain! Et quel dommage quand on sait ce qu’il est possible de trouver…"

"La pratique loisir n’est pas reconnue"

Alexandre Dumont-Castells a un CV peu commun: à la fois maréchal des logis-chef de la gendarmerie nationale et docteur en archéologie de l’Université d’Aix-Marseille.

Dans la région Paca, 75 gendarmes référents archéologie sont à pied d’œuvre - sans compter la gendarmerie maritime de Méditerranée à Toulon.

Comment est défini le matériel archéologique?

Il n’y a pas de dates arrêtées. On se réfère à l’article L510-1 du Code du patrimoine: "Constituent des éléments du patrimoine archéologique tous les vestiges, biens et autres traces de l’existence de l’humanité, y compris le contexte dans lequel ils s’inscrivent, dont la sauvegarde et l’étude, notamment par des fouilles ou des découvertes, permettent de retracer le développement de l’histoire de l’humanité et de sa relation avec l’environnement naturel."

Quelles missions assurent les forces de l’ordre face aux détectoristes?

Il n’y a pas de mission type qui vise ces utilisateurs. Nos missions de patrouilles quotidiennes pour prévenir, dissuader et lutter contre les cambriolages s’appliquent aux cambriolages immobiliers, qui visent les sols. Soit l’archéopillage visant à extraire illégalement des objets archéologiques, des minerais ou des fossiles. D’ailleurs nous constatons actuellement une recrudescence de vols de fossiles.

Dans quelles circonstances les contrôles ont-ils lieu?

Toujours dans le cadre de la flagrance. Il est rare qu’on intervienne sur un site classé ou inventorié. Ce sont plutôt des endroits proches, des ruines, des chemins anciens. La majorité du temps les gens n’ont pas d’autorisation officielle.

Que trouvez-vous lors des perquisitions?

On peut trouver des monnayeurs complets corrodés, des dés à coudre, des balles de mousquets à plomb, des fibules, des anneaux, des tessons de céramique antique… On peut faire de belles découvertes comme des monnaies Triens de Banassac qui peuvent coûter 8.000 euros pièce. Et c’est là que se pose le problème: certains amassent puis s’intéresser à la collection et vont ainsi échanger, acheter et vendre sur des plateformes en ligne. Là, on verse dans le trafic.

Je découvre une poterie ancienne sur un terrain, que dois-je faire?

Si vous vous promenez et qu’un sanglier a retourné le sol: vous avez juste à signaler les faits à votre mairie. Ça m’est arrivé d’aider un viticulteur à déclarer une stèle funéraire romaine découverte après un labour! Par contre, si vous réalisez cette découverte avec un détecteur de métaux, vous êtes en infraction. Même si vous êtes de bonne foi et que vous cherchiez une pièce agricole pour un agriculteur! Et si vous avez une autorisation du propriétaire du terrain qui indique qu’il vous laisse les objets trouvés en dédommagement, cela peut relever d’une infraction au code du travail…

Je découvre une amphore dans mon jardin, que dois-je faire?

Si vous l’avez découverte en jardinant ou que votre chien l’a déterrée, vous ne pouvez pas être inquiété pénalement. Si vous avez acquis votre terrain avant la loi LCAP du 7 juillet 2016, la découverte vous appartient. La Drac a un droit de préemption de cinq ans pour étude. Si l’État souhaite récupérer votre amphore, on va vous proposer une somme que vous êtes libre ou non d’accepter. Si vous refusez, rien ne vous empêche de la vendre à quelqu’un d’autre. Mais si vous avez acquis votre terrain après la loi, l’amphore revient à l’État.

Qu’est-ce que je peux faire avec mon détecteur sans avoir d’ennuis?

La ligne rouge, c’est creuser les sols. Sur votre terrain vous pouvez organiser une chasse au trésor en ayant pris vos précautions auprès de la Drac – à savoir si cette parcelle ne présente pas d’intérêt archéologique. Vous cachez vous-même les jetons: sous une couche végétale ou directement dans la végétation en surface. Là, vous êtes en limite de la législation.

C’est très limité…

Les utilisateurs que l’on rencontre regrettent de ne pas avoir été sensibilisés justement. On leur véhicule une image de flou juridique. Mais la pratique de dépollution ou de loisir n’a aucune consistance juridique. Donc il y a tout à faire: aux pratiquants de proposer une loi pour définir leur pratique ludique. Tous les détectoristes ne sont pas des délinquants. On peut faire un parallèle avec la structuration du tir avec une fédération, des clubs, la réglementation des armes… Avant on tirait à la carabine dans le jardin des grands-parents sur des conserves! On pourrait imaginer que le code du sport régisse cette pratique, avec des endroits circonscrits. 

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