"Ma Mère, ma Mère, Madame Delaur est morte!" à l’hospice des sœurs de la charité à Vence, la sœur Odette alerta la Mère supérieure de l’établissement sur le décès d’une résidente. On était le 22 septembre 1905. L’hospice se trouvait en contrebas de la ville, au début de la rue Saint-Michel. L’établissement n’existe plus. Reste une vieille porte en pierres donnant sur la rue Colonel Meyere. Dans ce genre d’établissement, la mort, hélas, était fréquente. La Mère supérieure leva à peine les yeux et demanda: "Quel âge avait-elle, cette Madame Delaur? – 68 ans, ma Mère, – Oh, ce n’est pas vieux! Eh bien, prévenez la famille. – Mais vous savez bien qu’elle n’en a pas! – Pas de mari? – Non, ma Mère. Elle était veuve... sans un sou... Vous souvenez-vous? On l’avait recueillie, affamée. – Alors, essayez de retrouver des proches. Par la Préfecture, peut-être..." Les recherches commencèrent.
Ruinée par son mari
Madame Delaur avait épousé en secondes noces, dans les années 1880, un négociant en vins de Marseille - un joueur, un amoureux des tapis verts de Monte-Carlo. Il avait dilapidé tout son argent, avait vidé les coffres, perdu les bijoux. Il s’était ruiné au casino de Monte-Carlo, au milieu des têtes couronnées, des grands-ducs russes. Et elle, Madame Delaur, s’était tue, avait subi. Elle avait suivi son mari à Vence où ils s’étaient installés.
Au bout d’un mois, alors que le cercueil de Madame Delaur avait été mis à l’écart, on finit par retrouver un descendant de la famille de son premier mari, qui résidait à Versailles. Ce premier mari, qu’elle avait épousé en 1860, était un certain Galli, sculpteur de son état. Elle-même était la fille de Claude Marié de l’Isle, ténor d’opéra. L’association de ces deux noms, Galli et Marié finit par rappeler quelque chose à quelqu’un qui s’y connaissait en matière d’opéra. Il se souvenait que le rôle-titre de Carmen avait été créé par une certaine Célestine Galli-Marié.. Y avait-il un rapport avec cette défunte?
C’était elle, en effet! On venait de retrouver la première interprète de l’opéra le plus célèbre au monde.
Une création sous les huées
C’est sous les huées qu’elle avait créé ce rôle le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique. Les critiques avaient été féroces. Les bien-pensants s’étaient insurgés. Le Journal des débats avait écrit: "Quel abominable! Souhaitons que les dragons et toréadors qui entourent cette demoiselle la bâillonnent et mettent un terme à ses coups de hanche effrénés en l’enfermant dans une camisole de force!"
Le journal L’Art musical avait renchéri: "Cette bohémienne de mauvais genre est une créature abjecte qu’il fait mal à voir et il faut dire que l’interprète Madame Galli-Marié, en a encore exagéré la puanteur; les gestes de l’actrice suent le vice et sa voix rauque par moments a quelque chose de si trivial, de si horrible, de si repoussant qu’on éprouve le besoin de ne plus voir la comédienne, de ne plus entendre la chanteuse."
Malgré les mauvaises critiques, les représentations de Carmen continuèrent jusqu’au 3 juin 1875. Ce jour-là, Célestine Galli-Marié eut un malaise au moment où, au deuxième acte, tirant les cartes, elle tomba sur celle de... la mort. À ce même moment, le compositeur de l’opéra, Georges Bizet, mourait subitement à l’âge de 36 ans.
Une femme effondrée
Toute sa vie, Célestine Galli-Marié fut hantée par le souvenir du décès brutal du compositeur pendant qu’elle était en pleine représentation de son opéra. Elle continua néanmoins à jouer cet ouvrage pendant vingt-cinq ans. En 1890, à 53 ans, elle le reprit une dernière fois à l’Opéra-Comique de Paris. À ses côtés se trouvaient deux immenses vedettes, la cantatrice Nellie Melba dans le rôle de Micaela et le ténor Jean de Reszké dans celui de Don José.
Lorsqu’elle quitta son métier, Célestine Galli-Marié fit tout pour qu’on l’oublie. À un journaliste qui, un jour, la croisa dans la vallée de la Vésuvie et la reconnut, elle répondit: "Galli-Marié n’existe plus et Madame Delaur ne chante pas!" C’est ainsi que lorsque la mort vint frappée à sa porte, l’étoile avait laissé la place à une femme effondrée.
Après que des membres de sa famille ont été retrouvés retrouvés à Versailles, le corps de Célestine Galli-Marié fut ramené à Paris et enterré au Père Lachaise.
Voir l’opéra
Deux séries de représentations de l’opéra Carmen vont avoir lieu à Nice et à Antibes, dans une mise en scène de Daniel Benoin, directeur du théâtre Anthea à Antibes, qui transposera l’action dans l’Espagne franquiste du milieu du XXe siècle. L’interprète du rôle de Carmen, créé par Célestine Galli-Marié, sera l’une des meilleures de sa génération: Ramona Zaharia. Deux artistes de notre région à la carrière internationale seront au sommet de l’affiche, le ténor monégasque Jean-François Borras, dans le rôle de Don José, l’amoureux tragique de Carmen, et le chef d’orchestre niçois Lionel Bringuier. Rencontre avec les artistes le 27 mai à 18 heures au Théâtre de l’Artistique à Nice.
À l’Opéra de Nice: 28, 30 mai et 3 juin à 20h, 1er juin à 15h
À Anthéa à Antibes: 11 et 13 juin à 20h, 15 juin à 16h30.
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