Après Bruxelles et Paris, quelles solutions pour prévenir les attentats?
Quand la France parle répression et emprisonnement à perpétuité réelle, d’autres pays ont choisi de traiter le mal en amont: renseignements croisés, reconnaissance faciale, checkpoints aux abords des aéroports...
Guillaume Bertolino, Eric Galliano, Aurore Malval, Caroline AnsartPublié le 28/03/2016 à 11:02, mis à jour le 28/03/2016 à 11:02
NEC
Réformer le renseignement
Quand la collecte d’informations est de qualité mais pas son analyse, on peut en arriver à des situations de crise comme celles que vient de connaître la Belgique à propos du suivi de deux terroristes. Mais Alain Bauer, professeur en criminologie, dédouane: "Il n’existe aucun pays à savoir faire du contre-terrorisme. Le seul service antiterrorisme au monde, est celui de la police de New York".
Là où le 11 septembre a été vécu comme une trahison. "Ils sont donc partis de rien pour créer un outil opérationnel et fonctionnel qui devait répondre à ce que les services de renseignements traditionnels (CIA, FBI) n’avaient pas su. Comme ils n’ont pas la culture du contre-espionnage, ils partagent, ils échangent.Ils ont investi sur les analystes et notamment les analystes extérieurs autour de l’idée d’un outil mixte, opérationnel et conceptuel".
La méthode donne des résultats. "Ce qui ne marche pas c’est ce que nous continuons à faire dans tout l’occident : du contre-espionnage qui fait semblant de faire de l’antiterrorisme. À ceux qui disent que ça ne peut pas marcher, je dis que le problème n’est pas structurel, n’est pas individuel, il est culturel."
Il faut infiltrer les réseaux. Si on n'est pas dedans, on ne saura jamais ce qu'ils préparent
Pour un policier qui fut en poste à Tel-Aviv, "le PNR que l’Europe n’arrive pas à mettre en place existe depuis des années en Israël. Les services savent exactement qui est sur les listes de passagers. Ça leur permet de travailler en amont. L’important est d’identifier la menace le plus tôt possible. Et pour cela la technologie n’y peut pas grand-chose, l’important c’est le renseignement. Il faut revenir au renseignement humain et infiltrer les réseaux comme cela se fait en Israël. Parce que si on n’est pas dedans on ne saura jamais ce qu’ils préparent."
Checkpoints et contrôles multiples dans les aéroports
Une route sinueuse qui va en se rétrécissant, barrée de plusieurs checkpoints. En Israël, atteindre l’aéroport Ben Gourion en voiture n’est pas une sinécure.
"Cet aéroport est l’un des plus sûrs au monde et pourtant il n’y a pas un militaire dedans", affirme un policier longtemps en poste à Tel-Aviv.
Pas un militaire, mais des gardes de sécurité privée qui surveillent tous les accès, sans hésiter à interroger les passagers. Les techniques de profilage y sont très développées. Discriminatoires et controversée, elles ont, selon le professeur en criminologie Alain Bauer, fait la preuve de leur efficacité: "En Israël, il y a beaucoup de physionomistes dans l’aéroport qui observent les comportements atypiques. Par exemple les gens qui voyagent ensemble mettent beaucoup de bagage sur un seul chariot et pas une valise sur chaque chariot [comme le montre la photo des trois terroristes de Bruxelles, NDLR]. Quand vous avez des gens avec un seul gant, c’est plus surprenant que deux…"
Des agents du renseignement, habillés en civil, patrouillent aussi. Pour réduire encore les risques d’infiltration, des contrôles sont également pratiqués par des agents israéliens depuis des aéroports étrangers juste avant l’embarquement des vols vers Tel-Aviv de la compagnie israélienne El Hal.
Tel-Aviv n’est pas le seul aéroport à être protégé avant l’étape de l’embarquement. D’autres pays ont opté pour des contrôles dès l’entrée des aérogares, comme l’Algérie ou le Maroc.
À Alger, il faut passer par les rayons X avant d’accéder à l’aérogare.
À l’aéroport Mohammed V de Casablanca, pour accéder aux terminaux, en plus des portiques de sécurité, les bagages sont aussi scannés aux rayons X. Des hommes armés observent soigneusement les entrants sur leur passage, lequel est balisé et borné par des barrières métalliques.
Au risque de déplacer la menace. Par exemple dans les bus qui mènent à l’aéroport. "Il ne vous aura pas échappé qu’il n’y a eu qu’un mort au Stade de France et pas 500. Il faut faire des choix, rétorque Alain Bauer. Le choix du moindre coût pour la meilleure efficacité. Je préfère un mort et trente blessés que 500 morts et 800 blessés. C’est vrai. Je préfère zéro mort, il n’y a aucun doute. Mais comme je sais ce qui est impossible, j’essaye de me rapprocher du moindre risque."
Des portiques à l’entrée des centres commerciaux
La Turquie, cible de nombreux attentats ces dernières années, a équipé bon nombre de ces centres commerciaux de portiques de sécurité, là aussi installés dès l’entrée.
Compartimenter la menace
Alain Bauer martèle le "concept général de sûreté" défini par Vauban et bien avant lui, Sun Tzu, dans l’Art de la Guerre: "périphérie, périmétrie et compartimentage".
Il définit ainsi les trois notions: "Périphérie: sécuriser le plus loin possible pour être au courant le plus vite possible d’une intrusion. Périmétrie: parce qu’il faut très rapidement savoir ce qui est en train de se passer et augmenter le niveau de sécurité sur le point le plus important. Compartimentage: une fois que vous avez perdu votre salle de bain, vous n’êtes pas obligé de perdre votre chambre à coucher."
Des principes qui, selon lui, ont été déconstruits en Europe, "depuis les années 1970 lorsque nous avons décidé qu’il était indispensable de s’ouvrir sur le monde. Aider l’interconnexion, augmenter la fluidité, la rapidité et la rentabilité. Et vivre dans l’univers merveilleux du Bisounours". Comment revenir en arrière?
Développer la reconnaissance faciale
La reconnaissance faciale, déjà utilisée dans d’autres pays (Australie et Nouvelle-Zélande depuis les années 2000), pourrait bien débarquer en France bientôt. Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve s’y est dit favorable lors d’une interview sur France2, au journal de 20 heures en début de semaine.
"Ce sont des moyens sur lesquels travaillent nos services et nous n’hésiterons pas à employer les moyens humains et les moyens de la technologie pour renforcer la sécurité", a-t-il déclaré. Son principe : comparer des visages filmés avec des bases de données.
Cette technologie futuriste largement répandue dans les films et séries télé fait l’objet de recherches très sérieuses depuis bientôt dix ans, par plusieurs entreprises à travers le monde. Madrid en a déjà équipé sa gare routière, la Russie s’en est servi lors des Jeux Olympiques de Sotchi et les Japonnais l’envisagent pour les JO de Tokyo en 2020.
L’entreprise NEC a annoncé qu’elle allait équiper quatorze aéroports au Brésil.
Importer la reconnaissance faciale en France impliquera néanmoins la levée de barrages éthiques, avec notamment un accord préalable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Analyse comportementale: logiciel vs agents
En décembre, la SNCF a annoncé expérimenter un logiciel d’analyse comportementale. A terme, il pourrait être intégré à ses 40.000 caméras de surveillance.
La technologie est basée "sur le changement de température corporelle, le haussement de la voix ou le caractère saccadé de gestes qui peuvent montrer une certaine anxiété", a expliqué le secrétaire général de la SNCF à l’AFP.
Outre la compagnie ferroviaire, des spécialistes de la sécurité aérienne du monde entier se penchent aussi sur la question. Mais les experts réunis à Barcelone après les attentats de Paris semblent davantage miser sur les yeux affûtés des agents.
"Un comportement seul ne suffit pas. C’est la somme de petits détails", confiait à la Tribune de Genève Ruben Jiménez, chef de la sécurité de l’aéroport de Cointrin (Genève).
La clé selon lui : être plus imprévisible. "Je ne dois pas savoir si je vais être interrogé, passé au détecteur d’explosifs, faire l’objet d’une fouille…"
Les logiciels d’analyse comportementale sont aussi critiqués par d’autres professionnels, comme Matthieu Marquenet, l’un des patrons de Smart-me Up, entreprise spécialisée dans les logiciels de reconnaissance faciale. "On ne sait pas si une personne qui veut commettre un attentat est stressée. Si ça se trouve, absolument pas!", a-t-il répondu à l’AFP.
Lever les obstacles financiers et administratifs
Selon un enquêteur niçois en activité: "Il y a un problème de moyens. À chaque fois que je veux identifier un numéro de téléphone l’opérateur me facture 5 €. Sur une enquête de six mois je peux avoir jusqu’à 6.000 numéros à identifier. La facture pour la collectivité est de 30.000 €, juste pour reconstituer l’environnement téléphonique d’un suspect. Est-ce que c’est normal? Je ne pense pas que le France Telecom américain se permette d’envoyer une facture au FBI lorsqu’il lui présente une réquisition judiciaire. C’est pareil pour les banques. Elles mettent entre 3 mois au mieux et parfois plus d’un an à répondre à nos réquisitions. Si je veux identifier le destinataire d’un virement suspect, il va falloir que je patiente des mois. Comment voulez-vous que l’on soit efficace?"
Mettre les terroristes sur la paille
"Pour être efficace il va falloir aussi que l’on se dise les choses, même si ça n’est pas politiquement correct. On sait qu’une partie de l’argent qui alimente ces réseaux provient des quêtes dans les mosquées. Ce n’est pas être raciste que de demander que soient mis en place des systèmes de collecte transparents et contrôlés pour ces dons. Car l’argent c’est toujours le nerf de la guerre. Pour venir à bout des terroristes il faut les mettre sur la paille, là-bas comme ici. C’est comme pour les armes qu’ils utilisent. On sait qu’il y a des kalach dans les quartiers. Pourquoi est-ce qu’on ne profite pas de l’État d’urgence pour faire le ménage?"
Des scanners corporels
AFP.
De nombreux pays en ont déjà équipé leurs aéroports (Etats-Unis dès 2010). Considérés comme plus efficaces et moins intrusifs que les fouilles au corps, les scanners corporels détectent tout type de matériaux sous les vêtements : métalliques et non métalliques, liquides, plastiques, poudres, céramiques, ainsi que tout type d’armes, explosifs, drogues, argent, papiers...
En France, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a autorisé plusieurs aéroports, dont Nice, Toulouse et Lyon, à en expérimenter à travers le programme Vision Sûreté, qui comprend aussi des analyseurs de chaussures qui éviteraient aux passagers de se déchausser.
Des essais ont déjà été effectués à Nice tant pour le scanner que pour les chaussures. Mais les préconisations opérationnelles ne seront arrêtées que début 2017.
Hadda Touati, est consule d’Algérie à Nice: "L’Algérie a connu le terrorisme bien avant la France. Elle en est venue à bout. Pour partager son expérience l’Etat algérien a édité un petit livre blanc. Cela passe par des mesures politiques et judiciaires, mais aussi éducatives, économiques et sociales. Il faut toucher à l’ensemble des conditions de vie."
Il faudra au moins 10 ans
"Pour changer les mentalités françaises il faudra au moins 10 ans. Cela passe aussi par l’éducation, explique un policier longtemps en poste en Israël. Il y a par exemple des cours de sécurité dans les écoles. On n’y prêche pas la haine de l’autre mais on apprend, par exemple, comment rejoindre les abris en cas de tirs de roquettes. ça imprègne les populations. Ça permet de faire évoluer les mentalités. ça permet d’imposer ensuite des réglementations à certaines corporations, aux lobbys. Ce qui compte c’est l’esprit, la conscience de la communauté nationale. Il faut accepter une petite restriction de nos libertés individuelles pour garantir notre sécurité. Israël l’a accepté dès 1948 au-delà de tous les clivages politiques."
Pour cet policier, en poste à Kaboul et Islamabad: "C’est avant tout sur les esprits que l’on doit travailler. Il faut les empêcher de devenir fous. Au Pakistan, il y a des écoles de déradicalisation qui fonctionnent assez bien. Mais, parce qu’on ne se contente pas de combattre les idées radicales, il y a tout un suivi après. Les participants recevaient par exemple un petit pécule pour ouvrir une boutique ou on leur trouvait un emploi. Du coup ils sortaient de là avec un avenir et c’était plutôt efficace."
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