Quentin Ravelli est chercheur en sociologie au CNRS au Centre Maurice Halbwachs. Il travaille sur les crises économiques et politiques, et s'intéresse particulièrement aux luttes sociales. Co-auteur notamment de Les Gilets jaunes. Une révolte ambivalente (2024), il a décrypté pour Nice-Matin le mouvement de blocage qui se prépare pour le 10 septembre.
Le mouvement est à l'origine souverainiste, proche de l'extrême droite et complotiste. Comment peut-on le définir maintenant qu'il a pris de l'ampleur ?
Il est difficile à définir avant qu'il n'ait lieu, comme pour les gilets jaunes, où on avait du mal à évaluer la teneur avant le début des mobilisations. C'est un mouvement composite, avec des syndicats ou des groupes politiques qui s'y retrouvent, des Gilets jaunes qui sont intéressés et d'autres qui passent à côté. A partir du 10 septembre on verra peut-être des syndicats ou des groupes politiques s'en rapprocher ou au contraire s'en éloigner.
Le profil type d'un adhérent au mouvement est-il l'ancien gilet jaune ?
La comparaison entre les deux mouvements n'est pas évidente. Les revendications sont moins marquées politiquement ou idéologiquement pour le 10 septembre. On ne retrouve pas le même maillage du territoire que pendant les gilets jaunes, avec les ronds points bloqués par exemple. Il y a donc une plus grande incertitude quant aux mobilisations. Et il n'a y a pas de profil type, c'est ce qui rend ce mouvement intéressant. Il est à la fois plus clair politiquement, avec La France insoumise qui appelle à suivre par exemple, et en même temps avec un spectre politique plus large. Il n'y a pas un groupe en particulier qui se retrouve dans les revendications, comme c'était le cas avec les gilets jaunes, où les artisans ou auto-entrepreneurs avaient les mêmes revendications sur les taxes. Mais ils s'accordent autour de points plus généraux, comme la suppression des jours fériés.
Pourquoi le mouvement se revendique "citoyen" ou encore "apartisan" politique ?
C'est un flou stratégique d'éviter les marqueurs identitaires, pour que tout le monde s'y retrouve. Les revendications sont économiques, donc des habitants d'un même village qui votent différemment depuis 20 ans peuvent s'accorder, parce qu'on parle de budget, ce qui est important pour eux.
Alors pourquoi La France Insoumise a-t-elle décidé de soutenir le blocage, selon vous ?
Je pense qu'ils essaient de prendre les devants. La mobilisation des gilets jaunes a été massive et a regroupé des classes populaires qui, souvent, ne se mobilisent pas (artisans Poujadistes, précaires). Mais ces alliances ont été des détonateurs de mobilisation hors de ce cadre, et beaucoup de partis et de syndicats ont regretté de ne pas appeler à la mobilisation plus tôt. D'autant plus que, au fur et à mesure, la mobilisation s'est gauchisée.
Le mouvement est-il voué à être reconduit ou pérennisé ?
Il se peut que ce soit un gros coup, une fois, sans s'inscrire dans la durée. Cela prendra de l'ampleur si les gens reviennent, comme pour les gilets jaunes. La question va être de savoir s'ils auront envie de refaire de grosses mobilisations, sachant que pour beaucoup d'anciens gilets jaunes les résultats ont été une déception.
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