"Parfois c’est quelques pièces, des fois même rien": les pourboires victimes de la crise et de la volonté du gouvernement de les taxer

Consommation Si la générosité diffère selon les clients, le pourboire reste un vrai plus pour les salariés. La profession se bat pour maintenir l’exonération fiscale et sociale.

Article réservé aux abonnés
Margot Dasque Publié le 28/07/2025 à 07:00, mis à jour le 28/07/2025 à 07:00
Depuis le 1er janvier 2022, les pourboires peuvent bénéficier d’une exonération de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu. Photo istock

Le cochon tirelire ne fait pas de gras. Lorsque la question de la hauteur des pourboires est évoquée devant les professionnels du secteur, beaucoup font une drôle de moue.

"Ce n’est pas comparable aux saisons précédentes", résume Samantha en train de déplier une table sur la terrasse d’Oscar, rue Masséna à Nice.

La responsable " du matin " argumente: "On sent que les clients font particulièrement attention à leur note. Ils regardent les prix en détail, même pour des boissons comme des bières. D’ailleurs ce n’est pas générationnel. On avait coutume de dire que les plus âgés détiennent le pouvoir d’achat, mais ça ne veut plus rien dire désormais." Pour autant, il ne faut pas faire de généralités: "Bien sûr, il y a toujours des gens qui se font plaisir! Mais en moyenne, il y a moins de propension à laisser un plus pour le service. Parfois c’est quelques pièces, des fois même rien. Alors qu’ils repartent contents."

Avec ses 14 ans d’expérience dans le métier, elle avance: "Il ne faut pas oublier que venir en vacances ici est devenu vraiment cher. Une fois que les gens ont payé leur hébergement, ils surveillent leur budget sur les à-côtés."

Et le bonus pour les serveuses et serveurs en fait partie.

"C’est comme si je devais payer une taxe sur un cadeau"

Malgré tout, lorsqu’il est question de mettre fin à l’exonération des cotisations et contributions sociales des pourboires au 1er janvier 2026, on entend les dents grincer au-dessus des plateaux.

"C’est une bêtise", s’exclament en chœur Amandine et Eddy du Grand Café des Fleurs, cours Saleya: "C’est un plus non négligeable au salaire. Ce serait injuste de devoir payer des impôts là-dessus, c’est une forme de cadeau. C’est comme si je devais une taxe pour les jouets que m’a offerts ma mère à mon anniversaire!"

De son côté, Leah Van Der Mije voit d’un mauvais œil cette nouvelle. À la tête de la cave et bar à vins Leah Wine à Tourrettes-sur-Loup, elle pense à ses équipes: "C’est une réelle source de motivation pour eux. Rien que hier soir, une table leur a laissé 50 euros en partant. Cela permet d’améliorer le quotidien. À l’heure où l’on peine à recruter, c’est plutôt inquiétant d’entendre ça…"

Selon les restaurateurs rencontrés, de plus en plus de clients offrent un pourboire en carte bancaire. Photo Clément Tiberghien.

Mais voilà, autour des caisses, peu croient à la concrétisation de cette mesure. "J’ai juste à glisser une partie dans ma poche et ramener le reste au patron, qui le saura?", s’amuse un serveur croisé à Nice.

Mais Albert, lui, pense que ça peut vraiment arriver. À 59 ans, le chef d’entreprise qui tient le coffee-shop et restaurant portugais Amélia, boulevard Jean-Jaurès, avec sa moitié Rosa, en a vu d’autres: "Je travaille depuis mes 18 ans dans ce milieu, au fil des années j’en ai donné de l’argent à l’État avec les changements de réglementation!"

Eux n’ont pas à se plaindre dit-il, d’autant que les clients ont développé des petites habitudes: "Même si le liquide est moins courant, ils demandent à arrondir pour payer en carte."

Comme Paul, 33 ans, qui a pris le pli aussi bien avec sa carte ticket-restaurant que sa carte bancaire: "Quand on divise l’addition entre collègues ou amis on opte toujours pour un total supérieur. J’ai rarement de la monnaie sur moi, c’est aussi pour ça."

Certains terminaux de paiement électronique proposent même l’option pourboire: "Ah ça me parle, mais je ne trouve pas ça très pratique. Je crois que j’avais mal compris où il fallait appuyer, j’avais mis 10 ou 15% de la note alors que je voulais donner moins…"

"Je n’en veux jamais à un client s’il ne laisse rien"

Face aux arbitrages des clients, François, dans le métier "depuis une éternité" comme il aime à le dire, philosophe en réalisant la mise en place de La Riviera: "Je n’en veux jamais à un client s’il ne laisse pas quelque chose. Il se peut que le service ne lui ait pas convenu mais il faut aussi se dire qu’il n’a peut-être tout simplement pas les moyens de le faire."

Un raisonnement appuyé par Mélodie. L’étudiante de 22 ans veille au grain sur ses dépenses quand elle consomme: "Quand il y a quelques pièces de monnaie sur la table, j’ai tendance à garder les deux euros et laisser le reste par exemple."

Un geste qui se réalise avec plus ou moins de largesse selon les services.

"C’est logique, plus le panier est haut, plus le tips peut être élevé", relève Alexandre qui sert au Café Noir, ancienne rue de l’Opéra. "Et bien évidemment le flux de touristes compte. On a l’impression d’en voir moins pour cette première quinzaine de juillet… Mais on a eu un beau pic durant l’Ironman."

Pour sa part, il oscille "entre 10 et 15 euros par jour" en travaillant durant la première partie de la journée.

Mais il le reconnaît, la nationalité du client fait beaucoup: "Naturellement les Américains donnent puisque chez eux c’est une obligation. Mais ils ont aussi la culture bar. Durant les grèves à l’aéroport, j’ai eu un client qui s’est assis au comptoir - ce que les Français ne font jamais -, il attendait sa femme dont le vol était retardé. Il a bu des bières, on a discuté, comme il a passé un bon moment malgré tout, il est parti en me laissant dix euros. Ça n’arrive pas tous les jours mais ça arrive encore!"

"Impossible de prévoir" si une table en laissera un

Le pourboire: une matière imprévisible par essence? "Avant tu pouvais deviner quelle table allait te laisser un tips, mais là cette année c’est impossible de prédire. Il n’y a plus de règles, et quand ça bouge un peu moins en termes de fréquentation, c’est difficile de te faire une idée", indique Daba qui fait partie de l’équipe de la brasserie Lou Pastrouil, à deux pas du Palais de justice. De son côté, la coupelle se remplit de "20 à 90 euros par jour, c’est très fluctuant".

La majorité des établissements misent sur le pot commun pour répartir ces dons de la clientèle.

"Sur le principe c’est une bonne chose", relève un discret professionnel du secteur qui gère des équipes: "Mais cela crée des tensions. Automatiquement ceux du matin et du soir ne font pas les mêmes tips. Les consommations sont différentes… Il y a ceux qui veulent diviser en parts égales et les autres qui ont une vision d’équité. Franchement c’est super sensible comme sujet."

Et quand c’est chacun pour soi? "Sur certains établissements qui débitent des grosses notes, ils font ça pour pousser les salariés en salle à vendre. Ça crée une tout autre ambiance, un autre rapport client", souffle un autre qui parle de notes à quatre chiffres…

De quoi faire tourner la tête de n’importe quel cochon-tirelire!

Selon les restaurateurs rencontrés, de plus en plus de clients offrent un pourboire en carte bancaire. Photo JDC.

Que dit la loi?

Depuis le 1 janvier 2022, les pourboires peuvent bénéficier d’une exonération de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu. Pour en bénéficier, il faut gagner moins de 2200 euros nets par mois (soit 1,6 fois le Smic).

Cette mesure d’exonération a été reconduite chaque année. Mais le projet de loi de finances 2026 pourrait mettre un terme à ce régime.

Une situation qui génère de l’inquiétude de la part des professionnels représentés par le Groupement national des chaînes hôtelières et l’Union des métiers de l’hôtellerie restauration.

"Une prolongation pour travailler à un encadrement"

Un délai pour travailler à l’après. Voici ce que demandent les représentants des professionnels du secteur. En sa qualité de vice-président de l’Union des métiers de l’hôtellerie restauration, Eric Abihssira a cosigné un courrier à l’adresse de Bercy pour plaider en la faveur de la prolongation de l’exonération de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu pour les pourboires.

"La perspective d’une fiscalisation et d’une socialisation revient à créer une taxe sourire", commente le responsable niçois.

Une opposition ferme qui s’accompagne d’arguments.

"C’est une libéralité du client, ils échappent dans la majorité des cas à la connaissance de l’employeur", avance le chef d’entreprise qui rappelle que cette gratification reste "une chose intime pour les salariés": "Cela permet de partir en week-end, de faire des cadeaux… c’est important et cela fait partie de l’attractivité du métier."

Ce que ne nie pas le cabinet du ministre de l’Économie, Eric Lombard, qui, dans une missive en date du 3 mars dernier, indique que la mesure a "démontré son efficacité [...] dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre".

Perte de pouvoir d’achat, effet dissuasif sur les clients…

Sauf que voilà, cet assujettissement social et fiscal dans moins de six mois fait planer plusieurs menaces selon Eric Abihssira.

Au-delà de la baisse du pouvoir d’achat des salariés, "ils risquent également un changement de tranche d’imposition et une réduction des aides sociales".

Le professionnel pointe également du doigt "une charge administrative accrue pour les employeurs et un coût supplémentaires pour les entreprises contraintes de s’acquitter de cotisations sur des montants qu’elles ne maîtrisent pas".

Et, évidemment, cela pourrait produire un effet "dissuasif sur les clients".

Alors, que faire? "Nous espérons une prolongation de l’exonération pour 2026 afin de se mettre autour d’une table avec les services des ministères concernés pour décider d’un nouveau modus operandi sur l’encadrement des pourboires. Une décision cohérente pour les employeurs, les salariés et l’Etat."

Mais le temps presse: l’examen parlementaire du projet de loi de finances débute au mois d’octobre.

“Rhôooooooooo!”

Vous utilisez un AdBlock?! :)

Vous pouvez le désactiver pour soutenir la rédaction du groupe Nice-Matin qui travaille tous les jours pour vous délivrer une information de qualité et vous raconter l'actualité de la Côte d'Azur

Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires ressentis comme intrusifs.

Si vous souhaitez conserver votre Adblock vous pouvez regarder une seule publicité vidéo afin de débloquer l'accès au site lors de votre session

Monaco-Matin

Un cookie pour nous soutenir

Nous avons besoin de vos cookies pour vous offrir une expérience de lecture optimale et vous proposer des publicités personnalisées.

Accepter les cookies, c’est permettre grâce aux revenus complémentaires de soutenir le travail de nos 180 journalistes qui veillent au quotidien à vous offrir une information de qualité et diversifiée. Ainsi, vous pourrez accéder librement au site.

Vous pouvez choisir de refuser les cookies en vous connectant ou en vous abonnant.