En marge du Sommet de l’océan qui réunit à Nice plus de 50 chefs d’Etat et de gouvernement, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher était l’invitée ce vendredi de l’Interview à la Une, l’émission politique du groupe Nice-Matin. Un entretien, mené par le directeur des rédactions Denis Carreaux et par Frédéric Maurice, le chef de l’édition de la métropole niçoise, au cours duquel la ministre a rappelé l’importance de l’écologie "pas pour protéger la planète, mais pour nous protéger nous-mêmes".
Dans une actualité marquée pour certains par un recul de l’écologie – rétropédalage sur les zones à faibles émissions, une loi agricole qui allège les contrôles environnementaux pour les exploitants, ou encore la possibilité d’utiliser à nouveau certains pesticides – Agnès Pannier-Runacher a défendu "une écologie pragmatique" qui doit "apporter aux citoyens des solutions plutôt que des contraintes".
"Mon objectif c’est de se donner une gouvernance internationale pour l’ensemble des océans."
Qu’est-ce que vous espérez signer à l’issue de cette Unoc?
Les océans sont essentiels à la vie humaine. Or aujourd’hui ils se meurent à cause du dérèglement climatique et sous l’effet des pollutions qui font effondrer la biodiversité dans nos océans. Mon premier objectif, c’est de se donner une gouvernance internationale pour l’ensemble de l’océan. Nous avons chacun nos eaux territoriales sur lequel il y a un droit qui s’exerce, cela représente 40% des mers et des océans. Au-delà, tout est permis, sauf la piraterie. Nous voulons doter les océans d’une gouvernance internationale. C’est le traité de protection de la haute mer qui nous permettra de pouvoir lancer une COP sur les océans dès 2026: il faut 60 pays pour le ratifier, aujourd’hui 32l’ont fait et beaucoup plus sont dans un processus formel de ratification.
Votre objectif, c’est aussi la lutte contre pollution plastique.
C’est un fléau. Je porte au niveau international une vision ambitieuse du traité plastique sur lequel des négociations ont été engagées. Il faut réduire la pollution plastique en partant de la production et accepter de la réduire. Nous sommes là-dessus en désaccord avec certains pays qui voudraient juste se contenter de collecter, trier et recycler. C’est sympathique, mais ce n’est qu’une partie du sujet: selon les scientifiques, d’ici 2060, nous allons tripler au plan mondial notre consommation de plastique, c’est cela qu’il faut réduire. L’Unoc est le moment de rassembler la centaine de pays qui portent cette vision ambitieuse.
Les scientifiques estiment que seulement 0,6% de la Méditerranée bénéficie des aires marines protégées...
Le président de la République a été très clair en 2022. Il souhaite que la France ait 30% d’aires marines protégées sur l’ensemble de ces eaux territoriales d’ici 2.030 et 10% en protection forte.
Sur la pêche, comment peut-on trouver un équilibre acceptable entre les activités de pêche et la protection de l’océan?
D’abord, il faut lutter contre la pêche illégale qui est l’éléphant dans la pièce. Beaucoup de gens pointent du doigt la pêche professionnelle européenne, mais elle a augmenté de 20 points la durabilité de sa pêche ces 15 dernières années. Aucun autre continent n’a réussi la même chose. Cette pêche, elle a évidemment un impact sur l’environnement, mais elle ne cesse de s’améliorer. Elle est aussi placée sous le contrôle des scientifiques, ce que peu de personnes savent. En revanche, près de 10 fois l’équivalent de la pêche française circule sans aucune règle sur l’ensemble des continents: des bateaux illégaux, beaucoup plus grands, plus polluants, qui emploient souvent de la main-d’œuvre forcée et qui ravagent les côtes, notamment au large de l’Afrique, de l’Amérique latine et de la Guyane. Nous voulons dénoncer cette pêche prédatrice et très dangereuse et renforcer les contrôles, les sanctions et la coopération internationale. Il faut également encadrer la pêche de loisirs.
"On a mis à la poubelle un dispositif qui a permis de réduire la pollution de 31% en 5 ans, pour des raisons électoralistes."
Assiste-t-on à un recul de l’écologie au niveau national. Avec l’exemple notamment de la suppression des zones à faibles émissions (ZFE)?
Le gouvernement ne soutient pas ces reculades. Par une alliance de circonstance entre les groupes LR, RN et LFI, l’Assemblée nationale a détricoté des mesures qui ont été mises en place pour protéger les Français. Les chiffres mettent en évidence l’ampleur des dégâts de la pollution de l’air sur la santé publique: plus de 40.000 décès précoces chaque année, plus de 30.000 cas d’asthme pédiatrique qui mène des enfants dans les services de soins intensifs, des infarctus, des AVC…
Ce qui me choque, ce n’est pas qu’on critique les ZFE, on est là pour discuter des dispositifs et les améliorer. Mais mettre à la poubelle un dispositif qui a permis de réduire la pollution de 31% en 5 ans, pour des raisons électoralistes, je trouve ça scandaleux. L’écologie, ce n’est pas une question de protéger la planète. C’est nous protéger nous-mêmes. Notre santé, c’est la qualité de l’eau, la qualité de l’air, la qualité de la nourriture que nous mangeons. C’est ça l’écologie.
Marineland: "Une mission confiée à Barbara Pompili pour trouver une solution durable."
Comment expliquez-vous que 4 ans après l’adoption de la loi sur la maltraitance animale qui a interdit les spectacles, on soit toujours face à cette situation de blocage?
Là-dessus, il faut que vous interrogiez le site de Marineland. Ils ont fait un choix d’entreprise et ont décidé de fermer. Ce n’est pas la loi qui leur a imposé. Ce que la loi leur a imposé c’est de ne pas utiliser des animaux pour faire des spectacles. Ce qui n’est pas du tout la même chose. D’autres sites en France ont fait le choix de rester ouvert sans spectacles. Pas Marineland… Ceci dit, nous travaillons aujourd’hui avec les responsables du parc pour trouver des solutions qui soient pérennes pour les deux orques et les douze dauphins du parc.
D’où vient le problème: de la loi ou de Marineland?
Le sujet c’est comment faire en sorte que ces orques et ces dauphins trouvent un point d’atterrissage. Il n’y a pas de sanctuaire aujourd’hui pour les orques. S’agissant des dauphins, il y a deux projets en Italie et en Grèce, mais ils ne seront pas prêts avant un an. J’ai confié à Barbara Pompili la mission de trouver une solution globale et durable pour ces animaux. Et j’ai mobilisé les ministres grecs et italiens pour qu’on puisse porter une vision européenne car ce qui se passe à Marineland c’est une évolution sociétale que l’on constate dans beaucoup de pays. Le rôle de Barbara Pompili c’est de réfléchir à des solutions au niveau européen pour faire en sorte que des cétacés nés en captivité puissent avoir des sanctuaires ou des lieux dans lequel, sans être des éléments de spectacle, ils puissent pouvoir terminer leur vie.
Et faire du parc antibois un sanctuaire, ça n’a jamais été une option?
Là encore, il faut demander à Marineland qui est le responsable de ce site. Moi, ma responsabilité aujourd’hui, c’est face à un acteur privé de m’assurer que la prise en charge de ces animaux est correcte. Ce qui est le cas aujourd’hui.
"Il ne s’agit pas d’interdire tous les projets, mais de faire preuve de vigilance sur l’utilisation des terres qui absorbent ce type d’épisode pluvieux."
Le 23 septembre dernier, vous aviez mis en cause l’urbanisation de la ville de Cannes la suite d’une crue éclair survenue le matin même. Est-ce que vous regrettiez les propos que vous aviez tenus à l’époque au sujet de l’imperméabilisation des sols?
J’avais juste signalé que 40 mm de précipitation, cela correspondait à des précipitations moyennes hautes. Ce qui s’est d’ailleurs confirmé puisque quelques jours plus tard, il y a eu de vraies précipitations importantes avec 600 mm à Annonay. C’était donc bien un épisode qui n’était pas hors norme mais qui a eu un impact hors norme. Et effectivement l’imperméabilisation de la Côte d’Azur, comme de beaucoup d’autres territoires, accentue l’impact de ce type d’événement. On ne peut pas mettre tout sur le dos de Météo France… Cette occupation de l’espace existe, des gens habitent de manière très dense dans des zones qui sont dans un risque. Il faut questionner tout ça, notamment avec l’objectif du zéro artificialisation nette. Il ne s’agit pas d’interdire tous les projets, mais il s’agit de faire preuve de vigilance sur l’utilisation des terres qui absorbent ce type d’épisode.
Est-ce que c’est contradictoire l’objectif de zéro artificialisation nette avec la loi solidarité renouvellement urbain (SRU) comme on l’entend très souvent dans la bouche des élus locaux ici?
Une idée sous-jacente de zéro artificialisation nette, c’est de dire qu’il faut construire peut-être un peu plus haut et peut-être de manière plus sobre. C’est l’étage de plus dans la maison de quatre étages. Vous passez à 5 étages, ça fait 20% d’habitat en plus accessibles, c’est aussi être plus mesuré dans la consommation d’espace par exemple pour des bâtiments publics. C’est une approche de bon sens.
Cependant, quand certaines communes accumulent les difficultés avec un risque inondation et des contraintes pour construire et face à ça une obligation de constructions de logement social, sachant que la dynamique de la ville est positive, à un moment vous rentrez dans des contradictions et ça, pour les traiter, il faut aussi faire preuve de souplesse et d’intelligence.
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