La semaine dédiée à la philosophie offre de larges champs de réflexion depuis mardi dans plusieurs lieux de la principauté. Éducation, écologie, les femmes, le soin, le plaisir…
Et samedi soir, le temps fort proposé par les Rencontres philosophiques de Monaco est marqué par une rencontre sur la scène de la Salle Garnier. Le public y verra Fabrice Lucchini, seul en scène pendant cinquante-cinq minutes, avant d’être rejoint par Eric Fiat. Une soirée consacrée au "Mystère Nietzsche".
On connaît votre passion pour les hommes de lettres tels que Céline, Baudelaire, Rimbaud, La Fontaine,... Qu’est-ce qui vous plaît chez Nietzsche?
Nietzsche est avant tout un écrivain, un poète immense, un styliste, un moraliste, en plus grand philosophe. C’est un être hallucinant. Une solitude. Il a totalement éclairé la modernité, a mis en cause la notion de vérité. Nietzsche adorait le grand chrétien Pascal pour mieux le contester. C’est un homme qui est passionné puis détruit, comme il le fait de Socrate à Shopenhauer, en passant par Wagner. Cette œuvre de destruction est une forme d’affirmation de soi, de courage.
Le philosophe de la démesure, par le concept de surhomme notamment?
C’est le philosophe qui a théorisé le ressentiment, c’est-à-dire cette passion négative d’impuissance. La thèse de Nietzsche est que tout le christianisme est rempli de ressentiment. Nous sommes dans le ressentiment : nous en voulons à la vie parce qu’elle nous fait souffrir, aux autres parce que l’on est jaloux. Nietzsche propose un dépassement du ressentiment, mais pas par l’acte de la grâce comme Pascal.
"Il accepte la vie à la fois tragique
et exaltante"
Si vous deviez ne retenir qu’une phrase de Nietzsche, laquelle serait-ce?
« Nous avons l’art afin de ne pas mourir de la vérité. » Ceci pour aimer le réel tel qu’il est proposé et non pas dépossédé de ses vertus, pour faire croire qu’il y a quelque chose de beaucoup mieux après. Il attaque l’idée platonicienne et chrétienne d’un au-delà merveilleux. Il accepte la vie à la fois tragique et exaltante. Est-ce que c’est fou ou génial ? Il est le précurseur de la psychanalyse. Sa grande idée est que le corps parle constamment. À propos de la maladie, il dit : « Ne serait-on pas tenté de nous demander si nous pouvons nous en passer ? » Il pose la question de l’épreuve.
La notion de souffrance est intrinsèquement liée à la chrétienté?
Il pourrait être un chrétien quelque part. La souffrance n’est pas une entrave. C’est un matériau pour le philosophe.
En ce sens, il s’inscrit mal dans l’époque actuelle qui exige de ne plus souffrir…
C’est un philosophe de la responsabilité, de la solitude. Il faut assumer la vie dans sa tragédie ; sans recours.
"Ma première fiancée avait un gros surmoi culturel"
Difficile d’adhérer à cette pensée…
Je vais vous faire une confidence : plus je lis Nietzsche, moins je suis nietzschéen. Je suis presque plus chrétien. Je commence ma lecture par Pascal : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser. »
Comment est née votre rencontre avec Nietzsche?
Ma première fiancée avait un gros surmoi culturel. Elle exigeait la lecture de trois livres importants par mois pour pouvoir auditionner ses faveurs physiques. C’est comme cela que j’ai découvert Nietzsche. Je n’étais pas du tout un intellectuel puisque j’étais apprenti coiffeur à 14 ans. J’ai quitté l’école très tôt étant un cancre.
"Ce n’est pas l’auteur d’une chapelle remplie
de philosophes"
Cette lecture est-elle accessible à un public non exercé à la philosophie?
Le texte est plutôt accessible. Nietzsche n’est pas du tout abscons. Tout est simple. C’est le gai savoir, pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages. Ce n’est pas l’auteur d’une chapelle remplie de philosophes qui parlent avec des mots incompréhensibles. Nietzsche, c’est l’affirmation, le soleil, la mer, la Méditerranée. Et la haine de la lourdeur allemande. Il y a une mégalomanie immense mais qui n’a rien d’embarrassant. C’est délirant par moments, génial parfois, très drôle aussi. Tout cela est puissant et poétique. Je commencerai quelques minutes par Pascal qui est un petit peu plus compliqué. Il dit par exemple : « Ainsi s’écoule toute la vie ; on cherche le repos en combattant quelques obstacles et si on les a surmontés le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte. »
Il y aura également les explications du philosophe Eric Fiat, professeur agrégé et maître de conférences…
Je ferai alors le néophyte en posant des questions naïves. Eric Fiat va nous expliquer en quoi réside le génie de Nietzsche, pourquoi il est si important à notre époque, pourquoi c’est le philosophe le plus à la mode.
Connaissez-vous Charlotte Casiraghi qui préside les Rencontres philosophiques de Monaco?
Je la connais mieux depuis l’été dernier où j’ai pu passer plus de temps avec elle et son mari Dimitri Rassam, qui a produit un film avec moi. J’ai été séduit par son authenticité, que je qualifierais, au sens nietzschéen, d’aristocratique.
Savoir+
Lecture et conversation: "Le Mystère Nietzsche", présenté par Robert Maggiori, philosophe, membre fondateur des Rencontres.
Philosophiques de Monaco. Avec Fabrice Luchini, comédien, et Éric Fiat, philosophe.
Samedi 11 juin, Salle Garnier, de 19 à 20h30.
Tarifs : 40 euros (25 euros pour les moins de 30 ans).
Sur réservation auprès de l’Opéra de Monte-Carlo +377 98 06 36 36/ticket@opera.mc
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