Lors de sa venue au Printemps du climat – organisé à Saint-Dalmas de Tende en mai 2024 – le spécialiste de la collapsologie et des transitions Pablo Servigne annonçait travailler sur le cas de la vallée sinistrée. Le rapport "Émergence et devenir des dynamiques solidaires (aide et entraide) dans la vallée de la Roya, post-tempête Alex", qu’il cosigne avec Alienor Desclais, a ainsi été publié au mois de mars. Dans le cadre d’un projet de recherche du groupe URD – un think tank spécialisé dans l’humanitaire – intitulé Entr’Aide & Crises. Que retenir de ces 80 pages? Résumé.
Facteurs favorisants
D’après les chercheurs, l’entraide a été favorisée par plusieurs réalités: le sentiment d’urgence et de nécessité vitale, la connaissance du territoire, le besoin de se sentir utile, l’effet boule de neige, les liens de solidarité familiaux ou amicaux préexistants. Ou encore la débrouillardise –, ainsi que la conscience de vivre une épreuve commune.
Aide institutionnelle efficace
Le rapport souligne que l’aide institutionnelle locale – surtout, les secours professionnels déjà sur place – s’est révélée "d’une efficacité remarquable dès les premières heures de la catastrophe". Pour les auteurs, cette coprésence immédiate a été essentielle. "L’un des éléments marquants fut justement la porosité entre statuts: pompiers, élus, volontaires, entreprises de BTP…", notent-ils. En a découlé une gestion "pragmatique, multi-acteurs, et résolument locale".
Concernant l’aide institutionnelle extérieure, "même si la réponse n’a pas pu arriver immédiatement, il faut souligner qu’elle a été puissante et efficace durant des semaines, et même des mois", ajoutent-ils. Distinguant trois types d’aide institutionnelle: actions de secours, actions de coordination, et financements.
Des rescapés aidants
Dans une inversion des rôles, des sinistrés sont venus en aide aux institutions. Via un soutien logistique et matériel, entre autres. "Les habitants, grâce à leur connaissance du terrain, ont guidé les secours. D’autres ont prêté leurs véhicules pour aider à déplacer des secours et du matériel dans les zones inaccessibles." On citera par ailleurs un approvisionnement en nourriture et en eau, des solutions d’hébergement. Un rôle de médiation et de négociation, aussi. Problème: cette aide n’a pas toujours été considérée. "L’un des points les plus marquants et récurrents des témoignages est le manque de reconnaissance par les autorités des efforts et du travail accompli par les citoyens."
De nombreux freins
Parmi les freins à l’entraide, les auteurs évoquent des tensions inter-villages, un manque de préparation et de formation à la gestion de crise. Le "sentiment de communauté", et donc la participation, a par ailleurs pu être ébranlé par une défiance envers les politiciens extérieurs. D’autant que certains ont pu se sentir dépossédés, voire éjectés de la gestion de crise. À noter, également, une attitude de "cow-boy" de la part d’institutions arrivées après coup. Entre manque de tact et de qualités humaines, positionnement technocratique, et absence de considération pour le travail déjà mis en place…
Femmes invisibilisées
Les chercheurs constatent que beaucoup de femmes ont eu des postes clé, de même que de nombreuses citoyennes se sont impliquées dans la réponse spontanée. Pourtant, leur rôle a peu été reconnu. Parce qu’une bonne partie œuvrait dans le "care"?
Communication défaillante
"L’absence de canaux institutionnels clairs a contraint les habitants à organiser eux-mêmes la communication", notent les auteurs. Soulignant la force des réseaux sociaux. Reste que les failles de communication officielle ont rendu plus complexe la réponse à l’urgence. Le rapport mentionne ainsi des difficultés pour les sinistrés à accéder aux ressources, une propagation de rumeurs, un manque de transparence. Voire des "difficultés à faire remonter les besoins urgents auprès des pouvoirs publics".
Disparités géographiques
"Breil-sur-Roya a bénéficié plus rapidement des secours. En altitude, Tende et La Brigue ont été isolés pendant plusieurs jours, voire semaines, sans aide extérieure immédiate. Cette différence d’accessibilité s’est transformée en inégalité dans l’entraide et la distribution de l’aide", glisse-t-on.
Reconstruction et tensions
Deux visions pour l’avenir se sont opposées. Une, conservatrice, visant à reconstruire à l’identique pour restaurer les activités économiques et sociales d’avant. Et une autre, alternative, consistant à intégrer des mesures écologiques et un aménagement durable.
Autre accroc relevé: le "manque de concertation réelle avec la population malgré des annonces de démocratie participative".
Le rapport complet est à retrouver sur le site www.urd.org (rubrique Ressources, puis Publications).
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