C’est un mystère découvert par plus de 2.500 mètres de fond, générant des remous à la surface. L’histoire d’une épave du XVIe siècle qui a défié le temps et l’oubli pour s’inviter dans l’actualité.
Camarat 4, de son petit nom, a été découverte le 4 mars au large de Ramatuelle et du cap qui lui vaut d’être baptisée ainsi. Une opportunité majeure: jamais une épave n’avait été découverte à une telle profondeur dans les eaux sous juridiction française.
Quel était donc ce navire? D’où avait-il appareillé? Où allait-il? À qui était destinée sa cargaison? Comment a-t-il chaviré? "Nous sommes au début d’une enquête archéologique. Elle vient juste de commencer. Elle risque de durer des années", prévient Marine Sadania, archéologue responsable du littoral Paca au Drassm (département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines). Teasing alléchant.
Ce mercredi après-midi au port de Nice, les directeurs de cette enquête hors norme lèvent un premier voile de mystère sur Camarat 4. L’occasion est belle, en pleine Conférence des Nations unies sur l’océan. Embarquement à bord de l’Alfred-Merlin, un des deux navires scientifiques du ministère de la Culture. Ici aussi, il est question de protection des mers et océans. En l’occurrence, de leur patrimoine culturel.
Drone sous-marin et ROV
L’enquête Camarat 4 débute par une découverte fortuite du Cephismer (Centre expert plongée humaine et intervention sous la mer) dans les eaux varoises. Ce jour-là, la Marine nationale mène une opération de "maîtrise des fonds marins", depuis son navire Loire, avec un drone sous-marin. "Son sonar a détecté quelque chose d’assez important pour qu’on décide d’y retourner, avec la caméra du même engin", retrace le commissaire général Thierry de la Burgade, adjoint au préfet maritime de la Méditerranée.
L’AUV (autonom underwater vehicule) de la société Exail y retourne. Sa caméra détecte la présence d’une épave. De quoi aiguiser la curiosité.
Quelques semaines plus tard, c’est le Jason de la Marine qui envoie un ROV - un engin téléopéré depuis la surface - de Travocéan par 2.567 mètres de fond. Il remonte des images précieuses de cette "épave intéressante, importante, emblématique", dixit Thierry de la Burgade.
Reste à les analyser. Le Drassm est cosaisi de l’enquête.
Marine Sadania nous présente le sonogramme (transcription graphique de vibrations sonores) de l’épave. On distingue les vestiges d’un navire de 30 mètres de long et 7 de large - "une assez belle unité de navigation". Ancres, canons… Il s’agit manifestement d’un bâtiment de commerce âgé de cinq siècles. "C’est une première expertise, tempère l’archéologue. Il va falloir prendre avec prudence ces interprétations."
"Le temps s’est arrêté"
Pour les enquêteurs du Drassm, les scénarios et hypothèses se bousculent. Le navire pourrait avoir quitté un port de Ligurie. Il s’est vraisemblablement couché, ce qui aurait entraîné son naufrage. Dans quelles circonstances? Aucune piste n’est écartée.
Une certitude: "Il y a un très fort potentiel archéologique sur cette épave remarquable, pressent Marine Sadania. Le temps s’est arrêté sur cette épave, qui forme un ensemble homogène."
La profondeur l’a préservée des pillages, et peut-être même de la flore et la faune. Problème: elle interdit des fouilles humaines. Pour un chantier archéologique, les plongeurs descendent généralement autour de 50 mètres, 150 mètres grand maximum. Même le ROV de l’Alfred-Merlin, conçu pour plonger jusqu’à 2.500 mètres, ne peut l’atteindre.
"Inédit à cette profondeur"
Ce sera donc à la Marine de manœuvrer, main dans la main avec le Drassm. À charge pour les archéologues, historiens ou céramologues de percer ensemble les secrets de Camarat 4. "Notre premier objectif est d’obtenir une couverture d’image aussi parfaite que possible, pour obtenir un 'jumeau numérique'", partage Arnaud Schaumasse, le directeur du Drassm. Un défi "inédit à cette profondeur".
Une prochaine expertise est espérée en 2026, une autre encore en 2027. Quelques prélèvements ciblés sont envisagés. Mais n’espérez pas voir Camarat 4 exposée au grand jour, telle La Licorne du capitaine Haddock à Moulinsart. La convention de l’Unesco de 2001 l’impose: le patrimoine culturel subaquatique a vocation à reposer de par le fond.
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