Une vie entière dédiée aux autres: portrait du capitaine Desmoulins, volontaire depuis 40 ans chez les sapeurs-pompiers de La Turbie

Lors des cérémonies du 14-Juillet, le capitaine Desmoulins, chef du centre de secours La Turbie, a été décoré pour ses 40 années de volontariat chez les sapeurs-pompiers. Portrait.

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Thibaut Parat (tparat@nicematin.fr) Publié le 01/08/2025 à 15:30, mis à jour le 01/08/2025 à 15:30
Le capitaine William Desmoulins au cœur de la nouvelle caserne, qu’il a appelée de ses vœux dès 1999. Photo Cyril Dodergny

Un bleu de travail, une épaisse veste en cuir et une paire de rangers. Ce 24 juillet 1986, quand le sapeur William Desmoulins, pompier volontaire de 17 ans, est déployé sur l’incendie monstre qui consume des milliers d’hectares au départ d’Èze, la tenue de "combat" est on ne peut plus minimaliste, aux antipodes des standards de sécurité de 2025.

Un an après sa prise de fonctions à la caserne de La Turbie, cet adolescent de la Trinité est jeté dans le "grand bain" opérationnel, avec une formation de base mais sans spécificité "feux de forêt".

"Le feu était incontrôlable, le taux d’humidité avait drastiquement chuté en une heure et on faisait face à un vent phénoménal. Et puis, on ne disposait pas de la même logistique et des moyens d’aujourd’hui, se souvient celui qui est, depuis, devenu capitaine et chef du centre de secours de La Turbie, entièrement composé de volontaires. Aujourd’hui, un pompier volontaire est formé sur plusieurs années à des modules spécifiques. Il est d’abord cantonné à l’ambulance et aux secours à la personne."

Dans son bureau, sobrement décoré de clichés de ses proches, d’interventions ainsi que d’un drapeau tricolore orné de la Croix de Lorraine, l’homme de 56 ans parle vrai, avec le cœur d’un homme qui, habité par une passion viscérale, a sacrifié des moments en famille pour partir en intervention et accomplir son devoir.

"J’étais à la plage, à un anniversaire, un baptême ou un mariage, si je voyais un panache de fumée, je rentrais directement à la caserne. Même si mon épouse et ma famille l’acceptaient, c’est un peu un regret, ça laisse forcément des traces. Aujourd’hui, les jeunes volontaires ne veulent plus autant de contraintes et veulent leur liberté. Le volontariat passe au 4e plan après la famille, le travail et les loisirs, constate-t-il, sans jugement. À La Turbie, heureusement, on a un gros vivier et un noyau de gens qui ont envie."

Deux fils qui suivent sa trace

Alors que la moyenne de durée d’activité d’un volontaire, à l’échelle nationale, est estimée à quelques années, le capitaine William Desmoulins, par ailleurs garde incendie à la Société des Bains de Mer de Monaco, affiche une rare et exceptionnelle longévité: 40 ans de volontariat (rémunéré).

Lors des cérémonies du 14-Juillet à La Turbie, le maire Jean-Jacques Raffaele lui a remis la médaille des sapeurs-pompiers, échelon Grand Or. Sur l’avers, sous deux haches croisées, l’effigie de la République française est coiffée d’un casque de pompier. Sur le revers, une maison en proie à un brasier est recouverte par un casque symbolisant la protection des soldats du feu. "C’est une fierté, car peu la reçoivent."

L’autre cadeau de la vie, dit-il, est de voir ses deux fils, Loïc et Kévin, suivre naturellement ses traces. Le premier est professionnel à la caserne de Nice Fodéré; le second, volontaire à celle de Bon-Voyage, entend le devenir en passant des concours.

"Ils ont toujours baigné là-dedans. La relève est assurée, d’autant que mon petit-fils de 8 ans, Lorenzo, passe beaucoup de temps à la caserne de La Turbie. Il aime grimper dans les camions", sourit-il.

Grand défenseur d’une nouvelle caserne

Jadis, avant d’être de l’aventure, le capitaine Desmoulins a aussi rêvé de ces engins rouges avec ses mirettes d’enfant. Sans, toutefois, bénéficier d’un terreau familial fertile à la naissance d’une telle passion: une mère aide-soignante dans une maison de retraite à La Trinité; un père chef de secteur des réceptions des marchandises d’Auchan La Trinité.

En 1996, après trois années d’intérim, il devient officiellement chef du centre de secours de la Turbie, alors niché place de la Crémaillère, en centre-ville.

"Avec les anciens commandants de compagnie, on a structuré la caserne Jean-Pierre-Davenet en créant des gardes postées, on a bénéficié d’une ambulance, une semaine sur deux avec Èze, d’un engin-pompe pour les feux urbains et ceux d’autoroute. Et puis, j’ai lancé la procédure pour la nouvelle caserne."

La première demande écrite auprès du maire de l’époque, Nicolas Bassani, date de 1999. Objectif: quitter ces locaux obsolètes, inconfortables et bas de plafond. Elle ne sera inaugurée qu’en… 2021, soit 22 ans après.

"On a fini par y arriver, souffle-t-il. Personnellement, l’aspect politique m’importait peu. Je voulais juste de la reconnaissance pour les gens qui travaillent à La Turbie."

La nouvelle caserne, nichée route de Beausoleil, répond désormais à l’activité opérationnelle accomplie par un vivier de 77 sapeurs-pompiers volontaires (7 sont de garde chaque jour pendant 24 heures, un chiffre qui peut atteindre 13 en été). "En 2024, on a comptabilisé 1.250 interventions et 1.600 sorties de véhicules. Quand je suis arrivé en 1985, on faisait 60 interventions… à l’année!"

"Fatigué de ramasser le corps de jeunes"

Hormis les feux de forêt - celui de Laghet les a mobilisés pendant plusieurs jours à la mi-juin -, les pompiers turbiasques sont régulièrement confrontés aux accidents de la route, parfois à l’issue tragique. Leur secteur*, entre les trois corniches et l’A8, est en effet particulièrement accidentogène.

"Arrivé à un certain âge, on est fatigué de ramasser le corps de jeunes de 20 ans qui se tuent en deux roues pour des conneries, malgré les messages de sensibilisation. Même si on se forge une carapace, c’est difficile, soupire-t-il. Certains pompiers volontaires, confrontés à la mort, n’y arrivent pas et démissionnent. C’est compréhensible. Moi-même, j’ai ressenti des doutes ces derniers temps…"

Pas de quoi mettre la tenue au placard pour autant, "car la foi d’aller sur le terrain est toujours là". Mais l’époque actuelle suscite beaucoup de questionnements chez l’officier.

"On est en première ligne et on fait face à de plus en plus de misère humaine. À La Turbie, on est préservés, mais on constate ailleurs de plus en plus de violences contre les services de l’État, y compris envers les pompiers. Quand j’ai débuté, jamais je n’aurais imaginé qu’on porte des gilets pare-balles, des casques du RAID ou des gilets pare-lames… On doit mettre ces derniers si on intervient sur des violences conjugales, des rixes ou des agressions. On est là pour porter secours, pas pour se prendre des balles ou des coups de couteau", fulmine-t-il.

Les événements positifs reprennent vite le dessus. Comme cette fois où, avec deux de ses collègues, le capitaine a mis au monde un enfant sur le parking de la Crémaillère, en bord de route. "Ou ces fois où l’on sauve des habitations lors de feux de forêts, ou que l’on arrive à préserver les pièces d’une habitation lors d’un feu de maison. C’est une immense satisfaction", conclut-il.


* Ils interviennent prioritairement sur La Turbie, Èze, Trinité Est et Sud de Peille. Puis, en renfort, sur Beaulieu, Menton/RCM/Sainte-Agnès, Nice.

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