"Les super-prisons vont devenir des universités du crime": cet avocat pénaliste azuréen doute de l'efficacité des prisons réservées aux narcotrafiquants souhaitées par Gérald Darmanin

Avocat pénaliste, fin connaisseur du milieu du grand banditisme, Me Franck de Vita émet des doutes quant à l’efficacité du nouvel arsenal législatif dont vient de se doter l’État.

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Eric Galliano Publié le 24/07/2025 à 06:30, mis à jour le 24/07/2025 à 06:30
Me Franck de Vita, avocat pénaliste niçois. Photo Frantz Bouton

Me Franck de Vita a 35 ans de barreau à son actif. Ce spécialiste du droit pénal a défendu quelques-unes des plus belles "figures" du milieu du grand banditisme. De Jean-Claude Olivero, dit "le fou", dans les années soixante-dix, à Jacky Sordi, alias le général, dans les années 2000.

Sur la Côte d’Azur mais à l’échelle nationale. Michel Campanella, présenté comme "le dernier parrain de Marseille", Marc Hornec, l’un des principaux membres du clan H, cette fratrie de gitans qui a longtemps régné sur la capitale, ou encore les grenoblois Robert et Jean-Pierre Maldera, tous deux tombés sous les balles, dont le dernier il y a quelques mois, sont ou ont été ses clients.

Cet avocat niçois a cumulé les procès retentissants, des faux attentats de la ville de Nice au début des années quatre-vingt-dix, à l’assassinat de la riche héritière monégasque Hélène Pastor, en passant par l’affaire Odéon ou le meurtre du Lord Shaftesbury. Au cours de toutes ces années de robe, Me de Vita a vu évoluer le monde du banditisme. Avec l’émergence des caïds des cités qui ont remplacé les voyous à l’ancienne, avant d’être eux-mêmes supplantés par un narcobanditisme de plus en plus violent.

Un monde avec lequel il a choisi de prendre ses distances professionnellement, même s’il en reste un observateur avisé. Technicien du droit, spécialiste de la procédure pénale, Me Franck de Vita décrypte la nouvelle arme législative dont vient de se doter l’État pour tenter d’endiguer le fléau du trafic de drogue. Prisons spéciales, dossier coffre, parquet national... Il "doute" de l’efficacité de cet arsenal judiciaire.

La loi contre le narcotrafic vient d’être promulguée. Peut-elle changer la donne?

J’en doute. C’est une nouvelle loi inutile, voire contreproductive. L’idée de regrouper les plus gros trafiquants dans un même établissement pénitentiaire aura peut-être quelques effets à court terme. Mais rapidement les détenus vont s’organiser à l’intérieur de ces super-prisons. Et cela va créer entre eux des connexions qui n’existaient pas avant. Soit des alliances, soit des conflits qui nécessairement, ne serait-ce que via les parloirs des familles, vont se diffuser à l’extérieur, sur le terrain, dans les quartiers. On avait l’habitude de dire que la prison, c’est l’école de la voyoucratie. On est en train de créer des universités du crime. Alors que jusqu’à présent, l’idée était au contraire d’isoler les trafiquants, de les séparer justement.

Un certain nombre de mesures prévues initialement dans cette loi ont été retoquées par le Conseil Constitutionnel. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose?

Comment a-t-on pu penser que le dossier coffre, par exemple, qui prévoyait de cacher à la défense certains éléments d’un dossier pouvant entraîner une condamnation, passerait l’obstacle du Conseil constitutionnel? Je rappelle que les droits de la défense et le principe du contradictoire sont les fondements mêmes de la démocratie et de la justice.

Ces mesures, notamment la création d’un parquet national dédié à la lutte contre le crime organisé (Pnaco), ne sont-elles pas nécessaires pour stopper la montée en puissance du narcotrafic en France?

Décidément, la France ne sortira jamais de cette centralisation que l’on nous enseignait déjà au collège avec le jacobinisme. C’est lourd, c’est coûteux, c’est encore un obstacle à l’exercice des avocats dans les barreaux de province. On les avait déjà fortement pénalisés avec la création des Jirs (juridictions interrégionales spécialisées). Avec le Pnaco, on monte encore d’un cran. Sans garantie d’efficacité. Comment voulez-vous que des magistrats en poste à Paris puissent avoir une vision fine de ce qui se passe en même temps à Nice, à Toulon, mais aussi à Bordeaux ou à Dijon? À l’exception du terrorisme, toutes ces juridictions spécialisées, Jirs, PNF et Pnaco n’ont pas lieu d’être.

Comment expliquer cette dérive hyperviolente?

Depuis la disparition des braquages de banque, des attaques de fourgons blindés, des machines à sous clandestines, ou encore du proxénétisme traditionnel, il ne reste plus que deux sources de revenus illicites: la cybercriminalité et le trafic de stupéfiants. Ce dernier est de loin le plus lucratif avec une augmentation considérable de la consommation de drogues. Il est, du coup, aussi le plus concurrentiel. Les profits sont à ce point colossaux qu’ils ne peuvent que susciter des ambitions qui pour s’approprier des parts de marché ou des territoires doivent nécessairement éliminer leurs rivaux.

Le milieu du banditisme, qui a toujours existé, a-t-il radicalement changé?

Le milieu tel qu’on l’a connu n’existe plus, ou alors de manière résiduelle. Parce que, comme je viens de le dire, ses sources de revenus se sont taries. Ses figures historiques ont vieilli et certaines ont été soit neutralisées judiciairement, soit exécutées. Cela a laissé une place à l’émergence d’une nouvelle génération qui elle n’a pas les mêmes codes.

On est passé de la cooptation à l’ubérisation…

Avant il fallait effectivement être coopté par un parrain, faire ses gammes pour progresser dans une organisation criminelle. On commençait par le vol de voiture ou de moto, on passait au cambriolage, puis au braquage et enfin aux actes ultimes. Aujourd’hui, à l’image du monde actuel, car il ne faut pas oublier cette société parallèle est le reflet de notre société, on peut recruter en seulement quelques clics, via les réseaux sociaux, des jeunes sans antécédents ni aucune expérience du banditisme, mais prêt à tout. Immédiatement. Cette absence de professionnalisme s’illustre d’ailleurs par le nombre de victimes collatérales engendrées. Avant, il n’y en avait pour ainsi dire jamais.

Comment endiguer ce phénomène tout en respectant l’État de Droit?

Sûrement pas avec le mythe de l’aggravation des peines encourues. Les lois pénales n’ont jamais été aussi sévères. Ces cinq dernières années, particulièrement répressives, nous ont renvoyé, sur le plan pénal, à ce que nous connaissions durant les 30 Glorieuses. Et cela n’a servi à rien. Parce qu’en matière de délinquance, il vaut toujours mieux prévenir que d’avoir à sanctionner. Mais cela implique des moyens, pas seulement pour deux nouvelles prisons, mais pour recruter de dizaines de milliers de membres des forces de l’ordre afin d’empêcher la commission des infractions.

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