Fin janvier, Astrid de Villaines a reçu Christian Estrosi dans les locaux de "Ici Azur" pour un numéro de Sens politique, le rendez-vous politique de France Culture du samedi.
La jeune journaliste politique était presque à domicile puisqu’elle est arrivée à Nice à l’âge de 3 ans et y a fait tout son cursus scolaire (jusqu’à l’obtention de son baccalauréat à l’institution Stanilas).
Une manière d’allier le travail et la famille avec ce retour aux sources de quelques jours. Chaque samedi, pendant plus de 40 minutes, Astrid de Villaines questionne une personnalité politique sur son engagement. Un entretien au temps long qui détonne.
Quel est l’ADN de l’émission?
C’est une émission qui prend le temps, 42 minutes c’est rare en interview politique. C’est un ton calme, posé, on est là pour creuser des idées et évoquer des sujets plus rares pour leur donner une autre dimension. On veut surtout s’interroger sur notre invité pour en dresser un portrait et comprendre son engagement politique, son parcours. Pour cela, on s’appuie sur trois archives qui permettent de donner du rythme. Des archives que l’invité ne connaît pas et sur lesquelles il va être amené à réagir. Seule la dernière archive est connue de l’invité car c’est un choix de sa part, qui peut être une musique par exemple. Elle permet d’en apprendre plus sur eux.
Est-il encore possible, en 2025, de dribbler les éléments de langage des personnalités politiques?
C’est dur d’avoir une forme de sincérité, ce sont parfois des robots c’est pour cela que je ne donne aucune question à l’avance, afin d’aller chercher cette forme d’authenticité. Ce n’est même pas une question d’âge, d’expérience, ce sont surtout les membres des gros partis qui restent dans la ligne directrice et récitent les éléments de langage. C’est vraiment une mission que je me fixe, d’essayer au maximum d’avoir ces moments de vérité. Il y a beaucoup d’émissions politiques, les réseaux sociaux, on se rend compte que la parole politique est dévaluée car elle est omniprésente. On tente alors de trouver des contradictions dans leurs parcours pour les faire réagir. Je recherche de l’émotion et de l’information avant tout.
La classe politique a-t-elle conscience du rejet qu’elle suscite chez une partie des Français?
Certains en ont conscience, ils savent que la défiance est présente. Christophe Castaner, une fois qu’il n’était plus en poste, m’avait avoué une forme d’échec sur l’intégration républicaine. Mais, malgré tout, la plupart des politiques sont dans la maîtrise, ils ont peur du bad buzz et il ne faut pas sortir du cadre. Il y a une forme de peur, souvent liée à l’inexpérience. C’est pour ça que j’essaie de faire de l’émission un entretien en profondeur plutôt qu’une interview d’actualité.
Le temps long de l’émission est apprécié par la classe politique?
Oui mais cela peut être piégeux aussi, car il faut être préparé. Il faut être en capacité d’être précis sur plein de sujets différents pendant 42 minutes.
Comment êtes-vous tombée dans la politique?
J’ai toujours aimé ça, au lycée je regardais déjà Politiquement show sur LCI. C’est une matière qui nous guide au quotidien, j’aime comprendre le monde dans lequel j’évolue.
Pourquoi devenir journaliste politique et pas militante?
Ce que j’aime dans le journalisme, ce sont les faits, la recherche de la vérité. Je ne fais pas de la communication et je n’ai jamais eu l’esprit militant.
Quel est le quotidien d’une journaliste politique?
Il faut travailler ses sources, rencontrer des politiques, échanger, lire la presse, parcourir les interviews tout en gardant un ancrage local territorial à une époque où le clivage Paris-Province est très marqué. C’est important d’avoir des radars ici et là. Depuis la fin du cumul des mandats, de nombreux élus locaux ne viennent plus à Paris, alors il faut se déplacer pour prendre le pouls, échanger, comprendre.
Quel est le rapport du monde politique à la presse?
J’ai longtemps suivi Emmanuel Macron et ce n’est pas simple, car tout est verrouillé. J’ai travaillé dans plusieurs rédactions, LCP, Le Monde, Huffington Post, France Culture, et il a systématiquement refusé mes demandes d’entretien. Dans les rapports entre la presse et les politiques, il faut que chacun reste à sa place, éviter les copinages et que la liberté de la presse soit respectée. En presse écrite, on est souvent mis sous pression car le temps de la rencontre n’est pas le même que le temps de la publication.
Le "Off" existe-t-il vraiment?
Quand la nécessité supérieure l’exige, le "off" n’existe pas. À partir du moment où on parle à un journaliste, on sait que cela peut sortir. Après, tout est une question de contexte, de respect de sa source, de confiance, mais, le "off" n’a pas vocation à le rester si l’intérêt du lecteur est en jeu et qu’on ne perd pas une source d’information. Le politique a toujours un intérêt à parler à la presse.
Existe-t-il encore des bêtes politiques?
Oui, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen mais il reste encore des fauves comme Laurent Fabius, Dominique de Villepin ou Martine Aubry, que j’ai envie de recevoir dans l’émission. À côté de ça, il faut laisser grandir les lionceaux. On dit souvent que le niveau des hommes politiques a baissé, c’est vrai, mais il y a une forme d’écho avec la IVe République qui a connu de nombreuses instabilités et dont beaucoup des acteurs sont aujourd’hui oubliés. Malgré tout, et on l’a vu aux dernières élections législatives, la France reste un pays politisé. Les Français ne sont pas apathiques.
Qui aimeriez-vous recevoir dans votre émission?
Emmanuel Macron, Brigitte Macron ou encore François Bayrou, car je n’ai encore jamais reçu de Premier Ministre en exercice.
Votre moment le plus fort à l’antenne sur "Sens politique"?
Quand la ministre de la Ruralité, Dominique Faure, estime que l’attente autour du remaniement est comparable au délai pour recevoir les analyses de patients atteints d’un cancer. Ce moment de sincérité est complètement déconnecté de la réalité des malades. Elle a dû s’en excuser par la suite. Dans un autre registre, j’ai beaucoup aimé la série sur les conseillers de l’Élysée, construite sous plusieurs présidences, qui permettait de comprendre l’évolution de la politique, et notamment ses rapports à la presse, car j’avais posé les mêmes questions aux intervenants. C’est un bloc croustillant.
>> Sens politique, ce samedi à 12h45, sur France Culture. Les anciens numéros, dont celui consacré à Christian Estrosi et enregistré fin janvier, sont disponibles en podcast sur toutes les plateformes.
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