Abandon de la suppression des jours fériés, avantages à vie, méthode… les premières décisions du Premier ministre Sébastien Lecornu

EXCLUSIF. Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu a accordé sa première interview depuis sa nomination à la presse quotidienne régionale. Il détaille sa feuille de route et annonce ses premières décisions.

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A Paris, Denis Carreaux Publié le 13/09/2025 à 17:45, mis à jour le 13/09/2025 à 17:52
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Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu a accordé sa première interview depuis sa nomination à la presse quotidienne régionale. Il détaille sa feuille de route et annonce ses premières décisions. Photo Stéphane Geufroi/Ouest France

"Bonjour, monsieur le Premier ministre".

Au moment de nous serrer la main, Sébastien Lecornu feint la surprise. "Je me retourne souvent quand on me dit ça. Je ne me suis pas habitué", sourit-il. Ponctuel et affable, le Premier ministre a du temps à nous accorder et des choses à nous dire.

Trois jours après sa nomination, Sébastien Lecornu a en effet choisi d’accorder sa première interview à la presse quotidienne régionale et non à un journal ou une télévision nationale. S’adresser avant tout aux médias des territoires: une forme de rupture (c’est son mantra) qui correspond, nous assure-t-il "à ce que je crois, ce que je suis, ce que je défends".

Face à huit journalistes de la presse régionale, dont Nice-Matin et Var-Matin, Sébastien Lecornu explique sa méthode, son état d’esprit et son style. "J’ai l’impression de passer un oral", plaisante l’homme du Président qui promet de s’en tenir à une parole "rare, prudente et précise". Assurant être conscient du "décalage important entre les Français et la classe politique", le nouveau locataire de Matignon est parfaitement conscient de l’ampleur de la tâche qui l’attend.

De la colère du pays et de la défiance aussi, lui qui entame son mandat avec la cote de popularité la plus faible de tous les Premiers ministres de la Ve République. "Il ne faut pas se raconter d’histoires et être lucide. Je vois bien le degré d’attente du pays".

Un Himalaya qui n’effraie pas Sébastien Lecornu, convaincu que si la voie est étroite, elle peut permettre de parvenir au sommet et d’espérer sortir la France de la crise politique, sociale et démocratique dans laquelle elle est engluée.

"Je revendique d’être quelqu’un de loyal"

Qu'avez-vous éprouvé en apprenant votre nomination ?

Je l’ai su lundi soir, tard. Il y a trois ans, lorsque le Président m’a annoncé qu’il allait me nommer ministre des Armées, j’ai ressenti une extraordinaire émotion. Quelque chose auquel j’avais fondamentalement aspiré arrivait. Je n’ai pas ressenti la même chose en arrivant ici car je suis lucide sur la situation et la responsabilité qui va être la mienne. Je le fais avec le sens du devoir et de la mission.

A qui avez-vous pensé en premier en rentrant dans le bureau du Premier ministre ?

A Pierre Messmer, compagnon de la Libération, héros de la bataille de Bir Hakeim. Il a beaucoup compté pour moi. Il se trouve qu’il a été ministre des Armées, des Outre-mer et Premier ministre. J’ai pensé à ce gaulliste qui n’est pas très connu des Français.

A propos de la dette, François Bayrou a parlé d'Himalaya. Et vous ?

Je l’ai dit lors de la passation de pouvoir : on va y arriver ! C’est toujours dans les moments de blocage et de tension que notre pays a avancé. Mon état d’esprit est simple : je ne veux ni instabilité, ni immobilisme.

Vous avez évoqué des “ruptures” à votre entrée à Matignon. En quoi votre approche sera-t-elle différente de votre prédécesseur ?

C’est la première fois sous la Ve République que les parlementaires - et singulièrement les députés - ont autant de pouvoir. Notre démocratie n’a jamais été aussi parlementaire. Il faut en tirer des conclusions. Une partie des responsables politiques, y compris ceux qui seront au gouvernement, vont devoir complètement réinventer la manière de travailler avec les parlementaires.

Emmanuel Macron vous autorise-t-il à rompre avec sa politique ?

Je revendique d’être quelqu’un de loyal, ce qui me semble être une valeur importante dans la vie. Cette loyauté avec le président de la République m’offre précisément la liberté d’adapter l’action gouvernementale aux circonstances.

Quelle sera votre méthode ?

Trois jours après sa nomination, Sébastien Lecornu a en effet choisi d’accorder sa première interview à la presse quotidienne régionale et non à un journal ou une télévision nationale. Photo Stéphane Geufroi/Ouest France.

Avec 210 députés, le socle commun est la première plateforme politique à l’Assemblée nationale, et elle a la majorité absolue au Sénat. Avant de discuter avec les oppositions, il faut d’abord de la clarté au sein de ce socle commun. Nous y travaillons. Il reste 20 mois avant la fin du quinquennat. Il y a des choses qui pourront être faites entre maintenant et 2027, d’autres qui ne pourront pas être réalisées par manque de consensus politique. Elles seront tranchées par l’élection présidentielle. Encore une fois : ni instabilité, ni immobilisme.

Ce sont donc les députés qui décideront désormais ?

Ils sont élus pour cela. Cela implique donc que le futur budget ne correspondra peut-être pas complètement à mes convictions... C’est même quasiment certain ! Avec moi, les députés ne pourront plus dire que c’est la seule affaire du gouvernement, je leur ai déjà donné des gages pendant les discussions de la loi de programmation militaire : c’est le moment le plus parlementaire de la Vème République.

Les socialistes vous demandent de renoncer au 49-3. Y êtes-vous prêt ?

Je veux une discussion parlementaire moderne et franche, de très bon niveau avec le PS, Les Ecologistes et le Parti communiste. Cette gauche républicaine dont on connaît les valeurs doit s’émanciper de La France insoumise, qui s'exclut elle-même de la discussion et préfère le désordre. Ce sera difficile mais nécessaire pour donner un budget au pays.

Un budget que vous pourriez vraiment faire adopter sans passer par un 49-3 ?

Le 49-3 a été initialement imaginé pour contraindre sa propre majorité à la discipline. Pour être direct : je ne souhaite pas être contraint de l’utiliser. Je ne peux pas dire jamais, ce serait démagogique, mais je ferai tout pour ne pas y être obligé. Si c’était le cas, ce ne serait pas uniquement l’échec du Gouvernement, ce serait un échec pour tous, mais la France doit avoir un budget.

"Je souhaite présenter un grand acte de décentralisation"

Votre prédécesseur a perdu la confiance des Français. Comment comptez-vous retisser le lien ?

A la question des finances publiques portée courageusement par François Bayrou, il y a aussi urgence à s’occuper des vrais problèmes quotidiens : sécurité, santé, pouvoir d’achat, emploi... En huit ans, il y a des choses que nous aurions dû faire, notamment au lendemain du grand débat national et la crise des gilets jaunes. Il y avait une aspiration profonde à ce que le pouvoir soit davantage partagé dans le pays. Le centralisme parisien exaspère une grande partie de nos concitoyens, des chefs d’entreprises, des maires, des fonctionnaires qui rendent le service public avec courage... On ne peut pas dire aux Français qu’il va falloir faire des efforts si en même temps on ne traite pas certains dysfonctionnements à la racine.

Mais les Français ne comprennent pas pourquoi le Président a nommé un proche à Matignon alors qu’il a perdu les élections...

J’insiste, le Socle commun est la plateforme qui compte le plus de députés à l’Assemblée, et est majoritaire au Sénat. Cela suffit-il pour gouverner comme avant ? La réponse est non, cette majorité est très, très relative. A la sortie du Grand Débat, on aurait dû renverser la table en disant que le moment était venu de repenser l’organisation de l’État. Le moment est venu de le faire, c’est une des ruptures attendues.

Comment ?

Je souhaite présenter un grand acte de décentralisation, de clarification et de liberté locale au Parlement. J’ouvrirai des consultations rapides dès la semaine prochaine. Il faut que l’on définisse ce qu’on attend de l’Etat, au moment où les attentes seront de plus en plus fortes notamment sur le régalien. En parallèle, le millefeuille administratif a parfois conduit à une dilution des responsabilités et à des surcoûts. Trop d'acteurs interviennent sur les mêmes sujets, alors qu’il n’y a qu’un seul contribuable qui finance le tout. Le principe : quand on sait qui commande, on sait à qui demander des comptes. Les administrations doivent être sous l’autorité directe soit des ministres, soit des préfets, soit d’un élu local. Faisons simple.

Vous fusionnerez ou fermerez des agences gouvernementales ?

Oui. Il faut se réorganiser pour être plus efficace. Ce sera à étudier au cas par cas, sans jamais tomber dans la critique facile de nos fonctionnaires qui font un travail remarquable.

Qui inclurez-vous dans les consultations à venir ? Les citoyens, les élus...

Tout le monde, citoyens compris. Les services publics, ce n’est pas qu’une affaire d’élus. Le Sénat doit être le moteur du débat comme Gérard Larcher l’a de nombreuses fois appelé de ses vœux. Les municipales et les sénatoriales auront lieu l’an prochain, les régionales et les départementales en 2028, c’est le moment idéal pour avoir cette discussion. Traiter le sujet maintenant, c'est donner de la visibilité aux futurs élus et aux électeurs. C’est un sujet où une majorité d’idées est possible.

"Laissez-moi le temps de préparer le budget"

Allez-vous remettre en question les exonérations de charges sociales ?

Laissez-moi le temps de préparer le budget !

Et la taxe Zucman ? Faut-il taxer davantage les ultra-riches ?

Il y a des questions de justice fiscale, de répartition de l’effort et il faut y travailler sans idéologie, j’y suis prêt. Attention néanmoins au patrimoine professionnel, car c’est ce qui permet de créer des emplois et de la croissance en France.

Ces questions doivent faire l’objet d’un échange approfondi. Je souhaite que l’on épargne celles et ceux qui travaillent. C'est pourquoi j’ai décidé de retirer la suppression de deux jours fériés. J’entends ce que disent nos concitoyens : ils veulent que le travail paie. Ce débat doit permettre d’ouvrir une réflexion sur le rapport que l’on a au travail. Et donc on ne peut pas toucher à la fiscalité sans évaluer l’impact sur l’emploi et les entreprises.

Retirer la suppression des jours fériés exigera de trouver d’autres sources de financement. Le dialogue avec les partenaires sociaux, la démocratie sociale, le paritarisme, doit fonctionner. Je vais m’y employer. Mais ce que nous ferons devra fondamentalement protéger le travail.

François Bayrou voulait réaliser 44 milliards “d’effort" dans le budget 2026. Le PS demande 22 milliards. Peut-on transiger ?

Face à huit journalistes de la presse régionale, dont Nice-Matin et Var-Matin, Sébastien Lecornu explique sa méthode, son état d’esprit et son style. Photo Stéphane Geufroi/Ouest France.

Ni déni, ni panique : ceux qui disent que le FMI est aux portes de Bercy mentent, autant que ceux qui soutiennent qu’on peut laisser la situation en l’état. Il faut donc poursuivre la réduction de notre déficit et c’est l’objet des consultations en cours.

"Nous payons l’instabilité"

L’agence Fitch vient de dégrader la note de la France. Qu’est-ce que ça change ?

Nous payons l’instabilité.

Mais derrière les notes et les chiffres, il y a les Françaises et les Français. Les taux d’intérêt, lorsqu’ils montent, ont un impact direct sur les finances de l’Etat, mais aussi directement sur la vie des ménages et des entreprises. C’est pourquoi le gouvernement devra proposer au Parlement de tenir une trajectoire saine pour les finances de la France. C’est aussi une question de souveraineté.

Relancerez-vous le conclave sur les retraites ?

Il n’en a jamais été question.

Le PS demande une suspension de la réforme Borne. Est-ce possible ?

Je ne vais pas faire des négociations par voie de presse interposée. Je suis là pour trouver des compromis. Pour le reste, ce sera - on le sait déjà - un débat pour la prochaine présidentielle.

Réforme de l’audiovisuel public, justice des mineurs, accords sur la Nouvelle-Calédonie, la Corse... Reprendrez-vous tous les grands dossiers en cours ?

Il m’appartient avant tout, pour travailler sur ces dossiers, de former un gouvernement.

Bruno Retailleau, Gérald Darmanin, Rachida Dati... Qui reprendrez-vous et quand annoncerez-vous votre gouvernement ?

Je veux d’abord que les formations politiques s’accordent sur le “quoi” avant le “qui”, comme l’ont dit justement Yael Braun-Pivet et Gabriel Attal.

Etes-vous pour un gouvernement resserré ?

Une action gouvernementale efficace exige le moins de ministres possibles, mais des ministres forts qui sont chefs de leur administration. Ils devront avoir le goût de la discussion parlementaire et du compromis. Et considérer qu’ils n’ont plus de majorité absolue en soutien. Il faudra accepter la sagesse du Parlement.

Rouvrirez-vous le sujet des avantages accordés aux anciens ministres ?

On ne peut pas demander aux Français de faire des efforts si ceux qui sont à la tête de l’État n’en font pas. La réforme, ce n’est pas toujours “pour les autres”, cela créé la suspicion. Beaucoup de choses ont été réglées pour les anciens Présidents de la République. Je vais donc mettre fin aux derniers privilèges qui sont encore accordés “à vie” à certains anciens membres du gouvernement.

"Si vous me demandez s’il faut passer un accord politique avec le RN, la réponse est évidemment non"

Qu’allez-vous faire d’autre pour réduire le train de vie de l’État ?

Les délégations interministérielles, les offices, se sont accumulées au fil du temps. Je vais demander à des hauts fonctionnaires en retraite, donc libres de toutes attaches, de gauche comme de droite, d'examiner tout cela. On va faire le ménage. Et je m’assurerai que les décisions prises soient vite suivies d’effets.

Quel avenir pour le projet de loi contre la vie chère outre-mer ?

C’est un texte porté par Manuel Valls que j’aurais rêvé de porter quand j’étais ministre des Outre-mer. Le Covid, à l’époque, m’a empêché de porter ces questions économiques et sociales. Ce texte a énormément de valeur, et s'il faut le renforcer, je serai évidemment à l'écoute pour le faire.

Allez-vous, comme François Bayrou, solliciter un vote de confiance ?

La méthode, c’est donner de la clarté au sein du socle commun, puis discuter avec les oppositions et laisser le travail parlementaire se faire.

Allez-vous négocier avec le RN ?

Si vous me demandez s’il faut passer un accord politique avec le RN, la réponse est évidemment non. En revanche, refuser de discuter à l’Assemblée avec des députés élus par un tiers des Français, ça n’aurait aucun sens. Il n’appartient pas aux ministres de trier les députés, ce sont les Français qui le font lors des élections.

La création de nouvelles maisons France Santé suffira-t-elle pour régler la question des déserts médicaux ?

Il faut désormais être créatifs. A Mâcon, en Saône-et-Loire, où j’étais samedi matin, les élus du conseil départemental, en lien avec les élus municipaux et les services de l’État, ont imaginé une nouvelle solution pour rapprocher l’offre de soin de nos concitoyens. C’est clé. C’était d’ailleurs une des aspirations du Grand Débat National et du Conseil national de la refondation au niveau local. Le gouvernement aura à mettre en place un réseau de 5 000 France Santé à 30 minutes de chaque Français d’ici 2027, à l’échelle de leur bassin de vie. Cette mesure sera inscrite dans le budget pour 2026. Il faudra que l’Etat fasse confiance, aux collectivités mais aussi aux acteurs du secteur. Cet objectif est réalisable précisément parce qu’on a beaucoup investi dans la santé depuis huit ans.

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