Après une enquête de longue haleine, un médecin légiste azuréen rend son identité à un soldat allemand mort à Sospel il y a 80 ans
Porté disparu en 1944, l’Allemand Enno Strobel vient d’être officiellement identifié grâce à ses empreintes, au terme du travail de longue haleine du médecin légiste français Jean-Loup Gassend. Une erreur dans son nom avait empêché de remonter à lui.
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Alice Rousselot (arousselot@nicematin.fr)Publié le 22/07/2025 à 13:30, mis à jour le 22/07/2025 à 13:30
Peter Strobel (pas encore né au moment de la photo de famille) a pu se rendre sur la tombe de son frère Enno grâce au travail de Jean-Loup Gassend.Photo DR
Quatre-vingts ans après, la science a parlé. Enno Strobel, enterré depuis fort longtemps près de Lyon, est bien le jeune soldat allemand qui avait été porté disparu à Sospel en 1944. Pourquoi ne pas avoir fait le lien avant? En raison d’une erreur d’orthographe sur son nom… Une toute petite lettre modifiée, et l’énigme était assurée.
La famille aurait pu rester éternellement dans le mystère, sans lieu où se recueillir, si un médecin légiste originaire de Villeneuve-Loubet, Jean-Loup Gassend, ne s’était pas lancé dans une longue enquête à son sujet. Lui qui s’attache depuis 2004 - sur son temps libre - à mener des recherches sur tous les disparus de la région lors de la Seconde Guerre mondiale. Une passion née dès l’enfance.
"Je suis arrivé à Villeneuve-Loubet quand j’avais 10-11 ans. Je demandais aux vieux s’ils avaient des objets de la guerre. J’avais entre autres été marqué par les forts de la ligne Maginot à Sospel - avec des douilles au sol comme s’ils s’étaient battus hier… Lors de ces échanges, les anciens me racontaient parfois des histoires", retrace le médecin. C’est grâce à eux qu’il avait ainsi pu retrouver les corps de 14 Allemands enterrés au bord du Mardaric. Avant qu’il n’élargisse ses recherches de Fayence à la frontière italienne.
Engagé dans cette quête, Jean-Loup s’était résolu il y a plus de dix ans à passer une semaine au Volksbund - le service s’occupant des sépultures militaires allemandes - pour recenser les disparus du secteur dans un tableau Excel. N’hésitant pas, ensuite, à contacter les familles, pour obtenir des photos et documents qui permettraient de faire avancer les choses. "La Croix-Rouge allemande avait répertorié pour chaque bataillon les soldats disparus depuis plus de dix ans. L’unité que l’on trouvait dans les Alpes-Maritimes avait été principalement recrutée en Silésie. Comme leurs noms en témoignent, ils étaient pratiquement tous Polonais. Et extrêmement jeunes: une grande majorité avait 17 ou 18 ans."
Jean-Loup Gassend a participé à des fouilles dans le cadre de ses recherches sur la Seconde Guerre mondiale.Photo DR.
Strubel=Strobel?
Sur la liste des grenadiers du régiment 7 figurait Enno Strobel. Un nom que Jean-Loup avait en tête quand il s’est rendu au cimetière militaire allemand de Dagneux - où tous les soldats morts dans le sud étaient envoyés. "Pour mes recherches, j’ai photographié toutes les tombes. Et là, je vois écrit Eno Strubel." Le médecin savait que "son" Enno - prénom très rare - était mort au mont Scandeïous, 1 km au sud de Sospel, le 11 septembre 1944. Sur la tombe, c’est pourtant la date du 12 qui est inscrite. Mais l’expérience lui permet de savoir qu’il s’agit en réalité de la date de son (premier) enterrement, soit le lendemain du décès.
La grosse coïncidence l’interpelle. Mais de telles enquêtes impliquent des contretemps. Sur la pierre tombale, aucune mention n’est faite de sa date de naissance, pas plus que de son grade. "Je retrouve sa trace dans la liste américaine. Il avait d’abord été enterré à Draguignan par le service funéraire américain. Il faut savoir qu’ils s’occupaient de leurs morts, des Canadiens, des Anglais. Mais aussi d’Allemands, car ils respectaient à la lettre la convention de Genève." Jean-Loup sait que les Américains s’en chargeaient principalement dans le cas de blessés morts dans leurs hôpitaux de campagne (à l’instar de celui de Draguignan).
Les récits historiques mentionnent une embuscade avec le 517e régiment de parachutistes américains au mont Scandeïous. Or, un infirmier des Alliés évoque dans un témoignage qu’un Allemand blessé au ventre se trouvait avec lui. Enno étant technicien orthopédiste, et vu les circonstances, comment ne pas imaginer qu’il s’agit du même homme? Jean-Loup sait aussi que les plaques allemandes ne portent pas le nom du soldat. Juste le bataillon auquel il appartient et un numéro mais pas de matricule. "Quand ils ont récupéré son corps, les Américains ont juste pu noter son numéro. L’erreur, c’est qu’ils n’ont pas mis de date de naissance, alors que le livret militaire qu’Enno avait dans sa poche disposait de ces informations. Je sais aujourd’hui que c’est en copiant son nom qu’ils se sont trompés. Strobel est devenu Strubel. Si ça avait été un "u" sur ses papiers, il y aurait eu un trait au-dessus. C’est donc bien un o."
Mais à cause de cette erreur, dit le spécialiste, l’Allemagne n’a jamais fait le lien entre le Strobel disparu, et le Strubel que l’armée américaine a remis après-guerre."J’ai tout envoyé aux Allemands il y a dix ans. Il y avait suffisamment d’éléments pour qu’ils considèrent qu’Enno Strobel avait été officiellement identifié."
Les empreintes d'Enno Strobel sur ses papiers d'identité ont été déterminantes dans l'enquête.Photo DR.
Peter, le jeune frère
En tant que médecin légiste, pourtant, Jean-Loup voulait aller plus loin. Aussi a-t-il réfléchi à la manière de faire pour l’identifier scientifiquement. "L’une des options aurait été de le déterrer et de faire un test ADN. Mais les Allemands ne le font pas. Deux autres méthodes existent: les empreintes dentaires, ou les empreintes digitales." Un nouvel adjuvant entre alors dans la danse: Peter, le jeune frère du soldat.
"Enno avait deux frères, eux aussi morts au combat. Mais après guerre, ses parents ont eu un quatrième enfant. Je suis donc allé dans sa famille. Et il se trouve que Peter avait conservé la pièce d’identité d’Enno présentant ses empreintes", pose Jean-Loup. Déterminé, alors, à comparer ces traces avec celles qui figurent sur le rapport d’enterrement américain - obtenu non sans peine - où il est d’ailleurs mentionné, comme cause du décès, un coup de feu à l’abdomen.
Enno Strobel avec ses deux frères, morts aussi au combat et ses parents.Photo DR.
Des empreintes formelles
"J’ai pu demander à un collègue de la police scientifique dans le Valais, Damien Gaillard, de comparer les empreintes. Il a procédé comme il le ferait pour une recherche aujourd’hui, avec plusieurs points de comparaison. Je viens de recevoir les résultats, et il a repéré au moins 12 endroits qui correspondent. C’est sans doute le seul cas de soldat disparu identifié grâce à ses empreintes digitales!", se réjouit le passionné.
Une dernière étape attend Jean-Loup avant de clore définitivement le dossier. Sur la liste des disparus au Mont Scandeïous, en septembre 1944, deux autres soldats sont cités. "C’est très probable qu’ils aient déserté, la pratique était courante. Mais si j’arrive à la prouver, on saura à 100% que notre homme est bien Enno Strobel."
Souci du partage
Jean-Loup Gassend compile une partie de ses recherches sur sa chaîne Youtube "Crocodiletear". Quiconque voudrait obtenir des renseignements, ou en donner, peut le contacter à l’adresse suivante: jean-loup@gassend.com
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