Alors que les visiteurs se pressent dans le caveau de vente de ce domaine situé à Bormes-les-Mimosas, face à la mer et aux îles d’Or, une révolution verte se joue dans l’arrière-cave d’Olivier Devictor.
Vigneron, président de l’association des Côtes de Provence La Londe, ses vins de belle facture ont acquis une solide réputation. Mais la grande aventure d’Olivier Devictor, celle qui délie vraiment sa langue, ce sont les sols. "J’en suis tombé amoureux il y a quinze ans, c’est ce qui m’anime", commente le vigneron.
Des végétaux fermentés pour soigner la vigne
Dans une cour, entre deux rangées de palettes, il a entreposé de grands contenants étanches où fermentent à l’abri de l’air tout un tas de potions: des macérations de prêle, d’ortie, de consoude (une plante connue dès l’Antiquité pour ses vertus médicinales), de la litière forestière fermentée (LiFoFer), un biofertilisant pour l’enrichissement des sols.
Debout devant ce "trésor" improbable, Olivier Devictor est intarissable: "J’utilise ces préparations naturelles pour apporter des éléments nutritifs à la vigne, booster ses défenses naturelles et avoir une plante la plus robuste possible face aux attaques extérieures. Depuis un an, j’applique de la LiFoFer sur les sols, ça leur apporte des bactéries, des levures et des champignons", explique-t-il.
Avec cet attirail plus bio que bio, le vigneron affirme avoir réduit de moitié ses doses de cuivre, un métal lourd qui s’accumule dans le sol, lutter efficacement contre la pression mildiou, "j’ai aussi réduit de moitié mes doses de sulfite lors des mises en bouteilles", complète-t-il. Tout cela, grâce au travail de recherche fondamentale, mené depuis vingt-cinq ans pour tenter de rétablir les fonctions écologiques des sols usés par la monoculture des vignes.
Six pieds sous terre
En 2000, quand le jeune homme revient au domaine familial fondé en 1980 par son père François Devictor, ingénieur agronome de l’école de Purpan (Toulouse), ceux-ci subissent une forte érosion: l’écoulement des eaux de pluie crée des ravines qui labourent la terre par endroits. Sans solution connue à l’époque.
Aux côtés de son frère aîné, Rémy, en charge de la partie commerciale, Olivier Devictor trouve dans ces problématiques une voie à explorer, en expérimentant des techniques iconoclastes.
"En 1980, mon père et mon oncle ont racheté sur un coup de cœur ce site préservé de 42 hectares protégé par le Conservatoire du littoral. J’étais enfant quand la cave a été créée et les premières vignes plantées, à neuf ans j’étais déjà sur le tracteur. Mais vigneron, j’ai voulu le devenir en abordant, par l’expérience, toutes les facettes du métier", raconte-t-il.
Formé en viticulture au lycée agricole d’Hyères, puis en œnologie et au machinisme à Montpellier, il s’envole six mois en Afrique du Sud. Ce parcours atypique nourrira sa réflexion.
"En Afrique du Sud, les vignerons enherbaient leur vignoble pour limiter les rendements, en créant une concurrence entre la vigne et les plantes. Il n’y avait aucun problème d’érosion, le sol était toujours tenu", observe Olivier Devictor.
À partir des années 2000, il met en place l’enherbement sur le vignoble familial, pour stabiliser les sols. En 2007, son champs de réflexion s’étend à la matière organique, une ressource clé pour la fertilité des sols, leur structure, le stockage de l’eau ou la nutrition des plantes.
Avec 0,8% de MOS (matière organique des sols), les terres de la Sanglière sont très pauvres. "Mon objectif a été d’augmenter la matière organique en multipliant les techniques: amendement de compost, enherbement, LiFoFer, pour atteindre aujourd’hui 2,5 à 3% de MOS, et jusqu’à plus de 6% sur une parcelle expérimentale", avance Olivier Devictor.
Un ovni en Provence qui a suscité l’étonnement des chercheurs d’EcoVitiSol, la grande étude de l’Inrae qui met en lumière la vie des sols.
Cette révolution verte se retranscrit dans le verre. Sur un terroir de schistes et micaschistes favorable aux raisins bercés par un microclimat maritime, les vins de la Sanglière ont bien des atouts pour séduire les palais: une minéralité qui tend et structure la bouche, l’éclat d’un fruit préservé, et une fraîcheur persistante.
"Une plante en bonne santé donne des raisins et des vins de grande qualité ", résume modestement le vigneron. Son plus grand plaisir reste de faire découvrir le vignoble matrice de ses vins, lors de Safaris tour en 4x4, organisés tous les mercredis à la Sanglière.
Dégustations
Prestige 2024
Ce rolle élevé six mois en demi-muids avec une pointe d’élevage en amphores (3%), révèle au nez des notes délicatement grillées, des arômes de poire et d’agrumes. La bouche est ronde, ample et charnue, une belle minéralité s’installe jusqu’à une finale fraîche, sur les saveurs citronnées et les notes d’eucalyptus. Avec des poissons cuits au four, un risotto de la mer, une pissaladière.
Côtes de Provence La Londe blanc, bio. 17,95 euros. Domaine de la Sanglière, à Bormes-les-Mimosas.
Prestige 2024
Ce rosé de grenache (80%) et de cinsault (20%) offre un nez intense de fruits jaunes, de pomelo, de noisette fraîche. En bouche, sa texture soyeuse et ronde révèle un profil intense et droit, qui s’étire jusqu’à une finale fraîche et longue. Avec des volailles en sauce, des crustacés cuisinés, une langouste à l’armoricaine par exemple.
Côtes de Provence La Londe rosé, bio. 16,95 euros. Domaine de la Sanglière, à Bormes-les-Mimosas.
Spéciale 2023
De beaux grenache (70%) élevés en cuve inox, des syrah (30%) passées en amphores pour préserver l’éclat de leur fruit, ce rouge gouleyant, au profil sanguin et net, charme par son fruité intense de griotte, de cassis et de mûre fraîche mêlés à la réglisse. Les tanins sont soyeux, parfaitement intégrés, la finale longue et fraîche. Avec des viandes grillées, des Saltimbocca à la sauge, un pavé de bœuf et sa sauce au fruits rouges.
Côtes de Provence rouge, bio. 13,45 euros. Domaine de la Sanglière, à Bormes-les-Mimosas.
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