Alors que Budapest s’indigne et que Moscou sermonne, une question surnage au-dessus de cette vague bouillonnante d’hystérie collective : est-il encore possible de raisonner sans sortir les couteaux ?
Faisons fi des vociférations des uns et des beuglements des autres. Ignorons les surenchères verbales qui, comme tout ce qui est excessif, sont insignifiantes. Revenons au sens. Que disent, en substance, ceux qui s’offusquent de l’inéligibilité de Marine Le Pen ? Qu’une personnalité qui "représente" onze millions d’électeurs ne devrait pas être "empêchée" par un tribunal.
Être élu – ou en probabilité de l’être – conférerait donc une forme d’immunité. Il faudrait une justice impitoyable pour les petits, les obscurs, les sans-grade. Et une autre, plus conciliante, réservée aux puissants.
Les cris d’orfraie oblitèrent la gravité des faits mis au jour
Ceux-là mêmes qui jugent notre démocratie "exécutée" ou "confisquée" savent pourtant que notre État de droit est fondé sur la séparation des pouvoirs. Les parlementaires votent les textes, les magistrats les appliquent.
Dénoncer un "gouvernement des juges" parce que ces derniers font leur travail n’est pas seulement stupide : c’est absurde. Tout comme le fait de fustiger un "jugement politique". Ç’aurait été le cas, au contraire, si l’ancienne présidente du RN avait bénéficié d’une peine plus clémente eu égard à ses engagements publics.
Le plus inquiétant est que les cris d’orfraie qui saturent l’espace médiatique oblitèrent la gravité des faits mis au jour. Marine Le Pen et ses proches ont été condamnés pour détournement de fonds publics – un délit qui justifiait naguère, selon la fille de Jean-Marie Le Pen, une "peine d’inéligibilité à vie". Dans une démocratie saine, c’est cela, et seulement cela, qui devrait susciter l’indignation.
Triste reflet d’une société fracturée : aujourd’hui, quand le doigt montre la Lune, une partie des Français regardent le doigt.
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