L’été dernier, dans le cadre du festival des Passeurs d’Humanité, le spectacle "Sœurcières" présentait une "exploration contemporaine de formes anciennes et symboliques du Féminin". Cette année, la danseuse Irene Piccolo a opté pour le contre-pied. Se tournant cette fois-ci vers le mâle. Parfois, hélas, indissociable du mal.
"Au début, il s’agissait juste d’un travail sur les femmes et le féminin. Mais à la fin du spectacle, tout le public s’est déversé sur scène. Il y a eu beaucoup de larmes et de tendresse. Les hommes présents m’ont dit que nous avions de la chance d’avoir un espace où s’exprimer", raconte la chorégraphe. Soulignant qu’à leurs yeux, peu d’occasions comme celles-ci se présentaient à eux. Sinon les chantiers participatifs proposés après la tempête.
Aucun danseur pro dans le groupe
"Je me suis interrogée sur ma légitimité à proposer un spectacle sur le masculin en tant que femme. J’ai questionné autour de moi. Puis je me suis autoproclamée en mesure de le faire", plaisante Irene. Qui a aussitôt ouvert les candidatures sur les groupes WhatsApp de la vallée. En quête d’hommes souhaitant participer, de tous les âges, de tous les parcours. "Contrairement aux femmes l’an dernier, des danseurs professionnels, dans le groupe, il n’y en a pas. Il y a un berger, un maçon, un guide, un psychologue… Mais par l’histoire, il y a encore du chemin à faire pour mener les hommes vers la danse." Question de laisser-aller, notamment.
Irene craignait bien sûr de ne pas recevoir suffisamment de candidatures, consciente qu’il fallait minimum dix hommes de la Roya pour que le spectacle ait un sens. "J’ai été retournée de voir leur sérieux et leur engagement. Ils vont se présenter face à une communauté qui les connaît dans leur métier. Tous sont reconnus dans leur profession. Mais ils ont accepté de se mettre à nu - dans tous les sens du terme."
Car dans cette nouvelle création - programmée demain à Breil (20 h 30) et dimanche à Castérino (17h) - Irene Piccolo a souhaité remonter à l’origine du mal.
"Cela part malheureusement de quelque chose d’évident: en termes de pourcentage, les acteurs principaux des viols, de la pornographie, des crimes, de la guerre… sont des hommes. Ce qui mène à une interrogation : qu’est-ce qui cloche?"
Alors la chorégraphe a fait entrer ses "sourciers" dans des costumes qu’ils n’ont pas l’habitude d’endosser. Des rôles répondant à des archétypes: le juge, le soldat, le guerrier. "Au début, il y a eu une grande résistance de leur part. Dans la vallée, beaucoup pensent être déjà libérés de cela. Ils ne voulaient donc pas être en position d’abuser ou de demander pardon pour des crimes que d’autres ont commis", souligne Irene. Insistant sur le fait que ce n’est pas par le raisonnement, mais par le corps que ces questions ont été abordées.
Et bien souvent, les Royasques ont découvert - non sans émotion - que la violence était encore là. "Mais ensuite, je les ai mis dans une situation où elle est plus ritualisée; honorée et cadrée. La violence peut être exprimée dans la catharsis", note Irene. Dont le spectacle fonctionne à l’image d’un parcours.
Le point de départ? L’enfance, bien sûr, qui cristallise pléthore de stéréotypes. Le petit garçon que l’on éduque à construire son identité en se coupant de ses émotions, à être dans la compétition et la performance.
"Les hommes se lisent alors des phrases que leurs proches leur disaient. Puis, on entame un voyage vers la déconstruction et la libération. L’idée, c’est d’accepter les multifacettes du masculin. D’admettre les blessures du patriarcat, y compris chez eux", poursuit la chorégraphe.
Consciente que cette expérience artistique et humaine pousse les sourciers à souhaiter être un autre père, un autre compagnon, un autre frère que ceux des modèles véhiculés. "Ils disent déjà qu’ils ne ressortent pas pareil de cette expérience. Et j’ai pu constater qu’une réelle dimension de fraternité était ressortie."
Conçu comme une trilogie
Désormais pensé comme une trilogie, le spectacle d’Irene Piccolo passera par un ultime volet. Reflet de la rencontre entre les hommes et les femmes. "D’un point de vue humain, c’est quelque chose qui m’est nécessaire. Je suis dans une quête de compréhension, de sens par rapport aux relations", glisse la mère de deux garçons. Attachée à donner aux hommes le droit à la vulnérabilité et à la douceur.
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