C’était il y a plus d’un an déjà. Le 5 juin 2024, fou de chagrin à l’idée d’avoir perdu Annie, sa muse, son épouse, Ben avait décidé de la rejoindre en se donnant la mort dans leur demeure de Saint-Pancrace, à Nice. Suscitant une vive émotion chez les artistes, politiques ou admirateurs anonymes. Qui avaient fait fleurir moult messages dans la cour de l’hôtel de ville niçois. Une onde de choc ressentie au-delà de nos frontières, puisque les œuvres de ce représentant de l’Avant-garde artistique post-moderne qu’était Ben figurent également dans les plus grandes collections privées et publiques du monde, de New York à Sydney. Cet esprit provocateur et subversif n’était cependant pas toujours pris au sérieux par certains critiques d’art. Comme le rappelle la réalisatrice Sylvie Boulloud dans un film intitulé Mais, qui est Ben? qui sera projeté pour la première fois à l’Artistique, à Nice, ce vendredi 19 septembre.
Bien avant Warhol
En ce lieu-même investi par le mouvement Fluxus auquel il appartenait. Et où des performances de Benjamin Vautier dit Ben, avaient été filmées par Jean Ferrero. "Ben, souligne Sylvie Boulloud jointe au téléphone, avait tendance à s’autoflageller. Pourtant il a non seulement été un artiste déterminant de l’école de Nice, mais l’initiateur d’un nombre considérable de mouvements, bien avant Warhol."
La rencontre de la réalisatrice avec lui remonte au début des années 90. "J’ai commencé à travailler dans le domaine de l’art lorsque j’avais une vingtaine d’années. Pour la galerie Taménaga à Paris, spécialisée dans les tableaux impressionnistes, modernes et contemporains. Pour Drouot, aussi. En me rendant un jour à une ‘‘anti-FIAC’’ [Foire internationale d’art contemporain, ndlr] qui se tenait à la Bastille, j’aperçois Ben sur un stand. Il présentait une réédition de ses Blagues art de 1979 à 1988, un coffret qui devait peser dans les trois kilos! Dans l’esprit Hara-kiri de l’époque, que j’adorais. Je lui ai demandé de me le dédicacer pour ma fille. Nous avons ensuite poursuivi notre conversation à chaque fois que je descendais sur Nice ou que lui venait à Paris."
Un film "à la Agnès Varda"
Rattrapée en 91 par la crise économique consécutive à la guerre du Golfe, Sylvie Boulloud a alors l’idée de monter une émission, Paris Zapping, devenue Art city TV, diffusée dans des hôtels tels que le Plaza Athénée, le Meurice ou le Bristol. "À l’époque, c’était des VHS. J’ai réalisé un programme de 20 minutes en anglais, chinois, français et russe sur la culture à Paris et j’ai proposé à Ben de le filmer. Grâce à lui j’ai pu en faire autant avec Bernar Venet quand il a exposé sur le Champ-de-Mars, César, Arman et bien d’autres, une centaine au total."
D’inestimables archives dont elle fait don au Centre Pompidou, à la bibliothèque Kandinsky. D’où cette suite logique: "En 2009, Ben me dit: ‘‘Sylvie, tu n’arrêtes pas de me filmer. Il faut que tu fasses un film à la Agnès Varda’’. C’est ainsi que j’ai fait Ben par Ben, avec une première production, grâce à lui, qui m’a présentée à [l’éditeur] Flammarion, lui-même m’ayant fait rencontrer [la productrice] Sophie Goupil. Un objet presque expérimental de six heures!"
Il y a un peu plus de deux ans, Ben fait suivre à Sylvie Boulloud un message des éditions Montparnasse, qui souhaitent lui confier un nouveau projet de film sur l’artiste. Résolue à ancrer toujours plus l’auteur de la théorie de l’ego dans l’histoire de l’art, Sylvie Boulloud s’en empare et accomplit un travail de titan. Un montage fait d’archives d’artistes rencontrés pendant trente ans et de séquences plus récentes, notamment au musée d’art naïf Anatole Jakovsky à Nice, portées par la parole brute de l’artiste. Qui ne verra hélas jamais le résultat, puisqu’il nous quittera avant.
Un travail de titan
Le documentaire lui-même a failli ne jamais voir le jour: deux jours après avoir appris, de la bouche d’Eva Vautier, leur fille, la disparition d’Annie et Ben, Sylvie Boulloud, sous le choc, fait tomber le disque dur de son ordinateur, qui ne répond plus. "Il est resté en salle blanche, pendant deux mois, sans que je sache si le travail de montage d’un an et demi était réduit à néant ou pas." Au terme d’efforts inouïs, Mais, qui est Ben? est remonté. Un film de 78 minutes en forme de réflexion sur le rôle de l’artiste dans la société qui défie, questionne et transforme notre perception du monde.
Drôle, insolent, émouvant, ce film regorgeant de témoignages, qui met notamment en exergue l’amitié et les défis que se lançaient les artistes de l’école de Nice, a beaucoup plu à Eva Vautier. Et révèle Ben comme un artiste majeur, qui a hissé la vie au niveau de l’art. Au-delà de ses célèbres écritures blanches sur fond noir.
Vendredi 19 septembre à 18h. À L’Artistique, 27 boulevard Dubouchage à Nice. Rens. 04.97.13.47.70.
De Nice à New York, Ben encore mis à l’honneur
Tandis qu’une expo collective, La Fabrique du temps, mettant notamment Ben à l’honneur, se tiendra au Musée de la Poste à Paris jusqu’au 3 novembre, une autre intitulée A bas l’impérialisme, en référence à plusieurs de ses tableaux-écritures, lui sera consacrée à Blois, à la Fondation du doute, du 4 octobre au 14 décembre (www.fondationdudoute.fr). Une œuvre de Ben fait aussi partie d’un nouveau parcours, The Art of Assemblage, au MoMA de New York…
"Dans la tête de Ben" à la Villa Arson
À Nice, dans le cadre de la programmation hors-les-murs du Musée d’art moderne et d’art contemporain (Mamac, fermé pour travaux), sera présenté Dans la tête de Ben, de Jonathan Gensburger, Sophie de Montgolfier et Guillaume Geoffroy de la Compagnie du Dire Dire (samedi 20 septembre à 15 h et 17 h à la Villa Arson). Le pitch : « Quelques mois après la disparition de Ben, nous sommes partis à la rencontre de ses proches avec un micro. Quel angle choisir ? Comment parler de lui ? Avait-il déjà tout dit, rien dit ? Un peu sceptiques, nous avons enregistré, écouté et lu. Puis nous avons décidé de sauter à pieds joints et sans élastique dans la tête de Ben. » Sous l’œil de Jonathan Gensburger, les comédiens Guillaume Geoffroy et Sophie de Montgolfier s’emparent de matériaux récoltés lors de recherches et d’interviews et plongent avec le public dans la tête de Ben. Lequel prépare une performance intitulée Dans la tête de Ben. Il parlera de vérité, d’art, des peuples, de pâtes au pistou et peut-être, de lui. Ses obsessions, ses inquiétudes, son accent, des listes et un petit tas de poussière. Un sujet d’exposition où vie et art sont indissociables, un autre personnage : assistante, alter ego, amie, Annie ? Et le public aussi, comme autant de pièces de Lego à bouger, classer, déranger…
Un "speed dating" artistique
Sur les Terrasses des Ponchettes à Nice, dimanche, place à un Speed art dating à l’occasion des Journées européennes du patrimoine (dimanche 21 septembre à 14 h, 15 h, 16 h et 17 h). Invité par le Mamac et le Service Ville d’art et d’histoire de Nice, le public pourra participer à un face-à-face insolite : surplombant la mer, il pourra partager cinq minutes ultimes avec des figures emblématiques, du passé et du présent, de la scène artistique, culturelle et patrimoniale de Nice. Ben, Yves Klein, Niki de Saint Phalle, des étudiants de la villa Arson, les équipes du Mamac, une écrivaine, un archéologue, Emmanuel Régent, Garibaldi et Lucia de Lammermoor…
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