Pour lui, c’est un virage incontournable depuis son baptême du feu entre Tertre Rouge, Hunaudières, Mulsanne et Arnage, au siècle dernier, à l’aube des années 90. Lui? Yannick Dalmas! Un nom inscrit en lettres d’or au Hall of Fame des 24 Heures du Mans, comme Tom Kristensen, Jacky Ickx, Derek Bell, Frank Biela, Emanuele Pirro, Olivier Gendebien, Henri Pescarolo, Sébastien Buemi. Fidèle parmi les fidèles, le pilote varois, héros puissance 4 du mythique double tour d’horloge (1992, 94, 95, 99), empile désormais les participations en qualité de Driver Advisor (pilote conseiller) auprès de la direction de course. Ce samedi, à 63ans, il a aussi endossé le rôle honorifique de Grand Marshal dans le baquet de la Porsche précédant les 62 bolides durant le tour de chauffe, jusqu’au départ donné par l’illustre Starter de la 93e édition, un certain Roger Federer. Contact!
Yannick, cette nomination pour la 93e édition, vous l’avez vu venir ou ce fut une surprise?
Pierre Fillon (le président de l’Automobile Club de l’Ouest, ndlr) m’avait fait part de son souhait à ce sujet l’an dernier. Compte tenu de mon lien très fort avec les 24 Heures du Mans et des responsabilités qui sont les miennes aujourd’hui dans le monde de l’endurance, il tenait à m’honorer de la sorte. Voilà, il fallait juste savoir si le rôle de Grand Marshal était compatible avec ma fonction de Driver Advisor. Une fois le doute levé, la décision a été entérinée en début de saison.
Que représente une telle distinction pour vous?
Forcément, c’est touchant. Ça me fait plaisir de rejoindre les grands personnages de la discipline nommés Grand Marshal tour à tour ces derniers temps. Beaucoup de pilotes, de responsables d’écurie, croisés depuis l’annonce m’ont félicité. Entre parenthèses, je me demande si cela ne marque pas le début de la fin... (rires) Bon, moi, à vrai dire, je n’y songeais pas spécialement. Il n’y avait rien d’impératif dans mon esprit. On m’a expliqué qu’après tout ce chemin parcouru, en compétition puis au sein de l’organisation, c’était logique, un prolongement naturel. OK!
Ce tour de chauffe XXL au volant de la leading car, comment le prépare-t-on?
Nous avons effectué une simulation en milieu de semaine, histoire de peaufiner tous les détails. C’est une tâche que j’ai l’habitude d’accomplir lors des autres manches du WEC (le championnat du monde d’endurance) où l’on boucle deux tours de formation avant le top départ. Là, on n’en fait qu’un seul mais le circuit est beaucoup plus long (13,626km, 33 virages) il y a 62 voitures derrière vous au lieu de 36. Vous devez lâcher les concurrents à 16h pile. Pas à 15h59 ni à 16h01. Donc il y a une cadence à respecter strictement, un temps imparti pour franchir les secteurs 1, 2, 3... Précision extrême de rigueur.
Depuis quand coiffez-vous la casquette de Driver Advisor? Et en quoi ça consiste?
Au tout début, en 2012, je devais officier pour trois manches. La mission a donc été prolongée puisque j’enchaîne là ma treizième saison. Concrètement, lorsque le collège des commissaires statue sur un incident de course, j’aide les stewards à bien analyser la situation avec mon expertise de pilote. Souvent, ils doivent décortiquer les vidéos, la télémétrie, avant de trancher. Je suis là pour les éclairer. Et en même temps, j’accompagne les concurrents auditionnés avec un maximum de bienveillance afin qu’ils puissent s’expliquer, et qu’ils comprennent la décision. Je suis un peu leur avocat. Je les défends... s’ils sont défendables.
Votre rôle a-t-il évolué au fil du temps?
Oui, le directeur de course a élargi la fonction. Je travaille également avec les médecins de la FIA pour les procédures d’extraction dans les différents pays visités par le WEC. Ensemble, on multiplie les simulations à bord des Hypercars, des LMP2, des GT3, où je fais office de cobaye. Car dans les cas d’urgence, après un gros choc, l’intervention doit être la plus rapide, précise et précautionneuse possible.
Comme le démontre le nombre de constructeurs engagés qui ne cesse d’aller crescendo, le WEC est en train de vivre sa meilleure vie. Comment expliquez-vous cette montée en puissance?
La raison numéro 1, c’est la réglementation qui s’appuie sur deux mots-clés: stabilité et souplesse. Pour évoluer dans la catégorie reine, depuis 2021, vous avez le choix entre deux types de véhicules: LMH (Le Mans Hypercar, où le constructeur dessine et conçoit le châssis qu’il souhaite) et LMDh (Le Mans Daytona h, où le châssis provient de l’un des quatre fournisseurs disponibles... dont le Varois Oreca). À chaque firme de décider en fonction de son budget, de sa philosophie. De nombreuses grandes marques ont ainsi décidé de venir ou de revenir en endurance où il y a de sacrés défis à relever: gagner les 24 Heures du Mans, le championnat du monde... De quoi générer un engouement extraordinaire, des bagarres superbes. Et attirer toujours plus de jeunes pilotes qui veulent faire carrière. Car ils se rendent compte que ce n’est pas une voie de garage.
Il y a trente ans presque jour pour jour, vous décrochiez la troisième de vos quatre victoires au Mans. Ça vous paraît loin ou c’était hier?
Trente ans déjà... Je n’ai pas trop vu le temps passer. Mais je m’en souviens comme si c’était la saison dernière. Une GT qui dame le pion aux protos, ça n’arrive pas tous les quatre matins. Avec cette McLaren F1 GTR difficile à piloter mais rapide et fiable, mes coéquipiers (le Finlandais J.J. Lehto et le Japonais Masanori Sekiya) et moi avions su tirer bénéfice d’une météo favorable. Plus de 20 heures de pluie... Sur une piste sèche de bout en bout, sûr que l’histoire aurait été différente.
Peugeot, Porsche, McLaren, BMW: vous êtes le seul héros des 24 Heures du Mans ayant triomphé avec quatre constructeurs différents. Allez, dites-nous: quel était le secret?
Écoutez, l’endurance en général et Le Mans en particulier, c’est d’abord un travail d’équipe. Avec vos coéquipiers, avec le management, les ingénieurs, les mécanos, il faut établir une relation fluide. Parler, proposer, comprendre, convaincre... Il faut de l’expérience, de la confiance, du partage. Et au bout de la route, la victoire arrive parce que tout le monde a fait le job. Au Mans, on gagne ensemble ou on perd ensemble. Seul, vous ne gagnez rien. Jamais.
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