"Bolt entre et lance: Ah, chic, y a un McDo"... Avant son dernier meeting Herculis, le directeur Jean-Pierre Schoebel se replonge dans ses souvenirs
Directeur d’Herculis depuis 1987 et la création du meeting monégasque, Jean-Pierre Schoebel va passer la main en fin d’année. Âgé de 76 ans, avant sa dernière ce vendredi (19h), il a remonté le fil de ses souvenirs.
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Christopher RouxPublié le 09/07/2025 à 07:00, mis à jour le 09/07/2025 à 07:00
Jean-Pierre Schoebel se souvient de la simplicité de la légende jamaïcaine Usain Bolt. Photo archives Nice-Matin
Jean-Pierre, vous allez passer la main. Que ressentez-vous?
Herculis est un événement passionnant à organiser. Il mêle plein de choses, c’est du contact, du relationnel, une équipe de jeunes très sympa avec laquelle il est agréable de travailler. Pour moi, venir au travail reste un plaisir chaque matin.
Alors pourquoi ce départ, sans attendre la 40e édition?
Il n’y a aucune logique. Ça s’est fait progressivement. J’ai rencontré mes deux patrons il y a trois mois et je leur ai dit: "C’est acté, au 1er janvier 2026, je souhaite m’arrêter". Ma femme trouve que je reste passionné, mais j’ai quand même 76 ans et je dis toujours que la vie est bonne jusqu’à 80. Après, on commence à décliner. J’ai donc quatre années qui viennent et j’ai envie de les vivre sans contrainte. C’est pareil pour l’école d’athlétisme au club à Monaco. Je m’occupe encore un peu des enfants de 8 ans avec un immense plaisir, mais je voudrais continuer comme remplaçant. Si demain je veux partir quatre jours pour aller voir mes sept petits-enfants, je pourrai le faire. Ils sont au Canada, à Paris et à Clermont-Ferrand. J’avais envie d’avoir du temps libre et moins de pression. Peut-être que ça me manquera, mais c’est une page que je souhaite tourner.
Il y aura forcément de l’émotion à la fin de ce dernier meeting...
Je vis les choses comme d’habitude. À la fin du meeting, je serai un peu ému mais je n’y pense pas (sa voix se serre). Je reviendrai en spectateur, avec plaisir. L’athlétisme restera ma passion, je pratique depuis tout jeune. Pour l’instant, je suis très content d’avoir eu ce parcours. Herculis a impacté ma vie personnelle, c’est clair. Il a été 40 ans de ma vie, mais il n’a jamais été un esclavage. C’était du 24h/24, vacances comprises, mais ça a été une passion.
"J’avais envie d’avoir du temps libre et moins de pression."
Jean-Pierre Schoebel s’est entouré d’une équipe jeune et dynamique pour organiser le meeting Herculis.Photo: Cyril Dodergny.
Revenons à la genèse de ce meeting. Tout débute en 1987...
Ça a été un souhait du Prince Albert. On avait fait un match en 1985 pour inaugurer le Louis-II, on l’a refait en 1986 avec des résultats moyens. Lors du débriefing, le Prince dit qu’on fera un meeting en 1987. Je connaissais ce monde de l’athlétisme, c’était le mien et ça m’est tombé dessus quand on s’est dit qui va s’en occuper? Je savais que ce serait une tâche difficile et j’avoue que j’y suis un peu allé en traînant les pieds.
Vous ne vous sentiez pas capable d’assumer une telle responsabilité?
Je vais peut-être être prétentieux. Je ne me suis pas vraiment posé la question. J’ai davantage pensé à la charge de boulot, à ce qui allait m’attendre. En 1975, j’étais venu à Monaco comme prof de gym au lycée Albert-Ier. J’étais à la fois prof et entraîneur au club d’athlétisme. J’étais déjà très impliqué mais je voyais bien que ce serait quelque chose de plus et ça l’a été. La gestion du meeting, j’ai commencé bénévolement en plus de mes heures. C’est devenu du temps complet avant l’an 2000. J’ai aussi eu la chance d’avoir à mes côtés un collaborateur, Frédéric Choquard. J’ai l’impression qu’on a toujours été ensemble, depuis 38 ans, et il va prendre la suite.
Quels souvenirs gardez-vous de la préparation de la première édition?
Il fallait d’abord se faire connaître. Même si Monaco appelle au rêve, ça n’a pas été facile. Du jour au lendemain, en novembre, on te dit: "On va faire un meeting en septembre". Mon Dieu. Tu fais ton petit dépliant avec ta date, tes épreuves, une belle photo de Monaco. Mes collègues des meetings de Paris et Lausanne, Raymond Lorre et Jacky Delapierre, m’ont aidé à mettre en route ce bébé. J’ai appris en organisant ce que d’autres apprennent en trois ou quatre ans d’études. L’organisation de la finale mondiale du circuit IAAF (en 1989 et 1995) a été un apprentissage terrible.
Pourquoi?
En quelques années, on est passés d’un meeting européen à un meeting IAAF. On a intégré la Golden League en 1997 (l’ancêtre de la Diamond League) avec de plus en plus d’exigences. Tu es évalué sur tout: l’hôtel, les repas, les résultats… Tu peux même avoir des amendes. Pour nous, ça a été l’aspiration vers le haut. Ça nous a professionnalisés.
"Pérec, c’était vraiment la très grande classe, même si j’ai aussi eu des difficultés ."
Jean-Pierre Schoebel a eu une première vie de décathlonien avant de prendre la direction du meeting Herculis. Il a notamment participé aux Jeux Olympiques de Munich en 1972.Photo: Cyril Dodergny.
Les athlètes ont vite suivi?
Il a fallu aller dans les meetings étrangers, voir les managers et leur demander s’ils étaient intéressés pour venir. C’est comme ça que j’ai appris le métier. Ça a été fastidieux pour avoir le respect de tous et gagner en crédibilité. Mais les gens nous ont rapidement fait confiance, une fois que tu as montré ce dont tu es capable de mettre en place, comment tu traites les gens et comment tu honores tes contrats... On n’a jamais vendu des choses qu’on ne pouvait pas réaliser. Aujourd’hui, on a sept personnes à temps plein dans l’organisation du meeting.
Comment avez-vous géré les difficultés?
Les difficultés, je pense qu’on a toujours su s’y adapter. Elles peuvent venir de détails et devenir importantes. On a parfois eu des soucis, l’équipe s’est retrouvée aux quatre coins du stade, mais le plus important, notre art, c’est que le spectateur ne s’aperçoive de rien. Le meeting de 2020, en pleine pandémie, a été une fierté. Il n’y avait plus rien niveau compétition et il n’y a qu’à Monaco qu’on pouvait en faire une. On a monté un meeting totalement nouveau en raison des règles sanitaires.
Comment avez-vous appréhendé la concurrence des autres meetings?
Ça s’est fait progressivement. Nous, plus que d’autres, on est capables de faire des concessions, par exemple au niveau du calendrier pour accorder des dates. On part du principe qu’on doit aider les collègues. Mais on n’est pas vraiment concurrents. Quand les autres voient que tu es réglo et que tu fais ton boulot, l’appréciation arrive.
Quels sont les athlètes qui vous ont marqué?
Celui qui a fait nos beaux jours, c’est Carl Lewis. Je trouvais l’athlète exceptionnel. Il était cher, son manager était exigeant sur des contrats de 35 pages, mais il ne calculait pas, ne disait pas: "Je ne cours pas contre lui". Il y avait aussi Marie-Jo Pérec. Elle venait systématiquement et à chaque fois on était obligés de dire aux gens qu’on n’avait plus de billets à deux jours du meeting. C’est arrivé avec elle et Bolt en 2011 et 2017. En 1992, après les Jeux de Barcelone, on avait affrété un charter à l’aéroport de Gérone pour la ramener. C’est un souvenir marquant. C’était vraiment une très grande classe. Même si j’ai aussi eu des difficultés (rire).
Lesquelles?
Elle voulait tel couloir, que toutes les bonnes athlètes soient à l’extérieur et devant elle. Je me souviens de son agent gêné et embêté. En 96, elle avait un peu boudé. J’avais dû mettre une Américaine à l’extérieur. J’ai dû discuter avec le manager de cette athlète et lui offrir de l’argent pour qu’elle n’ait pas le couloir qu’elle méritait. C’est la première fois où j’ai remis en cause ma logique sportive. Mais bon, on a été contents de l’avoir. J’ai revu Marie-Jo à Paris dernièrement. Elle est adorable, elle a poussé l’athlétisme.
"Bolt? C’était moins de 200.000 dollars."
Vous aviez aussi une relation singulière avec Usain Bolt…
Je me souviens qu’on va au meeting de Rome en 2017 avec mon collègue Rémy Charpentier pour faire notre plateau athlètes. On avait déjà pas mal avancé. Un collègue nous dit: "Félicitations pour Bolt". On lui dit: "Comment ça?" Il répond que Bolt a annoncé que sa dernière course en meeting se ferait à Monaco avant qu’il n’arrête. On a contacté son manager et on lui a demandé "Combien voulez-vous? On n’a pas les moyens de le payer". On a discuté et il a mis l’argent de l’un de ses sponsors qu’on a fait figurer sur son dossard. On a payé la moitié de sa prime d’apparition. Il aurait pu faire des surenchères mais il ne l’a pas fait. Quand il est arrivé à l’héliport, avant d’aller à l’hôtel, il est resté dix minutes à signer des autographes aux petits du club. Il aurait pu être beaucoup plus difficile d’accès. Il m’a fait rire aussi. Une fois, il entre au Fairmont et lance: "Ah, chic, y a un McDo" (il se marre).
Pour faire courir Bolt, le chiffre de 250.000 dollars a circulé en 2011...
On n’a jamais payé si cher. Il me semble que c’était moins de 200.000 dollars (168.829 euros).
Avez-vous déjà retoqué un athlète?
Ce n’était pas un scandale mais on avait marqué les esprits une année avec Jackie Joyner-Kersee (triple saut et recordwoman du monde de l’heptathlon avec 7291 points en 1988). À l’époque, on payait en cash avant ou le soir du meeting et son manager m’avait demandé les bonus de résultat avant le meeting. Il insistait et j’ai dit que je ne donnerais pas cet argent. Il m’a dit: "Si c’est comme ça, on s’en va". J’ai répondu: "Vous pouvez partir". Tout le groupe de Joyner-Kersee est parti. Tous les managers et même la presse britannique avaient été… (Il ne termine pas sa phrase). Je crois que c’est la seule fois de ma vie où j’ai vraiment été intransigeant. Dans ce métier, de toute façon, tu négocies pour tout.
La pire organisation, c’est 2016, le lendemain de l’attentat de Nice?
Oui. Dans la nuit, à 3h, j’ai des coups de téléphone insistants. Je ne dors pas à côté de mon téléphone mais je me lève quand même. C’était la police de Monaco. Elle voulait me voir dès 8h pour décider de l’annulation ou pas. J’ai été au commissariat avec Bernard Fautrier, l’ex-vice-président de la Fédération. On a dit qu’on le ferait quand même. Tout le monde était là, les athlètes étaient prêts. On savait que le public ne répondrait pas présent et on l’a fait le cœur gros. D’autant plus que le coach d’un club venu pour les 1000m a été tué par le camion. On peut toujours dire qu’on aurait pu annuler, mais on a rendu hommage aux gens décédés. Est-ce qu’il fallait continuer à vivre? Oui.
C’est dit
Sur ses rêves en 1987
« Quand on a commencé, je me disais que j’aimerais avoir une fille qui fasse moins de 4’00’’ sur 1500 m. D’un coup (en 1998), j’en ai huit sous les 4’00’’ (en 3’58’’43 ou moins dans une course remportée par la Roumaine Gabriela Szabo en 3’56’’97). Ça a éclaté. Là, tu te dis que tu rêves. » Le record qui aurait pu se faire « Un jour, on a échoué pour un centième sur le record du monde du 3000 m steeple masculin. J’en avais un peu voulu à mon speaker parce qu’il ne s’était pas aperçu qu’à un tour de l’arrivée il était possible qu’il soit battu. Ça se voyait mais il n’a pas emporté le public. Bon, ça nous a fait faire des économies parce que c’est 50 000 dollars pour un record du monde (rire). »
Sur le Prince Albert qui préside la Fédération monégasque d’athlétisme
« C’est mon président. J’ai pensé qu’il quitterait la Fédération quand il a pris les rênes de la Principauté (en 2005), mais il reste un support malgré ses responsabilités, quelqu’un de passionné par le sport. Il veut savoir qui vient, pose des questions. Il est impliqué. »
Sa plus grosse colère
« Plus qu’une colère, c’est une déception, c’est la bagarre Baala-Mekhissi (en 2011, à la fin du 1500 m). Je leur avais retiré leurs primes. Je n’avais pas compris tout de suite ce qu’il s’était passé avec le brouhaha. Je leur avais dit mon incompréhension. Ils avaient la piste pour s’expliquer. Si tu as de la rancune avec quelqu’un, tu règles tes comptes en courant. »
Comment il vit chaque meeting ?
« Une fois la soirée lancée, je suis accaparé par mon rôle avec nos invités et nos partenaires, en tribune. Je dirais que je suis davantage dans le relationnel aujourd’hui. Mon rôle sur le terrain a diminué. »
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