Nus masculins et "cœurs allégoriques": à Sospel, l'artiste Zeu Hi s’amuse des tabous
De son atelier à Sospel, Zeu Hi réinvente l’art avec audace et liberté. Entre créations provocantes et passion pour le populaire, elle bouscule les codes et surprend...
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Lisa RicordiPublié le 20/08/2024 à 16:00, mis à jour le 20/08/2024 à 16:00
L'artiste Zeu Hi.Photo NM
Tôt dans l’après-midi, le soleil méridional caresse ardemment les ruelles pavées de Sospel. Au loin, une silhouette colorée attire l’attention. Jupe multicolore aux allures ethniques, chemise fuchsia et compensées à paillettes. Sa coiffure est millimétrée, ses yeux profonds, ses lèvres charnues. Une élégante punk, raffinée et rayonnante. Lorsque Laura Dani commence à parler, ses idées fusent dans un tourbillon d’énergie créative.
Au café Le Zèbre, véritable quartier général de la petite commune, la jeune femme, connue sous son nom d’artiste Zeu Hi, nous attend. À ses pieds, Milla, un labrador tout sage, observe la scène avec tranquillité. Pour la jeune femme, Le Zèbre n’est pas qu’un simple café. "C’est un lieu de rencontres, d’amitiés", et surtout un espace où ses œuvres trouvent leur place parmi les discussions endiablées des habitués.
"J’aime l’idée que mes œuvres soient exposées dans des endroits populaires, où les gens passent, discutent, boivent un coup et ne s’attendent pas forcément à voir de l’art", confie-t-elle en montrant un petit endroit aménagé en espace artistique.
"L’art a un côté élitiste, mais aussi très populaire. J’aime ce mélange, j’aime que tout le monde puisse y avoir accès, puisse en parler, avec de la musique, du spectacle. L’art est vivant."
Le goût du trompe-l’œil
Depuis son enfance, Laura n’a jamais cessé de dessiner. Pourtant, un syndrome de l’imposteur l’a longtemps empêchée de se lancer pleinement dans la peinture. "On me disait 'tu n’es pas sûre d’être une Picasso'", raconte-t-elle. Pragmatique, elle se tourne vers des études d’histoire de l’art et de lettres. Mais au fond d’elle, elle le sait. Sa voie est ailleurs. Pendant trois ans, elle travaille dans la restauration, amassant des fonds pour réaliser son rêve: intégrer une école à Versailles spécialisée dans le trompe-l’œil. "Je me suis lancée, j’ai tout arrêté. En regardant un reportage sur France 3, je me suis dit 'c’est ça que je veux faire', le lendemain j’ai appelé et tout s’est enchaîné".
Cette décision marque un tournant décisif dans sa vie. Convaincue d’avoir "trouvé sa place", elle crée ses cartes de visite et se lance à corps perdu dans ce nouveau monde, avant même d’obtenir son diplôme. "Je le sentais au fond de moi, il était temps de me lancer". Lors d’une soirée, Zeu Hi rencontre inopinément les entreprises Lacour à Versailles.
"J’y suis allée au culot ! La semaine d’avant, notre prof nous avait fait visiter un château dont la réfection venait d’avoir lieu, il avait dit que le faux marbre était mal fait, je partageais son avis. Quand j’ai vu le fils des entreprises Lacour, je lui ai tendu ma carte en lui disant 'le jour où tu veux quelqu’un qui sait vraiment faire un faux marbre, tu m’appelles', ça n’a pas loupé."
Très vite, elle décroche des contrats prestigieux, découvrant les coulisses de châteaux et autres lieux secrets, où elle laisse son empreinte artistique. Après douze ans passés à enchaîner les chantiers en région parisienne, cette boule d'énergie ressent le besoin de s’exprimer plus librement, sans que l’on lui impose une façon de travailler. Malgré le vertige de l’inconnu, elle choisit l’indépendance pour "se consacrer pleinement à la peinture telle qu’elle la conçoit".
Des séries audacieuses
Laura revient à Sospel, sa bulle créative. Dans son atelier, situé à la Vasta supérieure, elle donne vie à des séries d’œuvres toutes plus fascinantes les unes que les autres. Parmi elles, trois grands projets émergent. D’abord, une "Malmuse", mettant en avant le nu masculin et qui consiste à pasticher de grands tableaux classiques en mettant en scène "un homme immense, fin et moustachu", qui existe bel et bien et qui est un ami.
"J’ai commencé à le dessiner par hasard, car j’ai du mal à dormir, puis ça nous a dépassés et l’inspiration n’a cessé de grandir. Ça lui a fait drôle d’être exposé, mais au fond il n’a aucun souci avec ça ». À travers cette série, elle déconstruit l’image de l’homme dans la société, remettant en question les injonctions telles que "ne pas pleurer", "être viril". "On a des inconscients de représentation. Par exemple, pour certaines femmes, voir un sexe d’homme ne pose aucun problème, en revanche, une vulve met mal à l’aise... L’art permet d’aller au-delà".
Laura souligne la part de féminité présente en chaque homme, offrant une perspective nouvelle et puissante. "Comme je signe mes œuvres sous un pseudonyme, certains s’imaginent que je suis un homme homosexuel, quand ils voient que je suis une femme, ils s’interrogent, moi ça m’amuse. Comme s’il fallait être un homme gay pour peindre la nudité masculine!", lâche-t-elle dans un rire.
Parmi ses grands travaux artistiques, Laura a pensé toute une série de fruits et légumes aux connotations suggestives. Tout est parti "d’une tomate en forme de vulve envoyée par une amie". Le succès fut au rendez-vous. Depuis, de nombreuses personnes lui envoient des photos de fruits et légumes aux formes évocatrices, nourrissant sans cesse sa créativité. Une de ses marques de fabrique: les cœurs allégoriques, réalisés au feutre à huile. Ces œuvres, empreintes de symbolisme, évoquent la complexité des émotions humaines.
Sospel au centre de l’œuvre
Quand il s’agit de créer, pas de trêve pour Zeu Hi. "Griffonner sur des carnets, croquer des choses abstraites, c’est aussi du travail car cela débloque des réflexes cognitifs et me donne de l’inspiration.
La nuit, cet oiseau nocturne trouve une inspiration inépuisable, laissant libre cours à son imagination débordante. Son travail incite à la réflexion, bouscule les tabous, et offre une perspective nouvelle sur le monde. Laura souffle un vent de liberté et de création insatiable au cœur du village.
Et c’est ici, au café Le Zèbre, au cœur de cette communauté qu’elle aime tant, qu’elle partage son art, son monde, avec ceux qui ont la chance de croiser son chemin. "J’ai commencé à donner des cours aux enfants, car ils m’apportent beaucoup dans leur réflexion et leur rapport à l’art. Au final certains me considère comme leur professeure de dessin, pourtant je ne pensais pas être une grande pédagogue. Ça me touche beaucoup et je suis ravie de pouvoir développer mon activité localement, même si ce n’est pas toujours évident", livre Zeu Hi, la tête remplie de nouvelles idées pour démocratiser l’art dans ce lieu qu’elle chérit tant.
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