Six douaniers débarquent à la frontière
12 octobre 1962. Minuit. Sur la Basse Corniche, six douaniers français se posent à la frontière monégasque. Dans un sens comme dans l’autre plus personne ne passe. En France, le président de la République, le général de Gaulle, vient de décider du blocus de la Principauté.
À l’origine de cette crise diplomatique, le conflit autour de la chaîne monégasque Télé Monte-Carlo qui vient de passer sous contrôle de la Sofirad, une société de droit français qui détient aussi Radio Monte-Carlo (RMC). Le 14 janvier 1962, le prince Rainier publie une ordonnance permettant à la société monégasque « Images et sons » de reprendre le contrôle de TMC.
Derrière cette brouille qui a été l’étincelle du conflit, il y a surtout l’exaspération plus large du général de Gaulle contre ce paradis fiscal qui attire les grandes fortunes de France, qui récupère les avoirs des riches pieds-noirs en train de quitter précipitamment l’Algérie, qui fait venir à lui les entreprises les plus dynamiques…
Dans la nuit du 24 janvier 1962, Émile Pelletier, ministre d’État, demande une audience au prince Rainier pour réclamer l’abrogation de l’ordonnance qui permet de récupérer Télé Monte-Carlo.
Rainier proteste et crie à l’ingérence française.
Selon certaines versions, Rainier aurait alors giflé le ministre d’Etat. Dans ses mémoires, Traversée d’une époque, Émile Pelletier dément: "La conversation s’écartait du sujet même de la réunion, se transformant en une vive altercation (sans voies de fait comme certains ont voulu le présenter !), et ma conclusion fut rapide : ‘‘Monseigneur, je quitte cette maison où vous ne me verrez plus!"
Le prince rétorqua: "Vous voulez dire ce palais!" et j’acquiesçais en quittant le salon où nous étions réunis."
Le général de Gaulle n’en reste pas là. Il demande la renégociation de tous les accords fiscaux avec Monaco, mais les discussions n’aboutissent pas. Dans la nuit du 12 au 13 octobre 1962, la France décide alors d’un blocus de Monaco et envoie des douaniers et des gendarmes mobiles établir un contrôle à la frontière. Les 200 hectares du territoire monégasque sont entourés d’un cordon douanier.
"Pour faire le blocus de Monaco, il suffit de deux panneaux de sens interdit", ironise alors le Général.
Le 13 octobre, Nice-Matin titre sa Une: "Contrôle douanier aux frontières de Monaco depuis hier minuit".
Des contrôles qui ne font finalement que ralentir les automobilistes de la Côte d’Azur. Même si les Monégasques redoutent que la France leur coupe l’eau, le gaz, l’électricité, bref, les assiège !
Ce premier soir de blocus, sur la Basse Corniche, on aperçoit même certains Monégasques qui agitent des drapeaux blancs. En guise de pacification?
Finalement, l’affaire se règle pacifiquement au bout de quelque mois. Des conventions (de voisinage, fiscale, douanière, postale, téléphonique, pharmaceutique…) sont signées en bloc le 18 mai 1963.
Un impôt sur les bénéfices pour les sociétés qui réalisent plus de 25% de leur chiffre d’affaires hors de Monaco est instauré. Les Français vivant dans la principauté sont soumis à l’impôt, sauf s’ils peuvent justifier de cinq ans de résidence au moins au 13 octobre 1962.
Entre-temps, Monaco est devenu une monarchie constitutionnelle, le 17 décembre 1962.
Dans le contexte des drames de l’époque (guerre d’Algérie, crise des missiles de Cuba, premiers morts du mur de Berlin…), la crise entre le Rocher et Paris semble finalement une aimable comédie. Elle fit néanmoins couler beaucoup d’encre.
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