0 806 23 10 63. Un numéro de téléphone qui peut sauver des vies. Dix chiffres comme des bouées de sauvetage.
Comme le rappelle Céline, victime varoise de Joël Le Scouarnec que nous avons rencontrée, le dispositif "Stop" (pour "Service Téléphonique d’Orientation et de Prévention"), permet à des personnes ayant des pulsions pédophiles de se confier anonymement, afin d’être aidées. Et contribue par extension à éviter de nouvelles potentielles victimes.
Au bout du fil, à Marseille, des "Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles" (Criavs). Dans lesquels des psychologues dispatchent ensuite les nouveaux patients vers des psys locaux.
C’est le cas d’Émilie Montourcy, psychologue clinicienne cannoise qui a vu, depuis la mise en place de ce service en 2019 en Paca (en 2020 dans le reste de la France)-, défiler les profils.
Est-il possible de faire taire ses pulsions?
Le champ est miné, tant l’affect l’emporte sur tout le reste dans ce type d’affaires, qui touchent aux enfants. De nombreux psys refusent d’ailleurs de se risquer à cet exercice trop périlleux.
"D’une part, il faut faire le distinguo entre les personnes qui ont des penchants pédophiles et les pédocriminels auteurs d’infractions sexuelles, que je reçois parfois dans le cadre d’une obligation de soins" à la suite d’une décision de justice, précise la psychologue.
Ainsi, s’il faut déjà avoir dépassé son sentiment de culpabilité pour pouvoir composer le numéro (qui s’adresse en priorité à ce public "en questionnement"), Émilie Montourcy affirme entendre des histoires qui révèlent souvent de fantasmes amplifiés, de limites à poser, surtout quand il s’agit d’adolescents ou de jeunes adultes encore en construction.
Dans ces cas de figure, le secret professionnel prime. “Tant que la personne n’est pas passée à l’acte, on l’oriente vers des thérapeutes”, pour de plus longues sessions, et des parcours de soins spécifiques.
La psychologue l’assure: il est possible de faire taire les pulsions, de se "soigner" en suivant une thérapie très jeune, dès l’apparition des premiers désirs.
"Travailler sur les obsessions"
"La chronicité est primordiale, à savoir que l'évolution du trouble est chronique, qu’elle va étendre son emprise au fil du temps si rien ne se met sur son passage. Dans le cas de Joël Le Scouarnec, il semblerait qu'il se soit laissé 'envahir', selon ses propres mots, par sa pédophilie. En général, je refuse d’ailleurs de voir des patients de plus de 30 ans".
Est-ce à dire qu’il est trop tard pour agir lorsque la personne est déjà passée à l’acte? "Non, répond-elle toutefois. Cela dépend vraiment des profils, et c’est le rôle des experts de travailler avec les patients pour réduire les risques".
"Certaines personnes, par exemple, nous appellent parce qu’elles ont visionné des vidéos pédopornographiques. Il faut alors travailler sur leurs obsessions et leurs distorsions cognitives, les confronter à leur état dépressif, pour que du remords émerge… et que cela n’aille pas plus loin."
Cycle de la violence
Rappel: 60% des pédocriminels (pédophiles étant passés à l’acte) ont subi des violences sexuelles dans l’enfance. Un chiffre qui relativise malgré lui l’image d’Épinal du "vieux papy enfermé avec délectation dans sa perversion", que l’opinion publique aimerait éliminer… comme dans cette "affaire Le Scouarnec". Habituellement, rien n’est tout noir ni tout blanc.
"J’ai suivi un jeune adolescent de 13 ans qui avait agressé sexuellement sa petite sœur de 6 ans. En commençant à parler avec la petite victime, je suis donc remonté jusqu’à lui avant de me rendre compte, en déroulant le fil de cette famille, qu’il était lui-même régulièrement agressé par sa grande sœur, elle-même victime du père."
Un cycle de la violence sexuelle facilité par la chape de plomb du silence, comme c’est le cas dans de nombreux cas d’incestes.
Mais un cycle qu’il est possible d’interrompre en agissant suffisamment tôt. La bouée de la psychologie, pour éviter à tout prix le couperet de la justice.
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