On savait que la crise sanitaire avait fait exploser le mal-être chez les jeunes, mais les données manquaient pour les enfants. Le 20 juin, une première étude nationale révèle que 13% des 6-11 ans présentent au moins un trouble probable de santé mentale. 5,6% des enfants de cette tranche d’âge présentent un trouble émotionnel probable, 6,6% un trouble oppositionnel probable (comportement provocateur, défiant l’autorité) et 3,2% un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) probable. Des parents azuréens témoignent.
Stéphanie, mère de Stan, 9 ans
"Nous avons un adolescent dans le corps d’un petit garçon"
"C’est un vrai gentil… avec un trop plein d’énergie et d’émotions. J’aimerais tant l’aider, savoir comment réagir." Quand elle parle de son petit garçon, Stéphanie, employée du secteur vétérinaire, transpire d’amour et de bonnes intentions. Depuis plusieurs années, son fils, Stan, aujourd’hui âgé de 9 ans, rencontre des difficultés. "J’ai l’impression qu’il coche toutes les cases des troubles évoqués dans l’étude dont vous parlez", confie-t-elle d’entrée. "Notre enfant est constamment en opposition, avec nous mais aussi avec toute personne qui pourrait brider sa liberté. J’avais une très belle complicité avec lui quand il était petit. J’ai maintenant l’impression d’être toujours sur son dos, de crier, de répéter, de punir. Nous avons un adolescent dans le corps d’un petit garçon", explique Stéphanie.
"Il a pris conscience de la mort à 4 ans. Il est incroyablement émotif"
Comme le met en exergue la récente étude sur la santé mentale des 6-11 ans, cette mère de deux enfants (dont un plus jeune) a clairement identifié l’impact de la pandémie de Covid-19 sur son aîné, déjà très émotif avant et doté de réflexions plus matures que son âge. "Il a pris conscience de la mort à 4 ans. Il est incroyablement émotif. Il était tout petit quand un jour, au parc, il m'a demandé de monter avec lui dans une structure. Je lui réponds que c’est impossible à cause de ma taille. Dans la voiture, il s’est mis à pleurer et m’a dit: c’est nul d’être un adulte, on ne peut plus s’amuser."
"Rester dans le rang, respecter tous ces protocoles sanitaires, il n’y arrivait pas"
Lors du 1er confinement, Stan, en avance dans les apprentissages, apprend à lire tout seul. A son retour à l’école, la lourdeur des règles lui pèse. "Il est très actif. Rester dans le rang, respecter tous ces protocoles sanitaires, attendre 1h30 pour un lavage de main quand toutes les classes doivent passer, il n’y arrivait pas. Et puis il n’y avait plus d’anniversaire avec les copains, moins de légèreté…"
Quinze jours après sa rentrée au CP, il saute une classe à la suite d'une alerte du maître, la psychologue scolaire le diagnostique alors Haut potentiel intellectuel. "On n’a cessé de me demander: vous l’avez fait tester? Mais quantifier son QI, on ne voit pas ce que cela pourrait lui apporter. Ce que nous cherchons, c’est un accompagnement sur le comportement. J’en ai parlé à mon médecin traitant qui nous a dit que cela allait être difficile de trouver un praticien dans le coin", retrace Stéphanie.
"En tant que parents, on se sent seuls face à cette situation"
Si elle a choisi de témoigner, c’est avant tout pour partager le sentiment de "se sentir seuls en tant que parents face à cette situation". "Dans le système scolaire, l’écoute et la compréhension dépendent de l’interlocuteur. L’année dernière, sa maîtresse passait son temps à lui donner des lignes en guise de punition", déplore Stéphanie, qui aurait aimé que la psychologue scolaire "prenne des nouvelles de Stan, réponde à mon mail quand je lui ai demandé des conseils pour savoir qui consulter". A la rentrée prochaine, les parents du garçon se laisseront 15 jours pour entamer des démarches de leur côté.
Vanessa, maman d’Angelo, 9 ans
"Je veux que mon fils soit bien, qu’on ne le condamne pas d’office"
Angelo est en CP quand l’école alerte sa mère sur des troubles de l’attention. "Il fallait le canaliser au sein de la classe, à l’aide d’élastique en bas des jambes pour lui permettre de faire des mouvements en évitant qu’il ne se lève…", raconte Vanessa, qui l’élève seule et rencontre des difficultés avec son aîné de 23 ans, concerné par des faits de délinquance. "J’avais terriblement peur que Angelo tombe dans le mimétisme. Pendant le confinement, il a été spectateur du comportement violent de son frère, on nous a dit que son trouble de l’attention venait de ce climat intra-familial", ajoute-t-elle. Au quotidien, cette maman varoise se démène pour aider son fils.
"Les délais de prise en charge ne sont pas ceux des besoins de l’enfant"
Neuropsychologue, neurologue, psychologue… Ces dernières années, la vie du petit garçon a été rythmée par les consultations. Pour comprendre et aider Angelo. "Il a redoublé son CE1, il se décourage vite, sans forcément perturber la classe mais, pour lui, c’est dur", confie Vanessa. En octobre dernier, la psychologue de l’école identifie clairement le besoin pour Angelo de bénéficier d’un Accompagnant pour élève en situation de handicap (AESH). Mais son année de CE2 se déroule pourtant sans cette aide précieuse.
"C’est un processus tellement long, les délais de prise en charge ne sont pas ceux des besoins de l’enfant, déplore Vanessa. Son dossier doit d'abord passer en commission MDPH et le délai d’attente est de 6 mois. Dans les faits, il y a une pénurie d’AESH au niveau national, Angelo n’en aura sans doute pas avant novembre et il se peut que l’accompagnement soit limité dans le temps."
"En tant que parent, si on lâche prise, ça ne marche pas"
Depuis les premiers bilans passés par le petit garçon, sa mère a décroché un premier diagnostic. "Ils ont révélé un trouble sévère de l’attention. Mon fils est sous traitement médicamenteux depuis le 10 février, pour le canaliser. Il est beaucoup plus posé, il pleure moins", détaille-t-elle, parfois épuisée par l’ampleur de la tâche. "Pour les parents, le parcours est très difficile. Si on lâche prise, ça ne marche pas. Angelo vient enfin de démarrer une thérapie en centre médico-psychologique pour enfants. J’ai trouvé une orthophoniste, il a eu son premier rendez-vous le 30 juin. L’alerte avait été donnée dès ses 6 ans, il en a 9. C’est beaucoup d’énergie", explique celle qui se bat avant tout pour l’avenir de son enfant. "A l’école, on me dit déjà que si rien n’est fait, il ira en SEGPA. Mon espoir, c’est qu’il soit bien, qu’on ne le condamne pas d’office."
Marie, maman de Pablo*, 9 ans (les prénoms ont été changés)
"Le système scolaire n’a pas les moyens d’accompagner les enfants différents"
Dès la crèche, Marie a remarqué que son petit garçon, aujourd’hui âgé de 9 ans, rencontrait des difficultés. "C’était compliqué, il était souvent rejeté, davantage intéressé par le monde des adultes, passionné par les cadenas et les portes plutôt que par les Playmobil ou les Lego...", explique cette Varoise, mère célibataire. "Un jour, j'ai été convoqué par la directrice. Il jouait tout seul dans le coin toilettes quand tout le monde faisait la ronde. J’ai tout de suite eu la sensation que c’était toujours de ma faute…"
C’est au moment de l’année de CP de Pablo que les choses s’accélèrent, sous l’effet du Covid et de ses conséquences. "Pendant le 1er confinement, on s’est retrouvé livré à nous-mêmes avec des tonnes de devoirs, en appartement, au 2e étage. On n’y arrivait plus. Pour sortir la tête de tout ça, j’ai créé avec lui une page Facebook de soutien aux soignants. Pablo prenait la situation très à cœur, alors qu’il n’avait que 6 ans. Il anticipait les annonces du président", se remémore Marie, très angoissée elle-aussi pendant la pandémie de tomber malade et de laisser son enfant orphelin.
"Il cogite tout le temps, surtout sur l’actualité, il a du mal à s’endormir…"
Sous pression des injonctions de l’école, où le comportement de Pablo fait l’objet de remarques très fréquentes, Marie trouve du soutien dans un établissement privé où son fils évolue depuis sa rentrée en CE1. La maman se démène dans le monde médical pour poser des mots sur les maux de son garçon, trop souvent rejeté par ses camarades à cause de sa différence. "Il cogite tout le temps, surtout sur l’actualité, il a du mal à s’endormir…" Psychomotricienne ergothérapeute, orthophoniste, médecin spécialisé dans les troubles à l'école, ophtalmologue, neuropsychologue… Le diagnostic est posé : trouble de l’attention avec dyspraxie, une perturbation de la capacité à effectuer certains gestes et activités.
"On n’a pas le droit à la différence sur cette Terre?"
Et après? "Je me bats pour qu’il soit accompagné. C’est un petit garçon qui a tendance à se laisser aller du fait de ses difficultés; Il n’est pas capable, par exemple, d'écouter et d’écrire en même temps. On attend un ordinateur pour qu’avec l’aide d’une ergothérapeute il apprenne à taper rapidement, mais seule la MDPH qui peut nous fournir un soutien financier, et c’est lent…"
Le combat de Marie, c’est aussi celui du respect de son fils dans l'intégrité. "Une année, une maitresse m’a dit: écoutez, avec moi, les enfants rentrent dans des cases, il va falloir faire quelque chose. Oui, mon fils est dans la lune, il n’écoute pas, il n’est pas bien assis mais quand elle m’a dit ça, je me suis dit: alors, on n’a pas droit à la différence sur Terre? J’ai l’impression que le système scolaire n’a pas les moyens, je ne remets pas la faute sur les enseignants malgré ce qui s’est passé, ça manque de formation, de temps, de soutien au niveau de l’éducation nationale”, tempère Marie, qui investit 1400€ par an dans les consultations dédiées à Pablo.
Si elle témoigne, c’est pour pousser un cri: "quand est-ce qu’on va voir le bout du tunnel, qu’on va vraiment pouvoir l'aider? Dans notre pays, tellement d’enfants sont laissés de côté!"
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