"Mon seul regret, c'est que ça n'ait pas marché !" On a rencontré l'homme qui a voulu tuer le général de Gaulle il y a 60 ans à Toulon

Gilles Buscia est le dernier protagoniste encore en vie de l’attentat raté contre le général de Gaulle, le 15 août 1964 au mont Faron, à Toulon. Rencontre avec cet ancien « soldat » de l’OAS.

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Ma. D. Publié le 28/06/2024 à 18:40, mis à jour le 28/06/2024 à 18:45
Clichés de Gilles Buscia pris lors de sa première arrestation en 1963. Aujourd’hui âgé de 86ans, diminué physiquement, le Varois ne souhaite pas être pris en photo. Photo DR

Chemise blanche impeccable et pantalon à pinces, Gilles Buscia nous reçoit dans son salon avec vue imprenable sur le massif des Maures. Depuis près de trois décennies, l’homme de 86 ans coule une retraite anonyme dans un petit village du Var. S’il confesse avoir d’importants problèmes de santé, sa mémoire est intacte. Tout comme son verbe, féroce, et la haine de celui qu’il continue d’appeler le "fossoyeur de la France", mort il y a pourtant plus d’un demi-siècle à Colombey-les-Deux-Eglises.

"Je suis l’un des maîtres d’œuvre de l’attentat contre Charles de Gaulle, le 15 août 1964, au mont Faron", pose-t-il, abrupt. Ce jour-là, une jarre piégée fut placée sur le passage du président de la République, en visite officielle à Toulon pour inaugurer le mémorial du débarquement de Provence. Mais d’explosion meurtrière, finalement, il n’y eu point; la capitale du Var s’ajoutant à la liste des attentats ratés contre l’homme du 18 juin.

Recherché par toutes les polices de France

En cette époque troublée, Gilles Buscia, 26 ans, est chef de commando de l’OAS en métropole. Comme tant d’autres, écœuré par le désengagement de l’État français en Algérie, ce parachutiste des unités d’élite a intégré l’Organisation de l’armée secrète. Le groupe clandestin multiplie les opérations terroristes, y compris après la signature des accords d’évian en 1962, qui entraînent la fin de la guerre et l’indépendance de la désormais ex-colonie. Gilles Buscia, déserteur, est alors traqué par la police. Il vient d’abattre d’une balle dans la tête un commandant de l’armée de l’Air à la retraite.

"En 1963, on m’avait arrêté avec trois camarades et condamné à mort pour un certain nombre d’actions, y compris l’élimination de barbouzes, raconte-t-il sans la moindre pudeur, le visage impassible. Mais le 4 septembre, je suis parvenu à m’évader de la prison de Fresnes. J’ai ensuite rejoint l’Italie où j’ai pu rencontrer Jean-Jacques Susini."

Réfugié dans la péninsule, le cofondateur de l’OAS en est aussi devenu le chef depuis l’arrestation de Raoul Salan. Malgré l’affaiblissement du mouvement, cet intellectuel n’a pas abandonné l’idée d’assassiner le général de Gaulle. Le président de la République, ennemi numéro 1 des partisans de l’Algérie française pour avoir "trahi" la cause, est un miraculé de plusieurs projets d’attentat, dont celui du Petit-Clamart. Cette fois, Jean-Jacques Susini, qui sait pouvoir compter sur la détermination et le "mental d’acier" de Gilles Buscia, ne veut rien laisser au hasard.

Après avoir renoncé au dernier moment à piéger la tribune d’honneur pendant le défilé du 14-Juillet à Paris, un nouveau mode opératoire est arrêté. L’assassinat est cette fois programmé au pied de la tour Beaumont, à Toulon, où doivent être célébrés les vingt ans du débarquement de Provence. Empreint d’une "rage froide", Gilles Buscia constitue son équipe.

Vingt kilos de cheddite et trois pains de TNT

"Je suis allé trois fois en repérage au Faron", poursuit le Varois, alors discrètement hébergé en bord de rade chez des camarades de l’OAS. "Nous ne savions pas si de Gaulle allait arriver en hélico ou par la route. Puis on a identifié ce gros pot en terre cuite, le long de l’escalier qui mène au mémorial. Nous étions certains qu’il allait passer devant. Les explosifs m’ont été fournis. Une nuit, tous feux éteints et accompagné de deux complices, j’ai placé la charge dans la jarre."

Vingt kilos de cheddite et trois pains de TNT sont disposés au fond du récipient le 28 juillet. De quoi faire un maximum de victimes. La plante – "une griffe de sorcière" – a été soigneusement rempotée. Seule l’antenne de l’émetteur dépasse de quelques centimètres. Au moment propice, deux complices dotés de fausses cartes de presse auront pour mission de s’approcher au plus près de la machine infernale pour la déclencher. Gilles Buscia repart en Italie.

Une petite explosion… treize jours après

Le jour J, à 15h45, le général de Gaulle, entouré de Pompidou, Malraux et huit autres ministres, stationne trente secondes devant la jarre en descendant de son véhicule. Depuis Rome, Jean-Jacques Susini et Gilles Buscia ont l’oreille collée au poste de radio pour ne rien manquer du moment fatal. Retransmise en direct, la visite du président de la République à Toulon est empreinte de solennité et d’exaltation de la grandeur de la France. Mais rien ne se passe… et le général regagne Paris.

Le plus étrange est à venir. Le 28 août 1964, treize jours après, une flamme blanche finit par jaillir de la jarre, qui vole en éclats sous les yeux stupéfaits du gardien du mémorial. La déflagration est minime et ne fait aucun blessé. Détail troublant: quelques secondes auparavant, une DS noire est aperçue quittant en trombe le sommet toulonnais.

De Gaulle sauvé par les services secrets?

"On n’a jamais su ce qui s’était passé, reconnaît notre interlocuteur. Ceux qui devaient déclencher la bombe le 15 août ont effectivement été empêchés d’approcher par les CRS. Mais même sans ça, il n’y aurait pas eu d’explosion: après l’incident de la jarre, la police a retrouvé trois kilos de TNT mais aucune trace de la cheddite. Je suis persuadé que notre plan avait été déjoué bien avant."

Officiellement, un jardinier zélé a arrosé le récipient en terre cuite juste avant le passage du général de Gaulle, noyant le dispositif de mise à feu! Une hypothèse cocasse mais surtout "ridicule", d’après Gilles Buscia, qui a sa propre idée sur la question. "Sur les photos de la cérémonie parues dans Paris-Match, on voit qu’il n’y a plus la griffe de sorcière dans la jarre. Ça ressemble à un coup des services secrets."

Sa théorie? Le fameux SDECE, organe de contre-espionnage français, a eu vent de l’attentat commandité par Jean-Jacques Susini – "il y a eu trahison, c’est évident" – qu’il est parvenu à contrecarrer au dernier moment. Souhaitant tout de même instrumentaliser l’image d’un général résistant aux factieux, le pouvoir a lui-même fait sauter la jarre deux semaines plus tard.

Pour le jeune membre de l’OAS, considéré comme un activiste extrêmement dangereux par les autorités, la cavale durera huit mois de plus. Son arrestation en avril 1965 à Marseille scelle la fin de sa fuite en avant mais également celle des opérations meurtrières de l’organisation. Jugé dans cette affaire exceptionnelle avec quatorze autres prévenus, Gilles Buscia sera condamné à la perpétuité et enfermé sur l’île de Ré… seulement trois ans. En 1968, une loi d’amnistie lui vaut d’être gracié. Les années suivantes s’écriront entre l’Afrique et le sud de la France, où ce spécialiste du maniement des armes vend ses compétences "dans le domaine de la sécurité".

"Mon seul regret, c’est que ça n’ait pas marché"

Pile soixante ans après le complot du mont Faron, au crépuscule de sa vie, l’octogénaire ne concède aucun repentir. "Mon seul regret, c’est que ça n’ait pas marché, balaye-t-il, glaçant. Notre cause était la bonne. La preuve: nous payons encore aujourd’hui les conséquences de la politique conduite par cet imposteur de de Gaulle." Quant aux victimes civiles que l’attentat aurait pu causer, là aussi, Gilles Buscia reste droit dans ses bottes. "La foule était à bonne distance. Ce n’était pas du terrorisme mais un acte de guerre. Et puis parlons des innocents que de Gaulle a fait tuer en Algérie!"

Le Corse qui se rêvait jadis enseignant répète jusqu’à plus soif les mots "vengeance" ou "trahison". Son regard s’assombrit à l’évocation du plus illustre président de la Ve République, à qui il a même consacré un ouvrage écrit à l’encre de son venin. S’il s’en défend, Gilles Buscia semble toujours consumé par un feu intérieur. "Ça fait quarante ans que je n’ai plus d’illusion sur ce pays, qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans l’abîme. J’ai tiré un trait sur la France. Mais je ne renie rien de ce que j’ai dit, pensé ou fait."

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