"La ville est presque entièrement dans la mer": le cardinal Louis d’Aragon décrit Monaco lors d'un voyage en 1517

Au début du XVIe siècle, le cardinal, envoyé en mission par le pape Alexandre VI, découvre Monaco qui, à l’époque, n’est pas encore une principauté mais une seigneurie.

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André PEYREGNE Publié le 02/01/2024 à 16:52, mis à jour le 02/01/2024 à 16:52
Le cardinal Louis d’Aragon; le jeune Charles Quint, roi d’Espagne, et le seigneur Lucien de Monaco. Photos DR

Le cardinal Louis d’Aragon, fils du roi de Naples Ferdinand Ier et petit-fils, par sa mère, du comte Antonio de Vintimille, avait été nommé par le pape Alexandre VI administrateur de plusieurs diocèses du sud de l’Italie et de l’Espagne. Il voyageait donc beaucoup. En 1517, allant rencontrer le roi d’Espagne Charles Quint, âgé d’à peine 17 ans, il passa par Monaco. Cet État n’était pas encore une principauté mais une seigneurie. Le cardinal Louis d’Aragon laissa un témoignage de son passage sur ces rivages dans un récit écrit par son secrétaire, Don Antonio.

En novembre 1517

Le cardinal, qui ne se déplaçait qu’avec une escorte considérable (lire encadré), arriva en novembre 1517 dans la région. Après avoir effectué un pèlerinage à la Sainte-Baume, il fut reçu à Cannes par l'évêque de Grasse, abbé de Saint-Honorat de Lérins, qui n’était autre qu’Augustin Grimaldi, frère du seigneur Lucien de Monaco.

Extrait du récit du cardinal (publié dans le Journal de Monaco du 16 mars 1915): "Cannes, où Monseigneur l'évêque de Grasse nous accueillit très aimablement et où nous fîmes très bonne et abondante chère, avec force gros et excellents poissons, appartient à l'abbaye de Sa Seigneurie appelée Saint-Honorat… L'évêque y demeure tout le carême et ordinairement la plus grande partie de l'avent et la vigile de chaque saint. En bon religieux, il jeûne tous ces jours-là. Le 29 novembre (1517), de Cannes, nous sommes allés avec Monseigneur Grimaldi déjeuner à Antibes, qui est éloignée de deux lieues. Dans cette ville, qui est très jolie et abonde en excellent muscat, nous fûmes fort aimablement reçus par le neveu de Monseigneur de Grasse qui en est seigneur. D'Antibes nous allâmes avec Monseigneur l'évêque de Grasse et son neveu, très gentil jeune homme d'environ vingt ans, dont la femme très belle et gracieuse se montre peu, dîner à Nice, qui se trouve à trois lieues. Une lieue avant d'arriver, nous avons passé à gué, bien qu'il y eût une barque, une rivière: le Var, qui sépare l'Italie de la France, ou plutôt de la Provence..."

Un beau château fort

Puis c’est l’arrivée à Monaco: "Monaco est à neuf milles de Nice, par une route si uniformément mauvaise qu'on n'y trouve pas une palme de bon chemin, tout est en montées escarpées. Sur toute cette route de Nice à Monaco, on voit au flanc des montagnes descendant jusqu'à l'eau une quantité de caroubiers et quelques oliviers. Monaco, ville qui appartient au frère de l'évêque de Grasse, est située sur une petite colline en promontoire, arrondie et peu élevée; elle se trouve ainsi presque entièrement dans la mer. La ville occupe tout le plateau, ses murailles très fortes, bien comprises et admirablement pourvues d'artillerie, entourent tout le mont. À la porte par où l'on entre, car il n'y en a qu'une, se trouve un beau château fort, muni d'habitations nombreuses et commodes; on a pratiqué dans la pierre trois ou quatre ouvertures tout exprès pour faire manœuvrer l'artillerie sans craindre de nuire aux habitants. De sorte que, tant pour l'emplacement que pour les fortifications du château et les murs de la ville, que pour l'importance de l'artillerie, le nombre des couleuvrines, des canons et fauconneaux, tous de bronze, le bon ordre et la bonne garde qu'y tient son seigneur, Monaco est réputée très forte. Il y a déjà plusieurs années, alors qu'elle n'était pas encore aussi fortifiée, elle fut attaquée par les Génois, et bien qu'ils fussent très nombreux, ils furent taillés en pièces et ruinés par le seigneur de la ville. Dans la garde du château est compris l'armement d'un petit navire très solide, chargé d'aller au-devant de tous les vaisseaux, jaugeant huit cents tonnes au moins, qui passent au large, venant d'Occident, afin de leur faire payer le droit de deux pour cent qui revient au seigneur de Monaco. Ce seigneur, qui est son maître absolu, ne dépendant d'aucun prince, fit de grandes amitiés au cardinal et à nous tous et nous fit faire très bonne chère…"

"Un chemin triste et détestable"

Le voyage se poursuit: "De Monaco, après dîner, nous sommes allés, le 1er décembre, à vingt milles plus loin, à San Remo, par un chemin très triste et détestable. À trois milles de Monaco, on voit sur une montagne le château de Roquebrune, qui appartient au seigneur de Monaco ; à deux milles, nous traversions Menton, ville qui lui appartient également..."

Le cardinal Louis d’Aragon quitta ainsi la région et l’hospitalité de Mgr Augustin Grimaldi. Il ignorait à ce moment que six ans plus tard, celui-ci deviendrait seigneur de Monaco lorsque son frère Lucien serait assassiné et que Monaco serait placé sous la tutelle du roi d’Espagne Charles Quint. Mais ceci est une autre histoire...

Une escorte considérable pour le cardinal

Les voyages du cardinal Louis d’Aragon ne passaient pas inaperçus. C’était un personnage important du Saint-Siège et du Royaume d’Espagne. Son escorte se composait d’un secrétaire, dix gentilshommes avec chacun leur valet, de l’évêque d’Anglona (du nord de la Sardaigne), d’un médecin, un majordome, deux coursiers, deux cuisiniers, un économe, un interprète, deux palefreniers, trois garçons d’écurie... en tout trente-cinq personnes à cheval.

Trois chevaux de race étaient à disposition du cardinal. Un mulet portait ses provisions et l’argent de route, l’autre une litière. Des musiciens suivaient également, pour égayer le voyage. Il y avait de quoi impressionner les gens importants que le cardinal était amené à rencontrer.

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