De Cayenne à Antibes, l'incroyable traque des gendarmes pour coincer l'auteur présumé de deux féminicides en 14 ans
Un trentenaire interpellé sur la Côte d’Azur a été placé en détention vendredi en Guyane. Il a avoué le meurtre de sa compagne enceinte, il y a un an. Le fruit d’une enquête de gendarmerie haletante.
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Christophe CIRONEPublié le 06/06/2021 à 08:00, mis à jour le 06/06/2021 à 08:30
La jeune femme est morte asphyxiée. Elle était enceinte "de 6 à 8 semaines"...Photo DR
Un an. Un an d’enquête non-stop. Un an d’analyses scientifiques. Un an de calvaire pour une famille endeuillée. Un an d’incompréhension de l’opinion publique, convaincue d’emblée de tenir le coupable. Un an de contraintes sanitaires. Un an sous tension. Et au bout du suspense, le passage à l’action.
Lundi 31 mai à Antibes, les gendarmes ont répondu aux attentes. Ils ont interpellé Sylvain Kereneur, 34 ans, à plus de 7.000 kilomètres de chez lui. Transféré en Guyane vendredi, ce trentenaire y a été mis en examen et écroué pour le meurtre de sa compagne, Karina Gama de Souza. Cette Franco-Brésilienne a été tuée à l’âge de 23 ans. Elle était enceinte. Son conjoint a avoué le crime.
Un an, donc. La crise de la Covid "explique en partie la durée de l’enquête", justifie le général Stéphane Bras, commandant de la gendarmerie de Guyane. Ses troupes "ont dû reporter les opérations à deux reprises". La troisième a été la bonne. Lundi, une équipe a interpellé Sylvain Kereneur à Antibes, où il avait trouvé refuge voilà plusieurs mois, tandis qu’une autre perquisitionnait le domicile de ses parents en Guyane.
La science perce les contradictions
Le corps de Karina Gama de Souza a été découvert le 15 mai 2020, sur les berges d’une crique à Cacao, à une cinquantaine de kilomètres de Cayenne. Les médecins-légistes songeaient à une asphyxie. Un an plus tard, le procureur de Cayenne Samuel Finielz a confirmé cette hypothèse, ce vendredi, lors d’une conférence de presse. Au même moment, Sylvain Kereneur était mis en examen pour "meurtre par conjoint".
Karina Antunes Gama de Souza, native du Brésil, a trouvé la mort à l’âge de 23 ans.(D.R.).
Avant d’en arriver là, le chemin a été long et ardu. Six expertises ADN. Trois autopsies. Trois enquêteurs de la section de recherches (SR) de Cayenne mobilisés à temps plein. Et deux juges d’instruction.
"Beaucoup d’actes de police technique et scientifique ont été réalisés, témoigne le général Bras pour Nice-Matin. Il y avait de nombreuses contradictions par rapport aux déclarations initiales [de Sylvain Kereneur]. Nous avons travaillé avec Anacrim, un logiciel d’analyse criminelle. Il est passé aux aveux assez rapidement."
Dix jours de quarantaine, puis action
Mais voilà: entretemps, le suspect n°1 avait traversé l’Atlantique. Fuite? Volonté de se faire oublier? Procureur et gendarmes se veulent prudents sur ses intentions réelles. Tout comme sur le choix d’Antibes comme point de chute. "Il a cherché à changer d’air. Mais on ne l’avait pas perdu de vue...", résume le général Bras.
Un an. Et enfin, le grand jour. Pour l’occasion, le directeur d’enquête "a été projeté en métropole". Il n’en respecte pas moins le protocole sanitaire. Dix jours en quarantaine. Puis l’enquêteur guyanais passe à l’offensive. Et avec lui, les SR de Marseille, de Montpellier, et le peloton d’intervention de l’escadron de gendarmerie mobile d’Antibes. Même les cyber-gendarmes NTech de région parisienne prêtent main-forte.
Voici donc Sylvain Kereneur confronté à un solide faisceau de preuves. Et contraint d’avouer.
"Il a argué de crises de jalousie répétées de sa compagne, rapporte le procureur. Il avance qu’au cours d’une dispute le 14 mai 2020, dans l’après-midi à leur domicile à Cayenne, elle se serait saisie d’un couteau. Il l’aurait désarmée avant de lui mettre la main sur la bouche, selon lui, pour l’empêcher de crier". Karina Gama de Souza aurait alors chuté. "Il dit s’être rendu compte qu’elle avait cessé de respirer."
Un précédent en 2006
Ce scénario reste sujet à caution. Les enquêteurs vont poursuivre leurs investigations.
Une certitude: Sylvain Kereneur n’en est pas resté là. Il a placé le corps sans vie dans un sac. Il l’a emmené à Cacao à bord de son 4x4. Puis il a tenté d’y mettre le feu, avant de se raviser. Pour rajouter à l’horreur de la scène, l’autopsie a révélé que la jeune femme était enceinte "de 6 à 8 semaines"...
Un autre fantôme plane désormais sur cette affaire. Celui de Camilla Marques Pereira. Cette jeune Brésilienne a été tuée en Guyane en 2006, et son corps, brûlé. Sylvain Kereneur avait été envoyé aux assises pour ce crime. Il avait évité le procès à la faveur d’un non-lieu, en 2015. Parmi ses avocats figurait un certain... Eric Dupond-Moretti, l’actuel Garde des Sceaux.
Ce natif de la Réunion, issu d’une famille aisée, a un casier judiciaire vierge. Il pourrait être finalement poursuivi pour deux féminicides. Le parquet de Cayenne a entamé le réexamen de ce précédent troublant. Il décidera la semaine prochaine s’il rouvre l’enquête. Car "ce précédent dossier criminel n’est pas prescrit".
"C’est un soulagement pour sa famille"
"C’est un soulagement pour la famille, mais elle ne transigera pas sur la vérité. Elle la veut pleine et entière."
Me Mustapha Khiter, avocat de la famille de la victime, se montre rassuré par l’interpellation de Sylvain Kereneur. "Dans ce type d’affaire, le temps joue souvent en défaveur de la vérité. On se posait beaucoup de questions."
Les internautes aussi. La mort de Karina Gama de Souza avait enflammé les réseaux sociaux, entre Brésil et Guyane. Ses proches avaient défilé dans Cayenne pour réclamer justice.
"L’affaire a causé beaucoup d’émoi, confirme le général Bras. Nous avons travaillé sous pression. Mais nous avons très rapidement décidé de ne faire aucune publicité." Motus donc, jusqu’au point presse accordé le 4 juin. Il fallait donc s’armer de patience.
"Ce n’est qu’une étape"
Place au soulagement, donc. Exit "la crainte d’une nouvelle affaire sans coupable désigné". Me Khiter nuance cependant : "Ce n’est qu’une étape". La version accidentelle avancée par le suspect ne satisfait pas la famille de Karina. Elle "ne croit pas une seconde" la jeune femme capable d’empoigner un couteau.
"Elle était totalement stable, sans aucune difficulté, et n’avait absolument pas une vie dissolue comme cela a pu être avancé. Nous sommes certains que les investigations permettront d’indiquer clairement que sa responsabilité est pleine et entière, et non partielle."
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