A Nice, les premières urgences adultes de France en surchauffe

En pleine canicule, les urgences du CHU Pasteur II de Nice, plus grand service pour adultes de France, sont sous (très) haute tension. Nous avons passé la blouse blanche le temps d'une journée en immersion dans cette fourmilière.

Article réservé aux abonnés
Aurélie Selvi aselvi@nicematin.fr Publié le 10/08/2024 à 08:35, mis à jour le 13/08/2024 à 15:46
reportage
Dans la zone médico-chirurgicale des urgences, les brancards s'amoncellent, en grand partie occupés par des patients âgés. Photo Dylan Meiffret

Avec 100.000 passages annuels, les urgences de l’hôpital Pasteur de Nice, plus gros service pour adultes de France, ont l’habitude de l’affluence. Qui plus est en été. "Tous les ans, on sait que la période va être stressante", pose le Dr Julie Contenti, cheffe du service des urgences, du Samu et du Smur (Structure mobile d’urgence et de réanimation).

Cette année, la tension y est encore plus palpable. "A période équivalente, l’activité est 10% supérieure à 2023. Probablement du fait des JO, du tourisme", constate-t-elle. Ce lundi 5 août, c’est à 8h que la soignante a rejoint les couloirs de la fourmilière… pour les quitter le lendemain à 18h. Nous avons passé la blouse blanche pour une journée d’immersion.

10h - "Vous n’allez pas être déçus..."

Depuis son bureau, le Dr Contenti le sait: la journée sera rude. "On vient de déclencher le plan Hôpital en tension, niveau 1 sur 3. On est en pré-alerte dès qu’on a, à 8h du matin, plus de 25 patients pas encore orientés aux urgences. Ce lundi, ils étaient 52."

Le Dr Julie Contenti, cheffe du service des urgences, du Samu et du Smur du CHU de Nice. Photo Dylan Meiffret.

10h40 - Sang froid et réactivité dans la salle de régulation

Parmi les 300 agents du service, 70 œuvrent dans la stratégique salle de régulation. Ici, on réceptionne les appels azuréens au 15. Avec sang froid et réactivité.

Sur un écran géant, des données défilent: depuis minuit, 316 appels, 97,13% décrochés en moins d’1 minute. Certains relèvent du secours d’urgence, d’autres sont transférés dans une salle dédiée à la médecine générale.

Sur une carte interactive, tous les moyens d’intervention sont géolocalisés: ambulances, véhicules du Smur, etc.

11h - "Que tout le monde fasse un effort"

Sur son ordinateur portable, Isabelle Battarel, chargée de la communication du CHU, envoie un mail aux 9.000 agents du CHU pour les informer du plan Hôpital en tension. "Le but, c’est que tout le monde puisse faire un effort dans son service pour que les patients ne passent pas la nuit sur un brancard aux urgences", dixit le Dr Contenti.

11h45 - "Enormément de décompensations de maladies psychiatriques"

Micro casque sur la tête, le Dr Lemachatti est l’une des médecins urgentistes à qui les assistants de régulation médical (ARM) transfèrent les appels du 15. Elle décide de la prise en charge. Au bout du fil, une mère alerte: son fils a pris 20 comprimés de Lexomil.

"Les pompiers arrivent dans les 5 min madame, OK? S’il s’enfonce d’ici là, surtout, rappelez." "En été, on a énormément de décompensations de maladies psychiatriques. Depuis le Covid, c’est globalement de plus en plus", éclaire le Dr Contenti.

12h20 - Sur les brancards, une majorité de personnes âgées

Moins sensibles à la sensation de faim et de soif, les personnes âgées sont très vulnérables en été. Photo Dylan Meiffret.

Aux urgences, en zones médico-chirurgicales, les box de soins sont tous pris. Dans les halls, les brancards s’alignent, en majorité occupés par des personnes âgées.

"Beaucoup de malaises à domicile dûs à la chaleur. Ils arrivent avec de la fièvre, déshydratés", constate Graziella Richard, aide soignante. "Manger un petit quelque chose, ça vous dit?", lance-t-elle à une dame, étendue sous un drap. "Oh, j’ai pas envie...", répond-t-elle. "Plus on vieillit, moins on ressent la faim et la soif. En été, c’est très problématique", pointe Graziella.

12h40 - "A l'accueil, on est en ligne de mire"

Sonia Morin, agent d'accueil aux urgences de Pasteur II, sait que "la violence fait partie du métier". Photo Dylan Meiffret.

À l'accueil des urgences, derrière son hygiaphone, Sonia Morin est le premier contact des admis. Un homme, déjà en salle d’attente, revient la voir. Il ne supporte plus sa migraine, s’affaisse, pousse un râle.

"On va vous faire passer tout de suite", rassure-t-elle. "Ici, on est en ligne de mire. Insultes, menaces de mort... Les gens se déchargent sur nous", dixit Sonia, consciente que ce métier, qui la fait se sentir "si utile", implique "de la violence". "On a quand même de belles journées, parfois un bouquet, un courrier. Mais un merci, c’est déjà super..."

12h50 - "A 90 patients présents, je n'ai plus assez de brancards"

Devant le logiciel qui recense l’activité des urgences, le Dr Contenti s’inquiète: "On dépasse les 80 malades présents. À 90, je n’ai plus assez de brancards."

En salle d’accueil d’urgence vitale (SAUV), 2 personnes sont dans un état grave, dont une de 40 ans atteinte d’un diabète qui s’est brusquement aggravé. "C’est fréquent en période de canicule, les malades chroniques sont davantage exposés."

13h - L'hélicoptère du Smur décolle pour Tende 

Un jeune homme arrive à l’accueil: "J’ai eu un accident de moto". Sonia l’observe et file demander un avis à l’infirmière d’accueil et d’orientation (IAO), juste derrière.

Au même moment, sur le toit, l’hélicoptère du Smur décolle pour Tende. Le pensionnaire d’un Ehpad fait une crise d’épilepsie. Il doit être rapatrié à Pasteur, qui dispose du plateau technique en neurologie adéquate.

13h06 - "Qu'ils comprennent qu'on n'est pas la police"

Le jeune homme accidenté vomit du sang. A l’IAO, il a avoué s’être fait rouer de coups. Il y a un risque d’hémorragie, direction la salle d’accueil d’urgence vitale. "Souvent, la parole se libère progressivement. Il faut qu’ils comprennent qu’on n’est pas la police. Sonia a eu le bon réflexe de demander un avis", dixit le Dr Contenti.

Le pensionnaire d'un Ehpad de Tende, victime d'une crise d'épilepsie, est rapatrié en hélico à Pasteur II, qui dispose d'un service neurologie. Photo Dylan Meiffret.

14h10 - Sur le toit de l'hôpital... 

Depuis le toit de Pasteur II, avec vue à 360° sur Nice, l’hélico se dessine dans les nuages. Giuseppa et Mathieu, agents de sécurité incendie, attendent casqués, extincteur en main, pour prévenir tout départ de feu et sécuriser l’entrée du patient dans le bâtiment.

14h40 - "Cela pourrait être évité..."

Retour en salle de régulation. Le Dr Perroton, médecin urgentiste, scrute le tableau des admissions aux urgences. Un jeune Canadien insuffisant rénal n’a pas planifié ses dialyses pour ses vacances. "C’est énervant, car cela pourrait être évité…", souffle-t-il.

15h15 - "En été, c’est les 3A: alcool, agressions, accidents"

Deux bureaux derrière, David Marsé, ARM depuis 10 ans, enchaîne les appels, Simon Biles les saltos sur le tapis des JO, diffusés sur une télé au son coupé. "Pendant deux semaines encore, ça va être intense. Les Plages électro arrivent… En été, c’est les 3A : alcool, agressions, accidents", énonce celui qui forme aussi les futurs agents de régulation dans une école dédiée.

Une structure née à Nice dans la foulée de l’affaire Noémie, morte en 2017 de ne pas avoir été prise au sérieux par le Samu de Strasbourg. Maude Rémy vient d’y boucler son cursus. Depuis une semaine, de sa voix douce, elle a rejoint la salle de régul’, aux fenêtres closes, et s’y sent, elle aussi, utile.

15h51 - "Un rat mort" dans la canalisation 

Sandra Amanieu, l’une de ses collègues, explique gentiment à une dame que "non, un rat mort dans une canalisation ne relève pas du 15", puis raccroche. "Parfois, on nous réclame un véto pour un chien, les gens paniquent, c’est humain."

16h15 - Le Smur file sur la coulée verte 

Nouvel appel: la géolocalisation se dessine sur la coulée verte, à Nice. Sandra tape sur son écran: "enfant 6 ans, chute 1m structure de jeu, trauma bras droit, déformé + plaie". Le Dr Perroton engage un véhicule du Smur. Nous embarquons.

Une équipe du Samu file secourir un enfant, tombé d'une structure de jeu sur la coulée verte, à Nice. Photo Dylan Meiffret.

16h23 - "Tes p'tits doigts, tu les sens, là?"

"Viens mon bonhomme, on va mettre ton bras dans une atèle. Tes p’tits doigts, tu les sens, là?" Sur place, le Dr Lemesle place un masque sur le nez du petit pour atténuer la douleur. En quelques minutes, le voilà sur un brancard, direction l’hôpital pédiatrique Lenval.

L'équipe médicale place le bras cassé de l'enfant dans une attelle, puis direction Lenval. Photo Dylan Meiffret.

17h10 - "C'est énormissime..."

Retour à l'accueil des urgences pour un dernier point avec l’infirmière d’accueil. "Il y a 78 personnes en ce moment, lâche-t-elle derrière son masque FFP2. Franchement, c’est énormissime..." 

Dès le lendemain, le plan Hôpital en tension a été réhaussé au niveau 2, prévoyant l'ouverture de lits supplémentaires. Et la semaine écoulée n'a fait que confirmer la tendance... 

"La vigilance sera très grande ce week-end encore et la semaine du 12 août s'annonce très chargée. Il faut préserver notre système de soin et se rendre aux urgences uniquement lorsque c'est nécessaire. Au moindre doute, appelez le 15", martelait ce vendredi 9 août le Dr Contenti. 

“Rhôooooooooo!”

Vous utilisez un AdBlock?! :)

Vous pouvez le désactiver pour soutenir la rédaction du groupe Nice-Matin qui travaille tous les jours pour vous délivrer une information de qualité et vous raconter l'actualité de la Côte d'Azur

Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires ressentis comme intrusifs.

Si vous souhaitez conserver votre Adblock vous pouvez regarder une seule publicité vidéo afin de débloquer l'accès au site lors de votre session

Monaco-Matin

Un cookie pour nous soutenir

Nous avons besoin de vos cookies pour vous offrir une expérience de lecture optimale et vous proposer des publicités personnalisées.

Accepter les cookies, c’est permettre grâce aux revenus complémentaires de soutenir le travail de nos 180 journalistes qui veillent au quotidien à vous offrir une information de qualité et diversifiée. Ainsi, vous pourrez accéder librement au site.

Vous pouvez choisir de refuser les cookies en vous connectant ou en vous abonnant.