La censure du Premier ministre était-elle prévisible dès le départ?
L’équation politique de l’Assemblée rendait cette hypothèse probable. On savait bien qu’à un moment ou un autre, sur un texte important, le gouvernement serait mis en difficulté. Là, où il y avait un doute, c’était sur le calendrier. En ciblant le budget, cela a plus de conséquences. La portée de ce vote est d’autant plus historique qu’on n’a pas connu ça depuis 62 ans.
Michel Barnier, connu pour ses talents de négociateurs, a-t-il mal négocié avec le Rassemblement national?
Il a peut-être négocié un peu tard avec le RN, en se mettant sous la pression d’ultimatums alors qu’une négociation ouverte depuis la présentation du budget aurait peut-être changé la donne. Maintenant, on voit bien que la volonté politique de Marine Le Pen est un vrai changement de stratégie. Après avoir privilégié la quête de respectabilité, de normalisation, elle a choisi de se réinscrire dans une stratégie plus antisystème qu’elle avait un peu délaissée. L’attitude du RN est un vrai changement de ligne politique.
Mardi soir, Emmanuel Macron a déclaré qu’il ne pouvait "pas croire à une censure"... Vous l’avez cru?
Non. C’était une phrase éminemment politique. Il voulait montrer qu’il faisait de la stabilité sa priorité. Alors qu’on sait bien que dans l’opinion, il est rendu responsable d’un double mal. D’une part, la dissolution incomprise. De l’autre, la détérioration du déficit qui a eu un effet assez sidérant pour l’opinion et dépressif, dans le sens littéral du terme y compris pour les forces économiques du pays.
Quid de l’hypothèse d’une démission d’Emmanuel Macron?
Il a lui-même écarté. Et rien dans la constitution ne permet de la réclamer. Mais ce qui est vrai, c’est qu’il va se retrouver en première ligne. C’est sans doute pour ça d’ailleurs qu’il ne va pas chercher à tergiverser et qu’il pourrait nommer un Premier ministre très rapidement. Plus il y a du vide et un sentiment d’instabilité, plus Emmanuel Macron sera exposé. Et plus le débat politique tournera autour de sa démission, qui est soulevée aujourd’hui par des voix qu’on imaginait modérées, comme celle de Jean-François Copé, qui font de la démission du président la seule manière de réinitialiser le système politique.
Le Nouveau front populaire exerce une forte pression pour être représenté à Matignon. Avec quelle chance d’être entendu, cette fois?
On n’image pas Emmanuel Macron appeler quelqu’un qui détricoterait son bilan. En revanche, une personnalité un peu plus marquée au centre gauche qui pourrait réunir une nouvelle coalition, peut-être. Il y a des crises qui débouchent sur des solutions. Mais pour l’instant, c’est une crise qui est sans issue de secours et qui ne peut déboucher que sur d’autres crises. À moins d’une nouvelle coalition.
Gabriel Attal souhaite une alliance qui irait des LR au PS...
Mathématiquement, ça peut être une solution si tout le PS y adhère. Et à condition d’un changement de mode de scrutin, en instaurant la proportionnelle, qui permettrait au Parti socialiste de ne plus dépendre d’une alliance avec La France insoumise. Ce qui pourrait se faire, c’est un accord non pas de gouvernement mais de non-censure sur des bases a minima.
Quelles alternatives?
L’autre solution, c’est celle d’un gouvernement technique qui se concentrerait sur trois ou quatre lois. Mais qui n’engagerait pas un programme de transformation alors que pendant ce temps-là, on a un pays qui est en proie à des difficultés économiques, sociales, identitaires...
Quelle image cela renvoie de la politique?
Une vision assez triste. Les Français peuvent regarder ce spectacle en considérant qu’il n’est pas à la hauteur des attentes. Les conséquences dans le rapport à la démocratie peuvent être assez graves si la situation perdure, avec une augmentation de l’abstention, par exemple. Aucun des responsables politiques n’a intérêt à ce que la crise ne dure trop longtemps.
Quel serait le profil idéal du nouveau Premier ministre?
Une personnalité qui arriverait à déverrouiller la question de la majorité relative à l’Assemblée et à l’amener le plus près possible de la majorité absolue. Autrement dit, soit quelqu’un qui obtient les bonnes grâces du Rassemblement national, soit un soutien du Parti socialiste.
Qui pourrait sortir renforcé de cette crise politique?
Je ne vois que deux alternatives. Soit, c’est tous perdants. Soit, c’est Marine Le Pen qui engrangerait quelques bénéfices de sa position où elle a exprimé une volonté de défense du pouvoir d’achat, qui est la première préoccupation des Français. La vraie question, c’est: est-ce que les retraités, son électorat de conquête, vont considérer qu’elle a les bien représentés ou qu’elle a provoqué le chaos?
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