Comment expliquer que les Gilets jaunes ont disparu alors que les raisons - le prix du carburant notamment - qui les avaient poussés à occuper les ronds-points sont toujours là?
Un mouvement social, c'est un peu comme un organe: ça naît, ça vit ça grandit, ça meurt… En ce qui concerne les Gilets jaunes, ce mouvement a connu un arrêt brutal avec le Covid-19. La pandémie a brisé net l'élan d'un mouvement qui commençait déjà à s'épuiser. Et puis il ne faut pas négliger le coût énorme économique, social, politique, voire physique avec les violences auxquelles on a assisté, que représente une mobilisation dans la durée. Finalement, si on ajoute les quelques milliards d'euros concédés par le gouvernement mais qui n'ont rien réglé sur le fond, les gens ont préféré rentrer chez eux.
Même s'ils sont devenus invisibles, un esprit Gilets jaunes a-t-il néanmoins infusé dans la société française?
Une certitude: les Gilets jaunes ont marqué l'histoire des mouvements sociaux. Il n'y a qu'à voir le nombre de thèses qui ont été faites sur le sujet, que ce soit en sociologie ou en sciences politiques, pour s'en convaincre. Des intellectuels, comme le philosophe Michel Onfray ou l'historien Gérard Noiriel pour ne citer qu'eux, ont écrit des livres sur ce mouvement. Quand certains affirment: "on restera dans les livres d'Histoire", ils ont raison. Les Gilets jaunes resteront une référence dans l'histoire sociale et politique de France. Mais dans le même temps, et quand bien même l'opinion publique a pu leur être favorable, je ne sens pas de la part de la population une demande pour que le mouvement redémarre.
Dans un contexte économique pourtant dégradé, vous ne croyez donc pas à la renaissance des Gilets jaunes?
Pour le 5e anniversaire du mouvement, les médias vont sans doute réaliser quelques reportages, il y aura peut-être des rassemblements organisés ici ou là, mais je ne crois pas qu'un mouvement de l'ampleur des Gilets jaunes puisse revoir le jour. Pourtant tous les ingrédients sont réunis: que ce soit pour les produits alimentaires, l'énergie, les taux d'intérêt qui conditionnent l'accès à la propriété, tout est à la hausse. Si on s'en tient au prix de l'essence, à la naissance des gilets jaunes, le litre était en dessous d'1,5 euro. Aujourd'hui, il atteint les 2 euros et rien ne se passe. Je me répète, manifester dans la durée a un coût énorme. Et puis se battre pour maintenir l'essence à un prix raisonnable était un objectif atteignable. Aujourd’hui, la population se rend bien compte que le problème de l’inflation est autrement plus complexe.
Qu'est-ce qu'il a manqué aux Gilets jaunes pour s'imposer dans le temps comme des acteurs incontournables du dialogue social?
Le mouvement a été victime de son manque d'organisation qui en faisait aussi son originalité. Parce que, dans une quête de démocratie horizontale, ils ont refusé toute hiérarchie, les Gilets jaunes n'ont pas su se structurer, s'institutionnaliser. Il aurait fallu qu'ils acceptent de rentrer dans une sorte de normalité, avec la mise en place d'un processus d'élection de leurs représentants. Au lieu de cela, leur recherche à tout prix de démocratie a fait émerger des leaders charismatiques, des "grandes gueules". Et ce leadership charismatique finit souvent par ruiner un mouvement. Il ne faut pas taire non plus la responsabilité d'Emmanuel Macron qui n'a eu de cesse de déconsidérer, de mépriser les Gilets jaunes.
Débordés au début, les syndicats ont repris du poil de la bête. On l'a vu lors des manifestations contre la réforme des retraites. Les Français sont-ils revenus vers un mode de lutte plus classique?
Absolument. Le désir de démocratie directe, c'est sympa, romantique, mais ça ne dure qu'un temps. Si l'on veut être en mesure de parler au gouvernement, face à face, il faut des représentants légitimes. S'ils avaient su se structurer, les Gilets jaunes auraient d'ailleurs pu rebondir lors des mobilisations contre la réforme des retraites. Car si les syndicats ont gagné la bataille de l'opinion, l'adoption de cette réforme n'en demeure pas moins un échec absolu pour eux. N'oublions pas que l'âge légal de départ à la retraite est passé de 62 à 64 ans!
La violence qui a pu accompagner les cortèges de manifestants a-t-elle eu raison du mouvement des Gilets jaunes?
C'est un fait: à un moment donné, il est devenu dangereux de participer aux manifestations. Toute cette ambiance de violence, dont des violences policières avérées, et d'affrontement en ont découragé plus d'un. Progressivement, ce qui était un mouvement bon enfant, où les gens se retrouvaient à manger sur des ronds-points, s'est transformé en violence. L'image des Gilets jaunes a été écornée et le mouvement s'est essoufflé.
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