Pourquoi la Sacem ouvre une filiale en Principauté

Cécile Rap-Veber explique son action et ses enjeux à la tête de la Sacem pour défendre les droits des créateurs. Un chemin qui devrait servir d’exemple à la nouvelle antenne monégasque.

Cédric VERANY Publié le 03/02/2024 à 10:45, mis à jour le 03/02/2024 à 10:45
Le prince Albert II a salué la création de la Sacem Monaco, en présence de la directrice générale-gérante de la Sacem, Cécile Rap-Veber, et de la directrice de la filiale monégasque, Axelle Amalberti-Verdino. Photo Axelle Bastello/Palais princier

C’était, depuis quarante ans, une antenne "régionale" du mastodonte français. Officiellement, depuis le début du mois de janvier avec la création d’une société, Sacem Monaco est devenue une filiale, petite sœur de la puissante Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) qui, depuis 1851 en France et dans le monde, fait respecter le droit d’auteur pour que les créateurs de musique soient rémunérés lorsque leurs œuvres sont jouées publiquement ou utilisées sur des supports numériques.

Plus de 210.800 auteurs et éditeurs de musique constituent cette société qui collecte la rémunération de ces droits et les redistribue à ses créateurs. Sur le modèle économique d’une société privée à but non lucratif qui appartient à ses membres, les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

À Monaco, la filiale rouge et blanche fédère 104 administrés par Axelle Amalberti-Verdino, qui dirige l’antenne monégasque depuis dix ans. C’est elle qui a été choisie pour écrire aussi cette nouvelle page de la société Sacem Monaco. Une création qui intéresse aussi Cécile Rap-Veber, directrice générale-gérante de la Sacem, venue en Principauté pour entériner la naissance de cette filiale. Et expliquer le rôle de la Sacem dans le monde. Interview.

Monaco est officiellement doté d’une filiale Sacem. En avez-vous beaucoup dans d’autres pays francophones?

Nous avons ouvert il y a trois ans une filiale en Polynésie. Une autre existe aussi au Liban et nous avons une société qui fonctionne bien, et dont le modèle pourrait se rapprocher de la volonté de l’État monégasque: Sacem Luxembourg. En parallèle, nous avons la fierté de pouvoir dire que nous sommes la première société de gestion collective au monde. Pas simplement parce que nous avons été les premiers, en 1851. Mais aussi par les développements technologiques et les avancées contractuelles notamment dans l’univers digital que nous avons opérés. Dans ce domaine, nous avons attiré les plus grands répertoires anglo-américains, qui ont décidé de quitter leurs sociétés anglaises ou américaines pour rejoindre la Sacem. Et nous confier leurs droits sur Spotify, Google, Meta, TikTok, Netflix. Et ceci, pas simplement pour la France. Quand nous avons ces contrats sur ces plateformes, ce sont des contrats quasiment mondiaux. Cela veut dire qu’aujourd’hui, la Sacem peut s’enorgueillir de représenter l’un des plus beaux répertoires au monde qu’est la création française. Mais en plus, nous représentons des artistes comme Taylor Swift, Coldplay, BTS. Ce qui fait de la Sacem le premier répertoire mondial.

Comment avez-vous réussi à attirer ces géants de la musique? En leur garantissant d’être rémunérés à leur juste valeur sur les plateformes de diffusion ?

Complètement. Notre particularité est de repartir les droits à l’exploitation de l’œuvre. Si la création d’un de nos membres est jouée dans un concert, télédiffusée ou streamée, elle sera rémunérée précisément en fonction de cette exploitation. Là où d’autres sociétés de droits font des sondages, de l’analogie et donnent de l’argent pas toujours à tout le monde.

Nous, nous essayons d’être très équitables. Tout cela sans cesser de se transformer avec les évolutions technologiques. Depuis les cafés-concerts de 1861, jusqu’à l’intelligence artificielle sur laquelle nous sommes déjà en train de plancher…

Défendre les droits face à cette technologie tentaculaire, pas si simple? Quand on voit que l’IA permet de prendre librement la voix d’un artiste pour lui faire interpréter n’importe quelle chanson…

Nous nous battons au niveau européen pour imposer une transparence à tout ce qui est société d’intelligence artificielle générative. Il y a un certain nombre d’années, on a autorisé – et c’était assez logique – l’IA à aller fouiller partout. Sans penser que dans toutes les œuvres disponibles, cela pouvait être aussi la création, et que ça allait générer de nouveaux contenus. On voit aujourd’hui que les premières personnes qui en souffrent ce sont les créateurs, leurs voix ou leurs compositions exploitées pour récréer de nouveaux contenus sur lesquels ils risquent de ne pas toucher du tout de droits. Nous nous sommes battus auprès de la Commission européenne à Bruxelles pour que l’on impose à l’IA une transparence et savoir sur quelles œuvres les logiciels sont utilisés pour créer de nouveaux contenus. Aujourd’hui, nous faisons valoir notre droit d’opposition, prévu dans les textes. Sans être contre l’IA, mais en disant: ‘‘si vous voulez utiliser nos créations, il faut venir nous voir et nous ferons une licence avec vous.’’

Cette position fait consensus parmi les pays européens?

D’habitude, les gouvernements français et allemands sont pro-créateurs. Là, nous avons un quasi-consensus de tous sauf de la France et de l’Allemagne dont les ministres respectifs du numérique ont l’espoir que si on ne met aucune restriction sur ces intelligences artificielles en Europe, on va réussir à construire des sociétés pour concurrencer les géants du numérique. L’ancien ministre du numérique en France, Cédric O, a pris des parts dans une société qui s’appelle Mistral AI en train de devenir une licorne française, et beaucoup de décideurs ont envie d’avoir une pépite tech’ en France. Mais ça ne doit pas se faire au détriment de la création. C’est une question d’équilibre, il ne faut pas opposer technologie et culture. Ma position est plutôt de dire qu’il vaut mieux essayer d’être les meilleurs sur notre terrain, à savoir la défense de la création, plutôt qu’essayer d’aller concurrencer des GAFA qui seront toujours plus riches que nous.

Monaco n’a toujours pas voté sa loi sur les droits d’auteur. Quel pourrait être l’apport de la Sacem dans ce processus?

Nous savons à quel point la Principauté est fervente de culture et l’a toujours promue. Nous voulons apporter notre expertise au gouvernement monégasque pour qu’il puisse s’inspirer de toutes les batailles que l’on mène déjà et puisse avoir un degré de protection de leurs créateurs équivalent à celui que l’on offre en France.

"La Sacem est le premier répertoire mondial"

C’est un texte attendu, mais qui patiente encore de bureaux en commissions. Déposé aux élus du Conseil le 14 septembre 2021, le projet de loi n° 1045 portant reconnaissance et régime de la propriété des œuvres de l’esprit est toujours à l’étude. Ces derniers mois, la Haute assemblée s’est largement consacrée au vote en urgence de textes législatifs pour mettre la Principauté dans les clous de standards internationaux demandés par Moneyval.

La loi sur les droits d’auteur attend donc pour donner un cadre contemporain, ajusté et plus efficace au droit des auteurs et créateurs en Principauté

Dans son exposé, il est rappelé que le projet de loi "a vocation à remplacer la loi n° 491 du 24 novembre 1948 sur la protection des œuvres littéraires et artistiques, modifiée en reprenant certaines de ses dispositions et en les complétant. Le texte a pour objectif de préciser la définition légale des droits d’auteur, ainsi que les prérogatives conférées à l’auteur d’une œuvre. Les dispositions projetées s’inspirent de la législation de l’Union Européenne en la matière, en permettant de soutenir l’activité culturelle et artistique à Monaco et son rayonnement à l’international."

Le projet de loi vise également pour les créateurs à leur reconnaître "des prérogatives d’ordre moral et patrimonial, leur permettant de protéger leur contribution artistique ou financière et d’en obtenir une juste rémunération".

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