Une voix envoûtante. Douce, caressante, chaleureuse, qui accompagne chaque matin Clarissa (Cécile de France), une écrivaine en résidence (surveillée) pour artiste dans un futur proche. L’écho sonore de Dalloway, une intelligence artificielle qui sert d’assistance à Clarissa, lui projette un paysage de rêve à son réveil, allume la radio, prend son taux de glycémie, lui rappelle ses rendez-vous à venir…
Mais une voix qui peut aussi devenir cassante, de plus en plus intrusive et de plus en plus oppressante au fur et à mesure que les échanges s’intensifient. Une vraie menace, jusqu’à se transformer en voix… sans issue? Dans Dalloway, le nouveau thriller paranoïaque de Yann Gozlan, ce n’est autre que la chanteuse Mylène Farmer qui a cette conversation dangereuse avec Cécile de France. Apparue durant la cérémonie d’ouverture avec son titre hommage à David Lynch (Confession), et sur le tapis de minuit ce jeudi avant la projection, la mystérieuse interprète reste invisible à l’écran. Mais juré craché, Cécile de France l’a bien rencontrée avant le tournage, en chair et en os!
"C’est une artiste que je n’écoute pas spécialement, mais que j’ai toujours respectée, une artiste à l’univers très identifiable. Même si elle semble parfois inaccessible, elle parle aux gens et entretient une forte communion avec son public, souligne l’actrice franco-belge. J’ai également pu faire connaissance avec la personne, et on s’est très vite bien entendu car c’est quelqu’un de très gentil et très investi."
Des rapports en bonne intelligence. Qu’il a fallu briser lorsque cette dernière est devenue "artificielle". "Pour le tournage, j’ai déconstruit ce lien qui s’était créé entre nous, j’ai dû déshumaniser Mylène! sourit Cécile. Pour jouer, j’avais néanmoins sa voix qui me parvenait par une oreillette, et c’était très utile pour créer cette intimité, progressive et pernicieuse, qui s’instaure entre nous."
Vis-à-vis de Clarissa, Dalloway se montre de plus en plus pressante, lui pose de plus en plus de questions sur la mort de son fils, la presse de finir son roman… jusqu’à la remplacer? À moins que Clarissa, alertée par un autre résident, ne se laisse plus apprivoiser. "Mon personnage est riche en émotions, il passe par la sérénité, l’angoisse, la peur, l’épuisement, c’était très intéressant à interpréter", se réjouit Cécile, dont L’art (délicat) de la séduction (NDLR: son premier film) ne rechigne pas non plus au film de genre. "J’aime bien ces thrillers où l’on accompagne le héros dans une quête éprouvante de vérité, auquel on peut s’identifier le temps d’un film, dans lequel on joue aussi avec le spectateur."
"Je suis techno-romantique"
Pour autant, elle le confesse volontiers, dans la vraie vie, elle n’a pas du tout envie de jouer la "souris" asservie aux nouvelles technologies. "Moi, je suis plutôt une techno-romantique: j’ai juste un smartphone, je n’ai pas d’ordinateur, je n’utilise pas l’IA et je ne suis pas sur les réseaux sociaux!"
Pire. Après s’être documentée sur le sujet, l’actrice est plutôt encline à tout débrancher. "Il faut bien réfléchir au monstre que l’homme est en train, de créer. J’ai vu un documentaire où de jeunes Africains souffrent psychologiquement d’être exploités à nourrir l’intelligence artificielle d’images de violence et tueries pour qu’elle assimile le bien et le mal, rapporte-t-elle. Et puis toutes ces technologies nécessitent d’exploiter quantité de minerais, d’eau, d’électricité… C’est une préoccupation écologique fondamentale, et il faut appliquer des règles pour que notre humanité soit préservée." Sous peine, comme Mylène Farmer, d’être un jour désenchantée…Yann Gozlan: No future?
Dans le futur proche imaginé par Yann Gozlan pour Dalloway, le monde est hyperconnecté "pour notre confort, à moins que ce soit un danger ", avec des habitats aseptisés et végétalisés, une sécurité policière sous surveillance de drones, mais aussi des vagues de chaleur et un virus qui se propage via les rats. Pas tant de la science-fiction, pour le réalisateur de La Boîte noire. "Déjà, j’ai commencé à adapter le livre de Tatiana de Rosnay (Les fleurs de l’ombre) en plein confinement, ce qui se ressent. Puis il y a eu l’irruption de ChatGPT et autres IA. La réalité a donc dépassé la fiction, et le film se fait l’écho de l’actualité, en exploitant nos peurs et nos doutes."
Un possible asservissement?
Vis-à-vis des nouvelles technologies, le cinéaste, fan d’Hitchcock, éprouve la même ambivalence que son héroïne dans Dalloway. Une attraction à courant alternatif!
"D’un côté tout cela me fascine, et de l’autre ça m’angoisse. Mon film rend compte de ces deux aspects avec d’abord un aspect feel-good dans cette résidence ultra-connectée, dans la banalité d’une relation quotidienne avec l’IA. Puis vient la question d’un possible asservissement, où l’homme ne serait qu’un rat de laboratoire, ce qui permet de jouer avec nos névroses."
A-t-il lui même des craintes, quant à l’évolution de son propre métier, où les images de synthèses s’invitent de plus en plus au casting? "Le cinéma a toujours été traversé par des crises technologiques, mais c’est vrai que là, cette révolution semble globalement dépasser l’art car l’IA parvient désormais à y avoir sa propre part, c’est vertigineux. Et pourtant, je suis d’une génération où on nous disait que les métiers les plus créatifs, comme au cinéma, seraient les plus préservés…"
Parano, lui aussi? "Ah, je ne sais pas, mais le film n’est pas non plus radicalement technophobe." Il questionne avant tout. Quitte à ce que ce soit Dalloway qui nous réponde!
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