Sa mère, Keira Alexandra Kronvold, se souvient de ce 7 novembre 2024.
"Je l'ai allaitée. J'avais préparé un sac pour son voyage avec (...) un doudou avec mon odeur, un plaid", confie-t-elle à l'AFP.
"Il y avait une lettre pour la famille d'accueil qui disait: 'elle s'appelle Zammi' et je les ai priés de prendre soin de ma fille, de la protéger", continue-t-elle entre deux sanglots.
Depuis, elle a le droit de la voir une heure par semaine, uniquement sous supervision.
Pour la mère de famille, la décision des services sociaux, qui n'a pas été communiquée à l'AFP, repose uniquement sur son héritage groenlandais.
"Je ne bois pas, je ne me drogue pas, je n'ai pas de pathologie", énumère la jeune femme de 38 ans, qui travaille dans une usine de poisson.
Selon la presse danoise, qui a obtenu une copie du document, la municipalité de Thisted (nord-ouest) estime qu'en tant que Groenlandaise, Mme Kronvold "aura des difficultés à préparer l'enfant aux attentes et aux codes sociaux nécessaires pour évoluer dans la société danoise".
Enceinte, elle a dû passer un test de compétence parentale, dit "FKU", censé déterminer son aptitude à être mère.
"Souvent, ces examens ont lieu pour de très bonnes raisons", note Ditte Munch-Jurisic, maître de conférence à l'Université de Copenhague, spécialiste des relations entre groupes minoritaires et majoritaires.
Mais, insiste-t-elle, ils sont discriminatoires.
"Ces tests ont été développés dans les pays occidentaux avec des sujets occidentaux, ce qui signifie que vous serez toujours désavantagé si vous appartenez à un groupe minoritaire", souligne l'universitaire.
Et dans le cas de Keira Kronvold, ils ont été réalisés sans interprète bien que le danois ne soit pas sa langue maternelle.
Tests abandonnés
L'examen repose notamment sur des images à évaluer.
"Ça peut être des images représentant la joie adaptées à la culture occidentale, mais pas groenlandaise", détaille Laila Berthelsen, présidente de l'association MAPI qui vient en aide aux parents groenlandais dont les enfants ont été placés.
"Il y a beaucoup de mauvaises interprétations de la part des parents, parce que si on ne sait pas à quoi ressemblent les lutins du père Noël ou un certain type de cheval sur les images, on peut finir par raconter quelque chose de complètement différent, peut-être basé sur des mythes groenlandais", dit-elle.
Au Danemark métropolitain, les enfants nés de parents groenlandais présentent cinq à sept fois plus de risques d'être placés que des enfants nés de parents danois, selon une étude en 2022.
Source de tensions entre Nuuk et Copenhague, les tests "FKU" ne sont plus utilisés depuis le 1er mai pour évaluer les compétences parentales des personnes d'origine groenlandaise, désormais examinées de manière plus individualisée.
La décision qui concerne Zammi n'a pour autant pas été levée.
Réunir un enfant avec son parent après l'avoir placé implique des "améliorations significatives des conditions chez les parents ou l'enfant ou le jeune", indique Lars Sloth, directeur des services sociaux de la commune.
Il s'agit notamment d'évaluer "si le retour à la maison est dans le meilleur intérêt de l'enfant".
L'avocate de Mme Kronvold a contesté la décision initiale mais a été déboutée en première instance.
"Ils pensent qu'il y a des raisons de croire que Keira ne peut pas prendre ses responsabilités", dit Jeanette Gjørret.
Le père de l'enfant, dont l'identité n'est pas publique, a très peu été entendu dans l'affaire.
"Il est du même avis que nous: l'enfant doit être avec Keira", ajoute-t-elle.
Précédent douloureux
Ce drame réveille chez la mère de famille une situation douloureuse.
Avant la naissance de Zammi, elle a eu deux enfants. Ils ont tous les deux été placés après un premier test "FKU", il y a bientôt 11 ans.
"Une fois qu'on est dans le système (...) si on tombe enceinte, on a deux choix: l'avortement ou le placement de l'enfant. On ne te le laisse jamais".
"Une décision antérieure de placement peut être un facteur important dans l'évaluation en ce qui concerne le nouveau-né ou l'enfant à naître", reconnait le responsable de la commune, soulignant que chaque cas est étudié individuellement.
Nolan, le fils de 11 ans, vit avec ses grands-parents et son père. L'aînée, Zoe, a aujourd'hui 20 ans.
Elle a récemment accompagné sa mère devant le Parlement danois pour tenter de mobiliser des soutiens.
Zoe avait neuf ans quand elle a été placée, coupée de ses racines.
"Elle n'a pas eu le droit de parler de moi, du fait qu'elle voulait vraiment rentrer à la maison", tempête sa mère. "Ils lui disaient de parler au chien".
Aujourd'hui, sa fille a du mal à s'approprier son identité. "Elle ressemble à une Groenlandaise mais elle a été élevée à être Danoise", soupire-t-elle.
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