Vous les avez tous entendus puis vus au moins une fois dans votre vie. Ces cyclistes transpirants qui débarquent à la terrasse d’un café, marchant péniblement comme des manchots empereurs en quête d’un glaçon. En version sonore, montés sur cales.
C’est cette image un peu cocasse que le fabricant d’équipements de vélo Ekoï a décidé d’écorner en sortant une nouvelle pédale automatique. Jour du lancement de l’objet identifié: ce vendredi 21 février, soit le même jour que la Classic Var qui va faire vibrer les amateurs de petite reine, depuis le circuit du Luc jusqu’au mur de Fayence.
Dans le landerneau du vélo, cette nouvelle pédale qui s’imbrique sous la chaussure présente une avancée technique très attendue et qui pourrait s’avérer majeure. C’est ce que pense la presse spécialisée avançant qu’elle "fait trembler" les leaders du marché que sont le Japonais Shimano et le Français Look. Son nom de code: PW
L’axe du bien
"PW" évoque la puissance (power) quand le "huit" désigne la distance en millimètres de la semelle de la chaussure à l’axe de la pédale. C’est cette réduction qui fait toute la force du produit.
On est en effet loin de la cinquantaine de millimètres observée jusqu’alors. Cette prouesse technique garantit ainsi une démarche « normale », sans risque de glissade, tout en réduisant l’usure de la cale. Des crampons ont même été développés par le manufacturier Michelin.
Si un léger gain de légèreté est avéré, le nouveau concept propose surtout un meilleur tirage de la pédale grâce à une plus grande surface d’appui.
La PW8 déploie une emprise de 1 500 mm2, qui est deux fois plus importante que la concurrence. Son gain d’efficacité est estimé à deux ou trois watts par tour.
Cela peut paraître dérisoire mais sur un contre-la-montre, les quelques secondes ainsi glanées peuvent s’avérer décisives.
Les triathlètes et les équipes pro* sous contrat Ekoï pourront les utiliser à leur guise. Prix d’entrée : 549,98 euros pour l’ensemble chaussures-pédales. Avec deux mois d’essai, satisfait ou remboursé. "Ce n’est pas parce qu’on fait de l’innovation qu’on doit être hors de prix", estime le patron Jean-Christophe Rattel, actuellement en voyage d’affaires en Chine.
Unique et incompatible
Alors, la PW8 va-t-elle conquérir le marché mondial? Chez Ekoï, on reste prudent. D’autant qu’il existe un frein à son développement: son incompatibilité avec les chaussures de marques différentes. "On a pris contact avec des fabricants mais cela nécessite un engagement financier de leur part pour développer la semelle adéquate. La chaussure n’est pas encore sortie sur le marché, donc pour l’instant, c’est logique", reconnaît Alexandre Frelinger, le directeur de la communication de la société.
La récession du marché du vélo lors des deux dernières années n’offre également pas un contexte favorable. Mais la PME varoise se veut patiente. "C’est un projet sur le long terme. Si les premiers résultats ne sont pas bons, ce n’est pas grave. Notre souhait est que la PW8 s’impose dans le temps", se tranquillise-t-on chez Ekoï. En tournant les jambes.
*Six équipes World Tour et Pro Tour : Israël Premier Tech, Arkea - B & B Hôtels (textile, casque et lunettes) ; Cofidis, Lotto, Novo Nordisk, Burgos - BH (casque et lunettes) ; trois équipes continentales : Nice Métropole, Saint-Michel - Auber93, CIC U Nantes Atlantique.
Testée par Philippe Gilbert, Claudio Chiappucci et l’équipe de Nice
Parfois, le hasard vient toquer à la porte. C’est ce qu’a pu expérimenter Jean-Christophe Rattel, le patron-fondateur d’Ekoï, il y a quatre ans, quand il a reçu à Fréjus, un certain Pascal Nobile. Cet ingénieur lui présente alors un prototype de pédale, retoqué par Shimano et Look, leaders du secteur. À l’issue du rendez-vous, le dirigeant varois n’en dit pas davantage.
Le lendemain, celui-ci déjeune avec l’un de ses ambassadeurs historiques, l’ancien coureur belge Philippe Gilbert qui lui partage son vécu et sa relation pas toujours amicale avec les pédales automatiques. Il lui dit de saisir cette opportunité. Quand un champion du monde (2012) aux 80 victoires en pro vous dit de revoir votre jugement, ça compte…
Chiappucci recordman
Ekoï rachète donc les brevets de Pascal Nobile et l’intègre dans le projet pour développer la pédale. Tout comme Philippe Gilbert.
Ekoï fait appel à d’autres "légendes" partenaires de la marque pour parfaire le développement de la PW8. Le plus assidu? L’Italien Claudio Chiappucci (2e des Tour de France 1991 et 1992, trois fois meilleur grimpeur) qui a parcouru 25.000 km en deux ans(!), mais aussi son compatriote Michele Bartoli, le Belge Johan Museeuw ou encore le vététiste Julien Absalon. "Ils ont vécu les premiers tests compliqués, toutes les étapes de développement et aujourd’hui, ils trouvent ça magique!", assure Alexandre Frelinger, le directeur de la communication de la société.
Depuis, la nouvelle pédale a cumulé près de 120.000 km en test, grâce aussi à deux coureurs de l’équipe Nice Métropole Côte d’Azur (Continental). Non sans couac. Lors de la dernière édition de l’étoile de Bessèges, dans le Gard (5-9 février), les Azuréens ont été recalés - ou plutôt "décalés" - une heure avant le départ de l’épreuve pour non-homologation du matériel. Le staff a dû acheter en urgence des pédales classiques. La commercialisation de la PW8 ce 21 février la rendra de fait qualifiable alors que l’Union cycliste internationale l’avait déjà homologuée.
Un savoir-faire made in France
Dans le petit monde de la pédale automatique, c’est le Japon qui règne en maître. Le géant Shimano (2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel), pèse près de 65% de parts de marché. Précurseur dans les années 90 pour les pédales de VTT, il ne s’est positionné sur le marché de la route qu’en 2003, jusque-là dominé par les Français. Pour comprendre cette hégémonie tricolore, il faut remonter à décembre 1983. La marque Look, installée à Nevers, parvient à adapter son concept de fixation de ski au cyclisme et sort son premier modèle : la PP65.
En juillet 1985, Bernard Hinault gagne son 5e Tour de France avec cette pédale et en parle comme étant « l’évolution technologique la plus importante de ces 30 dernières années ». La révolution est en marche.
En 1987, le fondateur de Look, Jean Beyl, et son gendre créent, toujours à Nevers, une marque concurrente, Time, qui va réussir à améliorer l’ergonomie des pédales. Look possède aujourd’hui près de 30% de parts du marché mondial quand Time vivote en dessous de 5%.