"Tout était à terre, le sang coulait"... Un médecin libanais qui rentrait d'un séjour à Monaco raconte l'horreur de l'explosion de Beyrouth

Deux associations monégasques, Les Amis du Liban et Children & Future, se mobilisent pour venir en aide à Beyrouth, ses habitants, ses écoles, l’un de ses hôpitaux. Témoignages

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Arnault Cohen Publié le 10/09/2020 à 11:50, mis à jour le 10/09/2020 à 13:25
Le docteur Léa Chalhoub est à l’origine d’une opération caritative menée par l’association monégasque Children & Future au profit de l’hôpital Saint-Georges de Beyrouth, où elle travaille. Photo DR

Léa Chalhoub, 25 ans, vient d’être diplômée de médecine générale à Beyrouth. Elle prépare désormais une spécialité en cardiologie. Un domaine qu’elle ne connaît que trop bien, elle qui souffre de cardiopathie congénitale et qui a été opérée une première fois au Centre cardio-thoracique de Monaco en 2005, puis une deuxième fois en 2007.

Et depuis 2016, une fois par an, Léa Chalhoub revient en Principauté pour un check-up. Elle y a passé un mois, cet été, avec ses parents. En raison de ses liens avec Monaco, cette jeune femme est à l’origine d’une opération caritative entre les deux pays.

L’association Children & Future a débloqué 30.000€ en urgence pour financer l’achat de matériel médical en faveur de l’hôpital Saint-Georges de Beyrouth, là où Léa travaille.

Où étiez-vous, le 4 août, au moment de l’explosion?
Dans l’avion qui nous ramenait au Liban, mes parents et moi, après un mois passé en Principauté. L’explosion s’est produite une heure avant l’atterrissage.

Quand avez-vous su ce qu’il venait de se produire?
En descendant de l’avion, mon grand frère, qui vit en France, nous a téléphoné pour nous dire qu’une explosion avait détruit notre appartement, que mon petit frère allait bien, qu’il s’en était sorti avec des blessures légères. Nous ne savions pas, à ce moment-là, l’ampleur des dégâts. C’est sur la route, entre l’aéroport et notre maison, que j’ai compris que c’était catastrophique.

Qu’avez-vous vu?
Beyrouth était détruite. Tous les immeubles étaient à terre. Les gens criaient dans les rues, le sang coulait. C’était vraiment affreux, traumatisant. Il commençait à faire nuit et il n’y avait plus d’électricité. Mais pour nous, à ce moment-là, l’important était que mon frère était sauf.

Comment s’en est-il sorti?
Par miracle. Notre appartement se situe à quatre rues du site de l’explosion. Mon frère a d’abord entendu une petite explosion. Il est allé voir à la fenêtre mais n’a rien vu. Il est retourné s’asseoir sur une chaise. Et il y a eu la seconde explosion. Il ne se souvient de rien. Il a perdu connaissance et, en se réveillant, il était recouvert de verre mais ses blessures étaient superficielles. Pendant une semaine, il a souffert de vertiges mais rien de grave.

Qu’avez-vous fait, ensuite?
La priorité était de sécuriser l’appartement. Mon père a réparé la porte le soir même, et nous sommes allés dormir dans notre maison de campagne, dans un village situé à une heure de route de Beyrouth. Le lendemain matin, pour éviter que notre appartement ne soit vidé par des pillards, nous sommes revenus sur place pour le sécuriser. Et depuis, petit à petit, on répare l’appartement.

Avez-vous repris votre travail à l’hôpital?
Oui, j’y travaille tous les jours. Depuis peu, je suis affectée aux soins intensifs. Nous avons beaucoup de blessés. L’hôpital Saint-Georges, qui se trouve à une rue du site de l’explosion, a été fermé. C’est le deuxième plus grand hôpital de Beyrouth. Alors forcément, tous les patients et les blessés ont été répartis dans les autres structures de la ville. Là où je suis, il y a énormément de monde. Aucune chambre n’est disponible. Nous sommes obligés de transférer des patients dans les hôpitaux de la périphérie.

L’hôpital Saint-Georges est-il condamné?
Non, l’infrastructure a tenu le coup. Mais tout est détruit à l’intérieur. Il n’y a plus de fenêtres, ni mobilier ni matériel médical en état de fonctionnement. Il va falloir tout réparer, tout changer. J’ai demandé à exercer dans cet hôpital, qui est près de chez moi, et à y passer ma spécialité en cardiologie. Mais pour l’instant, je suis contrainte de travailler ailleurs.

Pourquoi l’association Children & Future a-t-elle décidé d’aider cet hôpital en particulier?
Quand je suis rentrée à Beyrouth après un mois passé à Monaco, Ilse Berthels m’a appelée. Elle s’occupe de la communication au Centre cardio-thoracique. On se connaît bien. Elle voulait savoir comment se portait ma famille. Je lui ai raconté mon histoire. Elle m’a rappelée un peu plus tard en me disant que l’association Children & Future voulait nous aider, sans trop savoir comment. Je lui ai dit que ma famille avait les moyens de s’en sortir et de reconstruire notre maison. Elle a insisté. C’est alors que l’idée d’aider l’hôpital Saint-Georges m’est venue. Je lui ai fait cette proposition le lendemain. Et voilà.

Comment se traduit cette aide?
L’association va livrer à l’hôpital pour 30.000 € de matériel médical*. C’est indispensable avant toute réouverture. Ils sont ravis de cette aide, qui va permettre de remettre en service deux des neuf étages de l’hôpital.

Un mois après l’explosion destructrice et meurtrière, comment vit-on à Beyrouth?
On sent les gens très tristes, tout le temps. Les immeubles sont toujours détruits. Les gens vivent là, sans fenêtres, sans vitres, sans portes. Ce n’est pas le Beyrouth que je connais. Il plane un sentiment de désespoir. C’est horrible.

Vous sentez-vous aidés?
Par les organisations internationales, oui. Tous les jours, des bénévoles apportent le minimum nécessaire à la population qui en a besoin. La solidarité est plus internationale que nationale.

Envisagez-vous de quitter Beyrouth?
Non. Ici, c’est notre ville, notre maison, notre famille. Nous n’avons pas encore perdu espoir.

Et Monaco?
J’y reviens en décembre pour un check-up. Je suis très attachée à la Principauté. C’est un peu ma deuxième maison, vous savez…

*Des tables d’examen, stéthoscopes, matériel pour électrocardiogramme, moniteurs pour soins intensifs, masques chirurgicaux, gants, pansements, désinfectants, tubes d’alimentation et autres fauteuils pour les donneurs de sang seront livrés cette semaine, permettant à l’hôpital de retrouver une partie de son activité.

 

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