PHOTOS. Sur fond de Covid-19, on a suivi les premiers pas des agents et lieutenants stagiaires de la police de Monaco

Nous avions suivi ces agents et lieutenants stagiaires durant leur formation, puis diplômes en mains, sans pouvoir imaginer qu’ils affronteraient d’emblée une crise sanitaire unique. Magnéto.

Article réservé aux abonnés
Thomas Michel Publié le 05/08/2020 à 10:05, mis à jour le 05/08/2020 à 14:01
De l’école de police aux premiers pas sur le terrain, en passant par la remise d’insignes et les choix d’affectation, les 35e promotion d’élèves-lieutenants et 50e d’élèves-agents resteront singulières par leur formation écourtée et la soudaine crise sanitaire du Covid-19 à affronter. Photo Cyril Dodergny

Décidément, ceux-là font tout plus vite que les autres. Formés en huit mois au lieu de dix pour pallier les besoins en effectifs de la Sûreté publique, les 35e promotion d’élèves-lieutenants et 50e d’élèves-agents ont dû faire face d’emblée à une crise sanitaire inédite et s’adapter toujours plus vite. "Ils vont avoir des souvenirs", plaisante le directeur de la Sûreté publique, Richard Marangoni.

L’an dernier, nous avions collé aux basques de ces aspirants policiers durant deux jours de leur formation initiale jusqu’à leur remise d’insignes, en janvier dernier. Six lieutenants et 23 agents stagiaires invités à un lâcher-prise progressif en faisant leurs premiers pas, armés, sur le terrain.

"La dénomination de notre formation, c’est l’approche par compétences. C’est-à-dire que la compétence doit être acquise pour vous donner une autonomie. Au début, vous êtes très encadré. La première année, un tuteur est en permanence avec eux; la deuxième année, le parrain s’écarte. Et la troisième année, vous êtes pratiquement seul mais le parrain a toujours un œil", résume Richard Marangoni.

De l’école de police aux premiers pas sur le terrain, en passant par la remise d’insignes et les choix d’affectation, les 35e promotion d’élèves-lieutenants et 50e d’élèves-agents resteront singulières par leur formation écourtée et la soudaine crise sanitaire du Covid-19 à affronter. Photo Cyril Dodergny.
Photo Cyril Dodergny.

Fierté et excitation

Un processus qui incite à la prise d’initiatives sans le sentiment d’être bridé. À la formation initiale s’est ainsi substituée une formation continue auprès de tuteurs à la dizaine d’années d’ancienneté au compteur. Durant les deux ans qui les séparent de leur titularisation, ils passeront par tous les services, de jour comme de nuit, spécialisés ou non, sauf exception comme le GPSI (Groupe de protection, de surveillance et d’intervention) accessible après cinq ans de maison.

Au-delà de l’épisode coronavirus (lire ci-dessous), nous avons été à la rencontre d’Amélie, Anthony et Nicolas, agents affectés à la section de proximité de sécurisation (SPS), et Élodie, agent en patrouille avec l’Unité de police générale (UPG), pour débriefer leurs premiers pas d’actifs.

Première évidence, l’enthousiasme est intact. Deuxième constat, leurs attentes correspondent à la réalité. Enfin, tous vivent des expériences bien différentes qu’ils partagent au sein d’une promotion "d’amis" qui a survécu au départ des bancs de l’école.

Élodie avait hâte de revêtir chaque jour cet uniforme si familier. "Je n’ai pas eu d’appréhension mais plutôt de l’excitation. C’est particulier puisque je suis issue d’une famille de fonctionnaires de police qui sont déjà au sein de la Sûreté publique. Porter leur uniforme et continuer sur leurs pas est une fierté."

Elle mesure la "reconnaissance" des Monégasques et la chance "de se lever le matin sans jamais savoir ce qu’il va se passer".

Avec un souvenir particulier, évidemment, de la première urgence. Jamais si banale. "C’était juste un déclenchement d’alarme, mais on est obligé de mettre le deux-tons, le gyrophare, on va plus vite et l’adrénaline monte."

"L’expérience vous fait acquérir quelques réflexes et un “flair policier”." Photo Cyril Dodergny.
De l’école de police aux premiers pas sur le terrain, en passant par la remise d’insignes et les choix d’affectation, les 35e promotion d’élèves-lieutenants et 50e d’élèves-agents resteront singulières par leur formation écourtée et la soudaine crise sanitaire du Covid-19 à affronter. Photo C.D., T.M. et JFO.

Discernement et partage

Nicolas, lui, a vécu une émotion comparable lors de son premier menottage, à la frontière de Cap-d’Ail. "C’était sur un ressortissant sri lankais qui avait un peu bu et était un peu virulent. Pour son bien-être et le nôtre, on l’a menotté. Il a passé la nuit au poste. L’avantage, c’est qu’on est rarement seul et que s’il se passe quelque chose, on est très rapidement rejoint."

Une appréhension avant le premier jour? "Je vous mentirais si je vous disais non. Mais à l’école, on acquiert quand même un package qu’on met relativement vite en place sur le terrain."

 La clé d’une bonne acclimatation? Gagner la confiance des riverains et commerçants.

Postée sur la place de la Visitation, deuxième point de filtrage pour accéder au Rocher, Amélie s’épanouit à garantir la sécurité du centre névralgique de toutes les décisions politiques de Monaco, comme à renseigner les touristes.

"Je suis très sociable et joyeuse, je me suis intégrée très rapidement. Je connais tous les chauffeurs de bus, les personnels du Palais princier ou du Musée. Il y a le même respect pour nous à tous les niveaux. Le Prince nous salue, comme le ministre d’État."

Sur le qui-vive en permanence, Amélie ne ressent pas de pression néfaste. "Je me sens protégée. Les gradés prennent le temps de nous recevoir quand on a des questions et rien qu’être à l’écoute radio, on apprend beaucoup."

S’il y en a un qui n’a pas tardé à rentrer dans le vif du sujet, c’est bien Anthony, à Fontvieille. "Dès mon premier jour, j’ai eu une grosse intervention au niveau des bâtiments usines. Une fuite de liquide chimique et l’évacuation de deux étages complets en soutien des pompiers." 

Une "poussée d’adrénaline" mais pas de vertige. "On nous laisse beaucoup d’autonomie pour nous forger notre propre point de vue", estime le Monégasque, qui a vécu vingt-cinq ans dans le quartier avant d’y officier.

À la mi-septembre, Anthony aura aussi pour mission de sécuriser les abords de la nouvelle école de police, dont les travaux touchent à leur fin dans l’enceinte du stade Louis-II. La promotion 2020 restera donc également dans les annales comme la dernière formée rue Louis-Notari. Décidément unique.

Motard, il retourne à l'école pour intégrer la police judiciaire

"L'expérience vous fait acquérir quelques réflexes et le "flair de policier" Photo C.D., T.D. et JFO.

Avec Sébastien et Arnaud, Jonathan est un des "grands frères" de la promotion 2020 et un exemple de la politique de mobilité interne.

Aujourd’hui lieutenant-stagiaire à la section financière de la Division de police judiciaire, il a repris le chemin de l’école après sept années de service dans le peloton motocycliste.

Si le motard a mis la béquille et replongé dans les bouquins, quitté le terrain pour s’enfermer dans les bureaux, c’est par conviction profonde. "La judiciaire m’a toujours fait rêver, c’est l’image que j’avais de la police avant d’y rentrer."

Originaire de Nice, Jonathan a "fait le grand saut" en 2008. Titulaire d’un bac+5 en économie, il bosse dans une banque ou un hypermarché avant de "revenir à [ses] premières amours": la police.

Pourquoi Monaco? Par envie de rester dans la région et sur les conseils d’amis qui lui présentent la Sûreté publique "comme une très bonne maison", "avec une philosophie de la sécurité plus poussée qu’en France". Ses insignes conquis, il fait ses armes à l’îlotage ou en équipage de police secours, avant de répondre à un appel à candidatures en 2010.

Un an avant le mariage entre le prince Albert II et Charlène Wittstock, le peloton de motards cherche des renforts. "J’ai passé les tests et mis mon premier pied dans la botte (rires)." Mobilisé pour la sécurité du mariage princier, Jonathan rejoint le peloton à plein temps en 2012.

En 2016, l’idée de repasser par la case école pour décrocher un diplôme de lieutenant se fait plus pressante. Seul hic, passé 30 ans, les concours internes ne sont ouverts qu’après neuf ans d’ancienneté. Il patiente.

"J’ai ouvert les bouquins de droit et tout repris depuis le début pour passer le concours en 2018." Il parviendra jusqu’à l’oral mais butera sur la dernière marche. Qu’importe, Jonathan ne baisse pas les bras. "J’ai continué. Ouvert d’autres livres et réussi le concours en 2019." En mai, il raccroche les bottes pour devenir élève-lieutenant.

Le genre de bascule encouragée par le directeur de la Sûreté, Richard Marangoni. "Il y a trente ans, la police, c’était quatre ou cinq métiers. Aujourd’hui, c’est 20 à 25 métiers et on n’a pas conscience de ça. Passer de contrôles de vitesse sur la voie publique aux affaires financières est valorisant et enrichissant, mais ça demande un fort effort intellectuel."

Deuxième de sa promo, il choisit les affaires financières et casse la routine. "Tout a changé! À la financière, il y a beaucoup d’administratifs, de documents à exploiter. Je suis encore dans la phase d’apprentissage de l’organisation et croyez-moi, ce n’est pas évident (rires)."

Le dénominateur commun entre ces piles de dossiers et le terrain? Le "flair policier". "L’expérience vous fait acquérir quelques réflexes et un “sens policier”, qui démarre par l’observation, se développe."

Aux acquis, s’ajoutent des formations continues à l’extérieur et le partage en interne.

Avec les supérieurs: "On est pris en main par un chef de groupe dès notre arrivée, qui nous distille ses connaissances et vers lequel on revient chaque jour avec nos interrogations pour qu’il nous guide."

Comme avec les jeunes collègues, notamment par des groupes Whatsapp. "On les aide, les drive, leur dit aussi quand ça ne va pas. A l’école, c’est plus facile de s’adresser à un collègue de promotion qu’à un formateur qui se doit d’être plus sévère."

S’il continue à gérer le tout-venant lors de permanences à la judiciaire, ou d’effectuer des rondes en civil selon l’événementiel ou pour contrer des recrudescences d’infractions, Jonathan apprend surtout à travailler avec une nouvelle hiérarchie.

"J’ai une double hiérarchie, administrative et judiciaire. Une double casquette que je ne connaissais pas puisqu’on travaille surtout avec les juges d’instruction et le parquet."

Contrôle de stagiaires à la frontière. Photo C.D., T.M. et JFO.

Lancés dans le grand bain en pleine crise sanitaire et sans repères

Lancés dans le grand bain en pleine crise sanitaire
et sans repères

Responsable adjoint de la section de proximité et de sécurisation (SPS) depuis février, Letizia Alessandri est formelle.

Les 120 fonctionnaires qu’elle manage, dont 17 agents-stagiaires, "ont tous appris des nouvelles missions pendant le confinement". "Notre mission est normalement de permettre aux gens de sortir de chez eux en toute sécurité et librement. Là, on a fait exactement l’inverse en les empêchant de sortir."

Autant dire qu’il fallait du tact. "Les gens étaient beaucoup plus dans l’affront, certaines personnes qui viennent travailler à Monaco étaient contrôlées tous les matins. Elles essayaient de nous titiller, encore plus en étant une femme, mais je n’ai pas eu de problème majeur", confie Amélie.

Letizia Alessandri est justement le premier officier féminin en uniforme de l’histoire de la Sûreté publique. Elle retient la bienveillance. "On a eu quelques cas un peu farfelus mais on a aussi été félicités au quotidien pour nos actions. Des gens proposaient de nous acheter des boissons pour nous rafraîchir sur les points fixes ou nous applaudissaient sur les trottoirs."

Un sentiment de devoir accompli similaire chez Élodie. "On a tous, petit à petit, essayé de surmonter cette pandémie et je pense qu’on a réussi"

Mais la mission se poursuit, insiste Letizia Alessandri. "Des personnes oublient de respecter les gestes barrières devant les restaurants et bars. À la vue d’un policier qui porte le masque ostensiblement, on les voit naturellement reprendre leurs distances. Le danger est moindre mais il est toujours là."

Anthony, lui, a été "mis sur la touche" jusqu’au déconfinement pour préserver sa femme enceinte. "Je les remercie, ça prouve qu’on prend soin de nous à la Sûreté."

De l’école de police aux premiers pas sur le terrain, en passant par la remise d’insignes et les choix d’affectation, les 35e promotion d’élèves-lieutenants et 50e d’élèves-agents resteront singulières par leur formation écourtée et la soudaine crise sanitaire du Covid-19 à affronter. Photo C.D., T.M. et JFO.
De l’école de police aux premiers pas sur le terrain, en passant par la remise d’insignes et les choix d’affectation, les 35e promotion d’élèves-lieutenants et 50e d’élèves-agents resteront singulières par leur formation écourtée et la soudaine crise sanitaire du Covid-19 à affronter. Photo C.D., T.M. et JFO.

“Rhôooooooooo!”

Vous utilisez un AdBlock?! :)

Vous pouvez le désactiver juste pour ce site parce que la pub permet à la presse de vivre.

Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires ressentis comme intrusifs.

Monaco-Matin

Un cookie pour nous soutenir

Nous avons besoin de vos cookies pour vous offrir une expérience de lecture optimale et vous proposer des publicités personnalisées.

Accepter les cookies, c’est permettre grâce aux revenus complémentaires de soutenir le travail de nos 180 journalistes qui veillent au quotidien à vous offrir une information de qualité et diversifiée. Ainsi, vous pourrez accéder librement au site.

Vous pouvez choisir de refuser les cookies en vous connectant ou en vous abonnant.