L'étonnant témoignage littéraire d'une travailleuse du sexe sans remords, ni complexes…
Le chemin est un peu plus court que celui qu'elle décrit joliment au début du bouquin, mais la maison basse, les rosiers, la fontaine et le banc sont bien là. Il y a aussi une table et, du jardin, on voit les collines de l'arrière-pays. Elle est « celle qui attend au bout du chemin ».
Petit brin de femme, emmitouflée dans une écharpe en crochet. Certains, raconte-t-elle, arrivent à pied, préférant garer leur voiture plus bas sans doute pour ne pas être vus entrant chez elle. D'autres, moins discrets, se font déposer en taxi.
La plupart avancent leur véhicule jusqu'à la terrasse. « Inlassablement, je les reçois, écrit Marie. Et il faut faire ce qu'il y a à faire, durablement puisqu'ils viennent pour ça »
ça (le sexe), il en est question à presque toutes les pages du livre. Marie ne cache absolument rien de ses pratiques, ou plutôt de celles pour lesquelles la paient ses clients.
« Rien ne me rebute » avoue-t-elle, comme surprise elle-même de ce qu'elle est capable de faire pour répondre à leurs désirs, une fois le rideau de son salon rouge tiré.
Elle décrit ses services avec une précision presque médicale (officiellement, Marie exerce le métier de masseuse), mais non sans humour.
D'un client particulièrement remuant, elle peut écrire, par exemple, qu'il « fait du sept préservatifs de l'heure ». D'un autre, après « trois orgasmes obtenus, selon l'envie du moment, par fellation, rapport classique, sodomie ou masturbation », qu'il sort de chez elle « détendu, avec une bonne fatigue et prêt à dévorer deux steaks »...
Son livre est une savoureuse galerie de portraits de ces hommes qui viennent la visiter. Certains avec une grande régularité, comme en témoignent ses carnets de rendez-vous, dans lesquels elle note d'une écriture appliquée les préférences et les caractéristiques physiques de chacun, « Pour mieux les recevoir la fois suivante ».
Jeunes, vieux, moches, maladroits, doux, brutaux, attentionnés, pressés ou romantiques, elle les aime tous à sa manière. Bienveillante, amusée, presque reconnaissante : « Parce qu'ils paient cher, ils m'offrent la possibilité d'être disponible, autant pour eux que pour mon propre monde, ma vie ici, les enfants, le jardin, mes projets ».
Elle fait très consciencieusement son métier de « travailleuse du sexe » et cela ne la gêne pas de dire plutôt « pute » ou « prostituée ». Le client en a pour son argent : « Quand ils reviennent, c'est mon orgueil qui est à la porte » écrit-elle encore.
« Pour mes voisins, je fais des massages »
De son ancien métier, qu'elle a délibérément choisi de ne pas reprendre, après un congé maternité et une séparation, Marie a gardé le goût des mots, de la lecture (Le Clezio et Camus en particulier) et de l'écriture.
« J'ai commencé à écrire ce livre comme une sorte de manuel pratique du massage érotique, confie-t-elle. Mais j'ai vite trouvé ça ennuyeux et j'ai bifurqué vers les portraits ».
Publié chez Plein Jour, le bouquin, très joliment tourné, s'intitule « Éphémère, vénale et légère ». Un titre quelle n'a pas choisi, mais qu'elle a fini par apprécier. Lequel de ces qualificatifs la représente le mieux ? « Vénale, répond-elle sans hésitation. Sinon, je ne ferai pas ce métier. En ville, j'aurais pu être escort ».
Installée à la campagne, Marie pratique plutôt les « massages érotiques avec finition manuelle » (sic). La « prestation intégrale » est à la demande (et à la tête du client), facturée une centaine d'euros.
Comment concilie-t-elle cette activité avec ses devoirs de mère célibataire au foyer ? « Très bien, assure Marie. Pour mon entourage et mes voisins, je fais des massages. C'est une activité qui permet de programmer ses rendez-vous en dehors des heures d'école, ça paye le loyer et les factures, et on a tous ses week-ends ».
Personne n'a jamais su ce qui se passait derrière le rideau du salon. En dix ans d'exercice, Marie assure n'avoir jamais eu aucun problème avec un client.
Encouragée par les premiers retours de lecture élogieux, elle songe toutefois à arrêter les « massages avec finition », pour se consacrer entièrement à l'écriture.
Ses années de prostitution à domicile n'auront visiblement laissé sur elle aucun trauma : « Je devais être déjà un peu atteinte avant, conclut-elle en riant. Sinon, je n'aurais jamais osé me lancer là-dedans ! ».
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