Il commence sa conférence par une anecdote. C'était en 1943. Réfugié avec sa famille en zone libre à Nice, où son père trouve un poste d'inspecteur des jeux au Palais de la Méditerranée, Serge Klarsfeld passe une journée en Principauté. Pendant que ses parents jouent au Casino, avec sa sœur, il joue dans les jardins voisins.
« Je me souviens que mon père est ensuite venu nous chercher et avec une somme gagnée à une table de jeux, il nous a invités au restaurant, ce qui dans notre situation à l'époque était assez rare. Ce fut notre ultime escapade familiale ».
Quelques jours plus tard, les nazis arrêtent les Juifs dans les rues de Nice. Le 30 septembre 1943, ils sont au pied de l'immeuble des Klarsfeld. Le père cache femme et enfants derrière une fausse cloison qu'il avait construit dans un placard.
« Les officiers allemands sont arrivés, ils ont fouillé tout l'appartement, ouvert ce placard, touché les vêtements qui y étaient entreposés mais ils n'ont pas remarqué cette double cloison où nous étions cachés ma mère, ma sœur et moi ». Le père est arrêté et déporté vers les camps de la mort d'où il ne reviendra jamais. « J'ai survécu dans ce placard, mais je n'ai jamais perdu ce lien avec mon père. En 1965, quand j'allais à mon tour devenir père, j'ai ressenti son absence pour la première fois et j'ai décidé d'aller à Auschwitz ».
« Une génération exceptionnelle »
C'est par ce témoignage intime que Serge Klarsfeld a entamé mardi soir sa conférence à Monaco, répondant à l'invitation de Jacques Wolzok, devant un petit auditoire.
« J'appartiens à une génération exceptionnelle qui a vu une tentative d'exterminations des Juifs et la résurrection d'un état juif. Même si je n'ai pas baigné dans la culture. Ma mère nous parlait en russe, pas en yiddish et elle n'était pas religieuse. »
Avocat, historien, figure de la défense des juifs persécutés pendant la Seconde guerre mondiale, Serge Klarsfed, 82 ans, a consacré sa vie à ce combat. Pour rétablir la mémoire des millions de déportés. Et traquer leurs bourreaux. Avec sa femme, Béate, une Allemande rencontrée au début des années 60, alors qu'elle étudie en France.
Leur premier coup d'éclat, s'attaquer au chancelier allemand de l'époque, Kurt Georg Kiesinger, dont ils ont la preuve du passé nazi. Le 7 novembre 1968, elle le gifle en public, ébranlant le destin politique de ce dernier. Le couple Klarsfeld commence alors une campagne pour débusquer et faire juger les criminels nazis.
« Au fil des années, un travail pédagogique a été fait et nous avons vu la montée de connaissance face à la Shoa. Quand nous avons commencé nos actions en 1970, il y avait 300 livres sur la Shoa. Il en existe aujourd'hui plus de 30 000. Tous les états occidentaux ont un mémorial pour les victimes de la Shoa. Et de nombreux pays ont mis en place des commissions d'indemnisation ».
« Le prince Albert II a souhaité la transparence »
Une liste dont fait partie Monaco. Où une centaine de Juifs étrangers ont été arrêtés, sur ordre du gouvernement de Vichy de l'époque exécuté par un conseiller de gouvernement de l'époque, en l'absence du prince Louis II et du ministre d'état.
« À la fin des années 80, je me suis intéressé à cette période de l'histoire en Principauté, et j'ai entrepris des recherches dans les carnets de fouille de Drancy. Mais également, avec l'accord du prince Rainier-III qui m'avait transmis les archives du pays de cette période d'août 1942. Des années plus tard, le prince Albert II a souhaité la transparence totale sur cet épisode et la commission d'assistance aux victimes de spoliations a été créée », continue l'avocat, qui compte parmi ses membres. « Depuis onze ans, cette commission a traité une vingtaine de cas, dont une quinzaine ont été très convenablement indemnisés ».
Une action pour le devoir de mémoire, allant de pair avec l'inauguration à l'été 2015 par le souverain, d'un monument en hommage aux déportés juifs de Monaco.
Fier du travail accompli, Serge Klarsfeld n'en a pas pour autant cacher ses craintes de voir la montée des politiques radicales, actuellement, dans plusieurs pays d'Europe.
« Je suis inquiet de ces mouvements en expansion. Les gens ont peur et se tournent vers les démagogues. Les jeunes générations, qui n'ont pas connu la guerre doivent comprendre qu'il faut défendre la liberté. C'est un combat auquel tout le monde doit participer. Les citoyens normaux peuvent s'engager. C'est ce que nous représentons Béate et moi ».
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