"N’avez-vous pas le sentiment d’avoir trahi la confiance d’une dame âgée ? Vous lui avez volé sa carte bancaire et dilapidé 367.620 euros en trente et un mois! Alertée par les sommes prélevées sur son compte, cette personne porte plainte. Mais à aucun moment elle s’imagine que vous êtes à l’origine des retraits. Dans ses dépositions, l’octogénaire a même déclaré qu’elle vous aimait énormément et vous considérait comme un membre de sa famille. Enfin, elle chiffre le préjudice bien au-delà de l’estimation annoncée…"
La présidente du tribunal, Françoise Barbier-Chassaing (*), est écœurée par le comportement de la prévenue, indignée par de tels procédés. La magistrate écarte la faiblesse psychologique et stigmatise l’outrage aux bonnes mœurs.
>>RELIRE. L’auxiliaire de vie d'une dame âgée accusée de lui avoir soutiré 300.000 euros en deux ans
"Elle est riche et j’étais devenue sa confidente"
Arrivée menottée à l’audience correctionnelle, la prévenue, 47 ans, l’écoute et acquiesce. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Elle essaie d’ailleurs de demander pardon, sans trouver les mots adaptés pour y parvenir. Alors, désappointée, décontenancée, moues et silences lui semblent d’un meilleur secours que la contrition.
Cette Beausoleilloise, incarcérée depuis le 21 juillet 2018, a eu le temps de réfléchir dans sa cellule aux éventuelles excuses. Mais ces allégations rappellent bien souvent la faute plus qu’elles ne l’atténuent!
Alors la détenue évoque le train de vie aisé de sa providentielle bienfaitrice au moment où elle était sans emploi.
"J’étais devenue son interlocutrice privilégiée. Sa confidente! Elle était riche. Je l’aidais. En échange, elle me rétribuait au black. J’ai effectué par la suite des retraits d’argent, entre 500 euros et 900 euros à chaque fois, sans m’inquiéter si son compte bancaire était alimenté…"
Prompte riposte de la présidente: "Le débiteur principal, c’était vous!"
Réponse instantanée de la prévenue: "Je n’avais pas de travail. Il fallait payer le loyer, les dépenses courantes…"
Réplique tout aussi brusque de la juge: "Dites plutôt que vous buviez pas mal! Vous avez claqué l’argent en invitant vos copines. Vous aimiez flamber au cours de vos sorties nocturnes et vous réfugier dans l’alcool. Vous êtes dépensière, superficielle et immature. Vous avez abusé d’une personne âgée: c’est inadmissible de faire partie des rapaces. Où sont les 367.620 euros?"
Dans son voyage au bout de la tromperie, l’intéressée avoue: "J’ai tout dépensé…"
Un dossier d’une ampleur exceptionnelle
Pour comprendre cette nécessité de vivre dans l’infamie de l’escroquerie fallait-il admettre une existence faite de bric et de broc ? Un manque d’amour lié à une enfance difficile?
Une propension à la dépression? Une tentative de suicide? Un visage déplaisant confié aux opérations esthétiques? Des relations humaines compliquées? Finalement, la présidente brosse le portrait d’une femme "narcissique, complexée, perturbée, dissimulatrice, menteuse".
Quand le premier substitut Cyrielle Colle évoque ce dossier affligeant, d’une ampleur exceptionnelle, une mythomane apparaît. "Où sont ses affaires Chez elle, il n’y avait rien. Tout avait été mis à l’abri entre-temps. Où est l’argent détourné? Madame n’a ni voiture ni compte bancaire, aucun revenu et elle est sans travail!
Tout a été dépensé dans du vent! Les faits sont passibles d’un emprisonnement de cinq ans et 720.000 euros d’amende. Une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans est toutefois adaptée pour ses reconstruction et réinsertion. Confisquez les effets vestimentaires, les bijoux et les chèques émis par la victime. »
"Elle est heureuse d’avoir été arrêtée"
Comme les faits étaient reconnus et aucune partie civile présente à l’audience, la défense axe sa plaidoirie sur la disgrâce, la fatalité et les revers de la prévenue.
"Dès son jeune âge, ma cliente est rejetée par sa famille, affirme Me Clyde Billaud. Ses parents la considèrent comme un accident de parcours. Ses amis qu’elle a arrosés la tiennent pour une prostituée. C’est une femme déconnectée de la réalité. Elle veut plaire et mener la grande vie. Elle est heureuse d’avoir été arrêtée dans sa spirale infernale. Accessible au sursis, elle veut repartir en Bretagne chez sa mère. Si le terme de clémence est inadapté, prenez en compte son trouble."
Le tribunal préfère punir: deux ans de prison ferme. Après une année derrière les barreaux et les habituelles remises de peine, cette femme sera maintenue en détention pour les six prochains mois.
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