La grotte de l'Observatoire (re)passée au peigne fin

En septembre, les fouilles archéologiques vont reprendre sous le jardin exotique, après trente ans d'interruption. L'occasion d'en découvrir plus sur le Monaco de nos lointains ancêtres

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Benoît PIRAUX Publié le 23/08/2016 à 05:09, mis à jour le 23/08/2016 à 05:09
Photo Michael ALESI et Musée d’Anthropologie Préhistorique

Cent ans ont passé depuis que des ouvriers, à la demande du Prince Albert-Ier, ont mis à jour de nombreuses reliques archéologiques, lors de travaux pour agrandir le Jardin exotique.Nous étions alors en 1916. En septembre, les fouilles vont reprendre à la grotte de l’Observatoire, une première depuis 1987. L’occasion pour l’équipe de recherche affiliée au Musée d’anthropologie préhistorique de faire la lumière sur de nouvelles zones de la longue histoire de Monaco. Et de compléter la collection de plusieurs dizaines de milliers de reliques retrouvées au fil du temps. Elena Rossoni-Notter, docteur en archéologie et fille du pays, et Patrick Simon, directeur du musée, creusent le sujet avant la reprise des fouilles.

Comment a débuté le périple archéologique de Monaco?
- Elena Rossoni-Notter: La première relique découverte sur le territoire remonte au XVIIIe siècle. C’est un petit bout d’éléphant découvert dans la grotte située sous le Jardin exotique. Par la suite, dans une envie d’urbanisation, les gens ont creusé partout pour ériger les fondations de Monte-Carlo: l’occasion de découvrir de nombreux vestiges perdus. Nos Princes étaient alors intéressés par l’archéologie et les chercheurs se sont mis à collecter toutes les trouvailles, qui étaient conservées au Palais princier. La fondation du Musée en 1902 marque le début de l’aventure archéologique moderne de Monaco.

Quels sont les sites de fouilles les plus importants?
- E.R.-N.: Le plus vieux est la grotte de l’Observatoire. Comme preuve de son ancienneté, nous y avons retrouvé des outils préhistoriques très spéciaux datant de l’Homo erectus. Il y a une différence flagrante avec ceux utilisés par les Cro-Magnons. C’est l’indicateur d’une culture à part vieille de plus de 300.000 ans.
- Patrick Simon: La grotte des jardins Saint-Martin est aussi un lieu phare. Elle a été fouillée par Léonce de Villeneuve à la fin des années 1910. Nous y avons trouvé des pièces exceptionnelles sur la faune du Monaco des anciens temps.Comme un crâne complet de marmotte par exemple. En bord de Méditerranée, une telle trouvaille est un bel indicateur. Il ne s’agit pas de son biotope naturel, la marmotte n’aime pas la chaleur, ni le bord de mer. Cela nous prouve que l’on est encore à l’époque de la Glaciation, autour de - 18.000 ans. En début d’année, la Direction de l’Aménagement Urbain (DAU) nous a permis d’y refaire quelques prélèvements. Depuis le premier directeur du Musée en 1908, personne n’avait touché à la grotte Saint-Martin.
- E.R.-N.: D’autres sites ont malheureusement disparu ou ont été cachés par l’urbanisation. Tous les quartiers de Monaco ont été occupés par nos ancêtres! Au niveau des Spélugues, l’actuel Monte-Carlo, ou des Bas-Moulins par exemple. Au fil des chantiers, de nouvelles pistes ont été aussi révélées. Nous entretenons ainsi un très bon contact avec la DAU, les travaux publics et les entreprises privées qui nous préviennent de leurs trouvailles.

Que nous apprennent ces découvertes sur Monaco?
- E.R.-N.: Nous avons retrouvé des traces du Néolithique, c’est-à-dire l’âge des métaux, mais aussi de l’homme sédentaire. Tout montre que Monaco était une zone refuge avec beaucoup de passage.q P.S.: Son contexte géographique fait de Monaco une zone naturellement protégée.On le voit bien avec l’implantation romaine sur l’anse portuaire.On sait aussi qu’il y a fait très froid: à une période, le renard polaire et le renne gambadaient librement à Monaco.

Quel est votre prochain défi?
- E.R.-N.: Nous allons nous réattaquer à la grotte de l’Observatoire. Grâce aux nouvelles technologies de datation et un scan 3D intégral du lieu (lire page suivante), notre objectif est de mieux comprendre les occupations successives du territoire. L’idée est de comprendre qui est venu, comment et pourquoi! La communauté archéologique internationale s’est montrée très intéressée par la reprise de ces fouilles.Nous avons composé une équipe pluridisciplinaire et des spécialistes du monde entier viendront apporter leur lumière. Nous allons par exemple faire venir d’Afrique du Sud, un Français qui est le grand spécialiste des carnivores.Il va étudier la place des lynx, des panthères et des loups dans la région… Les fouilles débuteront en septembre, nous sommes juste dans l’attente d’un retour administratif avant de lancer la machine.

D’autres envies?
- E.R.-N.: Il y a beaucoup de choses à faire sur terre, mais aussi sous l’eau.À moyen-terme, nous aurions le projet de fouiller les fonds marins monégasques.Il y a encore de nombreux trésors à découvrir!

Des fouilles high-tech

Depuis 1987, aucun archéologue n’avait mis les pieds dans la grotte située sous le Jardin exotique. Presque 30 ans plus tard, l’équipe de recherche archéologique monégasque se dote d’une équipe d’experts venue du monde entier.Bond dans le temps oblige, ces fouilles seront placées sous le signe du high-tech et du progrès.
Le choix dans la datation

Première avancée technologique, et pas des moindres : la datation.Le carbone 14, méthode traditionnelle utilisée il y a trois décennies, est «limitée dans le temps», expliquePatrick Simon, le directeur du Musée d’anthropologie préhistorique. «Il n’est pas possible d’aller au-delà de – 40 000 ans, alors que certaines pièces trouvées sur le site sont beaucoup plus vieilles.»

Aujourd’hui, d’autres techniques permettent de déterminer bien plus précisément l’âge des reliques déterrées. Une nouvelle méthode, apparue il y a une dizaine d’années, pourrait apporter des résultats étonnants lors de la reprise des fouilles.Son petit nom : la datation par isotopes cosmogéniques. Patrick Simon en vulgarise le principe : «Depuis la nuit des temps, à chaque instant, nous sommes bombardés sans interruption par des rayonnements cosmiques, l’énergie de l’univers si vous préférez. De temps à autres, ce rayonnement percute un atome, la structure de toute chose, va le briser et donner naissance à un isotope : du bérylium, du carbone, du chlore ou de l’aluminium par exemple. À l’aide d’un matériel extrêmement sophistiqué, il est possible de calculer le nombre d’isotopes apparus. Si l’on prend un galet de quartz par exemple, ce taux permet de dater le minéral à compter du moment où il a été exposé à la lumière.»

Une nouvelle méthode qui permet de dater une trouvaille jusqu’à – 10 millions d’années. «C’est un bond énorme pour nous. Cela va nous permettre d’étendre considérablement nos recherches.» Un travail complexe qui nécessitera la présence de spécialistes capables de réaliser des prélèvements précis et d’interpréter les résultats.
Monaco 3D

Seconde innovation : les équipes de recherche vont réaliser un scan 3D de la grotte de l’Observatoire «pour conserver une image, à l’instant T, de tous les sédiments encore en place avant de toucher quoi que ce soit», explique Elena Rossoni-Notter. Un géomètre-topographe viendra numériser la zone, «il s’agira de la première étape avant de reprendre les fouilles».

La mesure en trois dimensions est une innovation décisive pour l’archéologie et la conservation du patrimoine.Elle permet de compléter les archives des laboratoires mais fournit aussi un document de référence sur lequel les scientifiques peuvent travailler avec précision.

Ainsi si les fouilles modifient ou endommagent la structure de la grotte, il sera toujours possible de replacer les trouvailles à venir dans leur contexte d’origine. Grâce à la numérisation laser 3D le temps consacré aux relevés est dix fois moins long qu’auparavant. L’époque des dessins à la main et des datations limitées dans le temps est révolue.Le futur s’invite à la grotte de l’Observatoire.

Le biface: l’outil des premiers hommes de Monaco

Les bifaces font partie des pièces les plus emblématiques retrouvées à Monaco. Ces galets allongés en pointe sont des outils façonnés sur les deux faces arborant deux bords tranchants.

Il est fréquent de les retrouver sur les sites occupés par l'Homo erectus. « L'homme préhistorique d'alors cherchait à obtenir des tranchants très nets, explique Elena Rossoni-Notter. Il s'agissait en fait du premier couteau ! » Mais la grotte de l'Observatoire montre des particularités : « On y a retrouvé la présence de très grands éclats de galet à tranchants nets, utilisés comme hachoir pour casser de grands morceaux de roche. »

Une singularité toute monégasque. « On ne retrouve rien de comparable dans nos bibliographies. Rien n'y ressemble. Nous sommes obligés d'aller sur des sites de fouilles en Afrique ou en Espagne pour retrouver cette marque distinctive. »

Photo Michael ALESI et Musée d’Anthropologie Préhistorique.
Photo Michael ALESI et Musée d’Anthropologie Préhistorique.

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