Depuis 2013, Jean-Louis Bianco, 72 ans, est président de l'Observatoire de la laïcité. Il fut auparavant député et président du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, maire de Digne… Mais surtout deux fois ministre de François Mitterrand, aux Affaires sociales et à l'Équipement, après avoir été le secrétaire général de l'Élysée de 1982 à 1991. C'est cette immersion au cœur du pouvoir, au plus près du président de la République, qu'il raconte dans Mes années avec Mitterrand (1).
Il y décrit un temps qui n'était pas encore celui de l'urgence, du coup d'éclat permanent et de l'omniprésence médiatique. « Il faut donner du temps au temps », professait Mitterrand.
« Nous nous voyions presque chaque fin d'après-midi dans mon bureau, déroule Bianco. L'échange pouvait être court ou long, cela dépendait de son humeur. Dans ces moments du soir, je n'ai presque jamais vu François Mitterrand tendu, énervé ou impatient. Son attitude imprimait à la maison Elysée une sérénité ô combien indispensable en ce lieu de pouvoir. »
L'homme du secret
Bianco restitue un Mitterrand maintes fois dépeint, fonctionnant par réseaux cloisonnés : « Au-delà de deux personnes, il n'y a plus de secret », répétait-il volontiers.
Son secrétaire général ne saura ainsi rien de son cancer avant qu'il ne soit rendu public. Il apprendra aussi l'existence de Mazarine Pingeot sans que le Président lui en parle. « Mais il savait que je savais. Il lui arrivait de téléphoner devant moi à Anne Pingeot, en m'indiquant d'un geste de la main de rester dans son bureau. » Ou de lui demander quel cadeau ferait plaisir à une gamine d'une dizaine d'années...
Avec une tendresse et une admiration jamais démenties, mais sans excès hagiographiques, Jean-Louis Bianco retrace « quelqu'un qui avait de la France une sensation plus qu'une idée », « qui faisait ses choix en se référant à l'histoire », un homme fasciné par l'Afrique (« Je me sens de la famille ») et l'Amérique autant que par l'Europe.
L'ami de Kohl
Un fin politique au sens de la formule ravageur également. Au début de la première cohabitation, en 1986, Michel Noir se plaint que le Président ne soit pas venu saluer ses nouveaux ministres. Au conseil des ministres suivant, le chef de l'État vient lui taper sur l'épaule, le gratifiant alors d'un sonore « Bonjour, moi c'est François Mitterrand ».
Jean-Louis Bianco décrypte par ailleurs l'entente sans faille, doublée d'une amitié sincère, qui lia François Mitterrand et Helmut Kohl de 1982 à 1995, contribuant à faire avancer la construction économique et monétaire de l'Europe. Avec, en point d'orgue, cette image pour les livres d'histoire : la mimine du Français dans la grosse paluche de l'Allemand à l'ossuaire de Douaumont, le 22 septembre 1984.
L'ancien maire de Digne résume Mitterrand d'une phrase : « Un animal de pouvoir et un hédoniste qui goûtait avec gourmandise à tous les bonheurs de la vie. »
Président désavoué et ressuscité
Cette plongée dans quatorze années de convictions et de combats n'en élude pas totalement les turpitudes. À mots à demi-couverts, affleurent aussi calculs et mesquineries qui furent le lot des deux septennats mitterrandiens. Comme l'idée de référendum sur le référendum qui n'eut jamais lieu mais permit d'éteindre la guerre scolaire. Ou la naissance un brin téléguidée de SOS Racisme et la mise en scène par Jacques Pilhan de la « Génération Mitterrand ». Cette « tontonmania » qui contribua en 1988 à une réélection sans nuage qui semblait pourtant totalement improbable en 1986, quand débutait la cohabitation à couteaux tirés avec Jacques Chirac.
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