De Marat à Hitler, en passant par Napoléon et Henri IV: la mort des personnages célèbres n’a (presque) plus de secret pour Philippe Charlier

Dans son ouvrage « Autopsie des cœurs célèbres », Philippe Charlier, médecin légiste, revisite les grandes pages de l’histoire de France à travers l’autopsie des organes de personnages célèbres.

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Philippe Minard / ALP Publié le 10/08/2025 à 08:30, mis à jour le 10/08/2025 à 08:30
interview
"Généralement, quand j’arrive dans un pays que je ne connais pas, la première visite que je fais, c’est dans le cimetière", affirme Philippe Charlier. Photo Jennifer Parpette

On l’appelle "le médecin des morts". Philippe Charlier, médecin légiste, archéologue, anthropologue et directeur du laboratoire anthropologie, archéologique et biologie de l’université de Versailles, raconte dans son livre (1) son travail, rendu possible par de nouvelles avancées scientifiques permettant de reconstituer l’environnement et l’état de santé de plusieurs morts célèbres auxquels il s’est intéressé. De Marat à Hitler, en passant par Napoléon et Henri IV, ce voyage dans le temps ne manque pas d’étonner...

Pourquoi avez-vous choisi d’être médecin légiste?

C’est une vocation qui est née quand j’étais tout jeune, à Pompéi. J’étais alors fasciné par l’idée de faire parler les morts, avec un regard qui était celui d’un scientifique, d’un pragmatique, pas avec une boule de cristal, mais avec les outils de la médecine légale, de l’archéologie et de l’anthropologie.

Quand on choisit ce métier, c’est a priori pour aider la justice. Vous, c’est plutôt pour aider l’histoire?

Quand on commence les études de médecine, on prend goût au patient, à la relation médecin-malade, qui est d’une intimité folle et d’une importance humaine fondamentale. Aujourd’hui, je pratique toujours la médecine légale pour la justice, mais aussi pour garder la main. Quant à l’histoire, je ne pense pas qu’elle a besoin d’être aidée.

Nous sommes là pour travailler aux côtés des historiens, pour progresser ensemble vers ce que l’on appelle la manifestation de la vérité, une jolie expression très médico-légale d’ailleurs. Quand mes enfants me demandent: "Papa, tu as fait quoi aujourd’hui?", je leur explique que j’ai voyagé dans le temps, en étudiant des latrines du XVIIe siècle ou un crâne de l’époque. J’ai ainsi eu le privilège d’avoir des reliques de la Passion du Christ dans les mains, avec un morceau de sa croix et une épine. J’avais envie de voyager dans le temps, mais de façon cartésienne.

C’est le mélange de vos trois spécialités qui vous a amené à étudier les restes humains ou les reliques de personnages illustres?

Oui, c’est ce triple regard médical, archéologique et anthropologique qui donne vraiment une vision démultipliée, quasiment kaléidoscopique d’une situation, et qui permet de comprendre les circonstances de vie ou de survie, les causes de mort, mais aussi les rituels qui entourent la maladie ou les funérailles d’un individu. L’être à étudier est tellement complexe que trois spécialités sont au moins nécessaires pour commencer à percevoir un peu cette complexité.

Pour mieux connaître les vivants, il faut donc bien connaître les morts?

Généralement, quand j’arrive dans un pays que je ne connais pas, la première visite que je fais, c’est dans le cimetière, afin d’essayer de mieux comprendre une civilisation. D’ailleurs, une civilisation qui ne s’occupe plus de ses morts est une civilisation qui est en train de mourir, qui n’est plus humaine. Ne pas respecter les défunts, c’est mourir soi-même. Donc oui, pour connaître une civilisation, qu’elle soit du passé ou du présent, il faut passer par ses morts. Je suis également convaincu qu’il est important de voir les morts car il faut se rendre compte de la normalité de cet événement. Il faut initier les enfants à la mort pour qu’ils comprennent que c’est une chose normale.

Pour revenir à vos morts célèbres, quel intérêt y a-t-il à s’intéresser au cas de Marat, dont on sait qu’il a été poignardé par Charlotte Corday en 1793?

Une technique nouvelle, la protéomique, permet d’identifier les protéines et les peptides, qui sont bien mieux conservés que les fragments d’ADN et qui nous permettent de dire à quoi correspond une tache, un résidu, un dépôt, dans des contextes archéologiques ou historiques, et même médico-légaux. Avant on disait: "Voilà, là, vous avez une tache sur un bureau", mais on ne savait pas si c’était du café, du chocolat, ou du thé, voire du sang. Aujourd’hui, on peut dire: "C’est le sang de Robespierre", et d’ailleurs, on vous confirme même que la balle est rentrée par la bouche et qu’elle est ressortie par la joue. Dans le cas de Marat, le sang qui a coulé à la surface de sa peau a emporté avec lui toutes les protéines, les bactéries, les champignons et les microbes en général qui étaient à la surface. On a ainsi découvert qu’il développait une acné avec staphylocoque doré. On comprend pourquoi il passait dix heures par jour dans son bain!

C’est cette technique qui vous a permis d’identifier la mâchoire d’Hitler?

Oui, il fallait d’abord clore une hypothèse complotiste l’imaginant fuir en Argentine, au Brésil ou sur la face cachée de la Lune… Donc ça, c’est fini. Et puis il s’agissait aussi, en effet, de mieux connaître les circonstances exactes de son décès, en l’occurrence de son suicide. On a ainsi pu démontrer qu’il avait d’abord croqué une capsule de cyanure, qui n’a pas fonctionné, soit parce qu’elle était altérée, soit parce qu’il avait mangé trop de sucreries. Il est mort d’un tir qui était plutôt entrant du côté temporal droit ou derrière la bouche, car il n’y avait pas de traces de dépôt, de résidu de poudre à l’intérieur de la bouche. On peut confirmer maintenant, de façon certaine, qu’il est bien mort fin avril 1945 à Berlin.

Cette technique pourrait aussi vous permettre d’en savoir plus sur la mort de Napoléon?

Les différentes analyses toxicologiques liées à la personne de Napoléon souffrent de défauts, mais celles sur des échantillons de ses cheveux semblent montrer la présence d’arsenic, allant dans le sens d’une source extérieure. Mais il nous faut plus d’éléments pour éliminer définitivement l’hypothèse d’un empoisonnement de Napoléon et distinguer ce qui relève de sa maladie naturelle de l’estomac. Nous avons donc lancé des fouilles archéologiques dans le domaine national de Longwood, à Sainte-Hélène, afin de rechercher les traces de l’imprégnation chronique en produits toxiques dans les résidus des latrines et dans les poubelles de l’empereur, dans les échantillons de son mobilier, dans les jardins et canalisations.

Quel personnage aimeriez-vous autopsier?

Saint Marc, à Venise. Il s’agit du corps d’un des évangélistes qui a été récupéré à Alexandrie il y a 1.000 ans à peu près. Ce serait assez intéressant de savoir s’il s’agit du corps de saint Marc ou de celui de quelqu’un d’autre. Pour y parvenir, nous devons établir un faisceau de concordances entre l’ADN, la datation, la région géographique d’origine, l’âge et la cause du décès, les maladies, le régime alimentaire. Tous ces éléments vous permettent de dire: "OK, là, je suis certain que c’est la bonne personne." C’est ce que l’on a fait pour Henri IV, par exemple, dont on est certains que c’est bien sa tête, embaumée en 1610, qui a été retrouvée dans l’armoire d’un couple de retraités à Chartres. De ventes aux enchères en ventes aux enchères, elle s’était retrouvée dans un lot avec de la vaisselle et un matelas. Or, elle provient de la profanation des sépultures de la basilique Saint-Denis, en octobre 1793! On continue toujours à travailler dessus: nous sommes en train de reconstituer sa voix, ce qui est possible parce que la tête est très bien préservée, et que l’on dispose des cordes vocales, du larynx et du pharynx.

1. "Autopsie des cœurs célèbres", de Philippe Charlier avec David Alliot (Éditions Texto), 190 pages, 9 euros.

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