Côte d’Azur perd le nord ! L’impact carbone peut choquer : ces transports font réagir dans le Pas-de-Calais Un laisser-aller général

Après plus de 1200 kilomètres de route, la noria de camions - emportant depuis le 30 octobre les sacs-poubelles des Cannois ou Grassois - arrivait sur le site de Labeuvrière.

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Publié le 16/11/2019 à 10:40, mis à jour le 16/11/2019 à 10:40
C’est dans cette usine de Labeuvrière (62) que 500 tonnes d’ordures ménagères de Cannes et Grasse ont été brûlées.
C’est dans cette usine de Labeuvrière (62) que 500 tonnes d’ordures ménagères de Cannes et Grasse ont été brûlées. Pierre-Louis Curabet/La Voix du Nord

Après plus de 1200 kilomètres de route, la noria de camions - emportant depuis le 30 octobre les sacs-poubelles des Cannois ou Grassois - arrivait sur le site de Labeuvrière. Bienvenue dans le Pas-de-Calais, à sept kilomètres de Béthune.

Dans cette usine, les déchets sont brûlés. La communauté d’agglomération de Béthune-Bruay a confié la gestion du site jusqu’en 2026 à la société Valnor (Veolia). À leur arrivée, au terme de plus de dix-huit heures de route, les poids lourds azuréens étaient pesés sur le pont-bascule.

Les chauffeurs vidaient leur chargement dans la fosse d’environ 3 000 m³ avant que les ordures ne passent au brûlage.

Pour faire fonctionner ses fours, le Centre de valorisation énergétique de Labeuvrière doit brûler 90 000 tonnes par an pour rester à température. Problème : il n’en reçoit que 75 000 de l’agglo et cherche le surplus à l’extérieur.

Mais jusqu’où ?

Nous avons contacté La Voix du Nord. Ses journalistes ont mené l’enquête de leur côté et interrogé les autorités.

Les questions posées par nos confrères ont provoqué quelque émoi au sein des pouvoirs publics. La préfecture du Pas-de-Calais a ainsi expliqué à La Voix du Nord qu’aucune distance d’approvisionnement en déchets n’avait été spécifiée dans l’arrêté d’installation de 1993. Le but était initialement de dépanner un département limitrophe, et inversement.

Mais certainement pas les Alpes-Maritimes…

En réaction, les services préfectoraux du Pas-de-Calais affirment travailler à la rédaction d’un arrêté complémentaire pour inscrire une zone de chalandise d’environ 100 kilomètres autour du centre de valorisation.

Il devrait être pris « prochainement », assure la préfecture sans plus de précision.

À la communauté d’agglo de Béthune-Bruay, on affirme comprendre l’émoi autour de ces transports venus de la Côte d’Azur.

On souligne que la gestion quotidienne du site relève de la seule responsabilité de l’exploitant.

C’est la Direction régionale de l’environnement qui aurait, selon le communiqué de l’agglo transmis à nos confrères, « constaté la semaine dernière l’apport de 400 tonnes de déchets (1) en provenance des environs de Nice, situation qui ne s’était jamais présentée, à notre connaissance ».

Tout en admettant que ce transport ne contrevient pas aux dispositions de la délégation de service public - cette hypothèse semblait lors de sa rédaction improbable au vu des coûts de transport -, l’agglo explique qu’elle va y mettre un terme.

« L’impact carbone de la valorisation, dans le Nord de la France, de déchets produits dans le Sud, peut interroger, voire choquer, comme celui, pour prendre un exemple comparable, des emballages ménagers envoyés dans les pays asiatiques pour y être recyclés. Les services de la Communauté d’agglomération ont donc demandé à l’exploitant de cesser cette pratique. » Veolia évoque de son côté une situation « exceptionnelle ».

Le conseiller départemental écologiste, Jean-Raymond Vinciguerra, a été co-président jusqu’en 2010 de la commission d’élaboration du plan d’élimination des déchets ménagers et assimilés avant d’en claquer la porte en démissionnant. Il n’est pas surpris que des déchets partent aussi loin. « À partir du moment où on a, dans ce département, un quasi-monopole du traitement et des infrastructures totalement obsolètes, avec une capacité insuffisante, tout devient possible. Y compris l’aberration de balader des déchets à 1 200 km de l’endroit où ils ont été collectés…» Jean-Raymond Vinciguerra rappelle que la crise des déchets n’est pas nouvelle et en appelle à une prise de conscience politique. « On est dans une situation de laisser-aller général. Ce système-là est mauvais depuis dix ans. Il faut se mettre autour d’une table, sans s’agresser, et trouver une solution. » Il réclame la fin du tout incinération pour passer à d’autres modes de traitement. Et milite pour la création d’Installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND).

Laurent Lanquar-Castiel, porte-parole azuréen d’Europe-Ecologie - Les-Verts dénonce également ces transports vers le nord de la France. Il estime que le surtourisme aggrave la situation. « Quand on est à 14 millions de touristes et qu’on veut passer à 18 millions, il faut être en mesure d’absorber ce surplus. Ce n’est pas le cas. On manque clairement d’infrastructures. C’est toute l’économie circulaire qu’il faut mettre en place, des réseaux de ressourceries pour la réutilisation, le recyclage et la revalorisation. Il faut qu’on mette en place des consignes sur les bouteilles et arriver vers des logiques de zéro déchets. Les citoyens sont demandeurs de ça. On voit les espaces vracs qui se développent, il y a un engouement. Il n’y a plus le frein qu’il pouvait y avoir. »

Interrogées, les mairies de Cannes et Grasse nous ont renvoyés vers le Syndicat mixte d’élimination des déchets (Smed), précisant que les collectivités étaient chargées de la collecte, pas de leur traitement. Nous avons questionné la directrice générale des services du Smed. Fabienne Frega-Scaglia reconnaît, assume. « Quand les sites de traitement sont saturés, nos prestataires [Veolia dans le cas présent, qui gère 20 000 tonnes environ sur ce site, ndlr] sont obligés dans le cadre de leur marché, de nous proposer des sites. Celui de Labeuvrière ne nous convenait évidemment pas. Nous avons attendu, attendu et mis trois semaines à nous décider. »

Elle affirme avoir été obligée de stocker des semi-remorques remplis d’ordures ménagères le long de ses quais de transit. « On mettait le centre en péril, avec un risque sanitaire. Que choisir ? La rupture du service public ou une solution pas extraordinaire ? »

Cet exemple d’ordures ménagères envoyées dans le nord est-il le bon pour des citoyens auxquels on demande de trier et de limiter leur empreinte carbone ? « C’est la preuve qu’ils doivent trier encore plus, au contraire. Plus ils le feront, moins nous serons confrontés à des urgences. » La directrice générale des services affirme que 500 tonnes seulement étaient prévues. Pourtant, selon nos informations 1 000 tonnes devaient rejoindre le Pas-de-Calais. Elle admet : « Oui, jusqu’à fin novembre, c’était un maximum. On ne s’était pas engagé sur un tonnage minimum. Il était prévu avec Veolia que, dès lors qu’une autre solution se présentait, on arrêtait Béthune. » Notre enquête a-t-elle interrompu prématurément les transports ? Fabienne Frega-Scaglia dément. « La décision était déjà prise, j’en avais informé mes collaborateurs mercredi. » Le jour où le mail de Nice-Matin est arrivé en préfecture. Le hasard fait souvent bien les choses.

Laurent Lanquar-Castel, porte-parole EELV et Jean-Raymond Vinciguerra, conseiller départemental écologiste.
Laurent Lanquar-Castel, porte-parole EELV et Jean-Raymond Vinciguerra, conseiller départemental écologiste. DR et N-M.
Le Smed.
Le Smed.

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