Crédit Lyonnais: le feuilleton interminable
Comment le compteur de la "dette Tapie" a-t-il pu atteindre des centaines de millions d’euros? Un compteur qu’on a laissé tourner des années durant alors "qu’un commerçant lambda aurait été mis en faillite bien plus rapidement", s’étonne aujourd’hui encore un fin connaisseur du dossier.
Des prêts bancaires vertigineux
L’histoire de cette dette faramineuse commence au début des années 90 quand le Groupe Bernard Tapie (GBT) fait l’acquisition de l’équipementier allemand Adidas. L’opération est financée à 100% par un pool bancaire piloté par la Société de banque occidentale (SDBO), une filiale du Crédit Lyonnais. Montant total des sommes prêtées: 1,6 milliard de francs, soit 373 millions d’euros (1).
Alors que Bernard Tapie se lance en politique – il a été ministre éphémère de François Mitterand et surtout député –, il charge la SDBO de revendre Adidas. Il s’agit pour Bernard Tapie d’apurer ses dettes bancaires (achat d’Adidas, restauration du yacht de luxe Phocéa, etc.). Le prix minimum de la cession de l’équipementier est fixé par Tapie à 768,5 millions d’euros (1).
Adidas est vendu le 12 février 1993 au prix convenu à huit acquéreurs. En parallèle, le Crédit Lyonnais, qui encore une entreprise publique, est confronté à une crise (placements hasardeux, retournement de conjoncture, etc.) qui conduira la banque au bord de la faillite.
Une banque déloyale
De son côté, Bernard Tapie ne parvient pas à assumer ses engagements bancaires, qui devaient notamment être réalisés par la cession des quatre entreprises encore dans son escarcelle (La Vie Claire, Testut, Terraillon et la Scaime). Les sociétés du groupe sont placées en redressement judiciaire. Le couple Tapie est personnellement mis en liquidation judiciaire dès le 14 décembre 1994.
Le 22 décembre 1994, Adidas est de nouveau revendu, cette fois pour 768,5 millions d’euros (1). Il apparaîtra que le principe de cette revente avait été acté dès la cession du 12 février 1993. Bernard Tapie criera au complot. C’est le début du litige entre Tapie et le Crédit Lyonnais dont la filiale SDBO, unique bénéficiaire de la plus-value, est accusée de déloyauté.
Le contentieux s’étale sur des années. Le 7 novembre 1996, la SDBO a été condamnée une première fois à verser une provision de 126,8 millions d’euros (1) aux entités du groupe Tapie – désormais entre les mains de liquidateurs.
En appel, près de dix années plus tard, la cour d’appel confirme la version de la banque déloyale. Le CDR (l’organisme public qui a repris les actifs pourris du Crédit Lyonnais pour faciliter sa privatisation) et le Lyonnais sont condamnés à débourser 135 millions d’euros.
En 2006, cet arrêt a été annulé par la cour de Cassation à cause d’une erreur d’interprétation. Un an plus tard, les parties signent un accord pour qu’un arbitrage soit rendu.
Des intérêts énormes
Le 7 juillet 2008, un tribunal arbitral impute deux fautes à la SDBO, dont un défaut de loyauté, et condamne le CDR à régler la somme de 240 millions, outre intérêts, mais aussi les frais de liquidation judiciaire (8,4 millions d’euros) et à abandonner une créance de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le préjudice moral des époux Tapie est fixé à 45 millions d’euros. Pour le CDR, la facture totale est d’environ 400 millions d’euros.
C’est désormais le montant de la "dette Tapie", après que l’arbitrage a été annulé (2017) par la justice et jugé frauduleux (2021) à cause de manœuvres obscures (un arbitre était en situation de conflit d’intérêts). Une somme à laquelle s’ajoutent les intérêts revendiqués par le CDR, soit un total de 600 millions d’euros à retrouver, selon une estimation en juillet 2022.
1. Toutes les sommes en francs ont été converties en euros actuels..
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