Chantier du nouvel hôpital, transition numérique, conflits sociaux: ce qu'il faut retenir de l'interview de la directrice du CHPG
Un an après son arrivée à la tête du Centre hospitalier Princesse-Grace, l’heure des premiers bilans a sonné pour Benoîte de Sevelinges.
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Arnault CohenPublié le 16/09/2019 à 08:40, mis à jour le 16/09/2019 à 08:40
Pour Benoîte de Sevelinges, le e-CHPG est le projet phare de l’année 2019.Photo Cyril Dodergny
Benoîte de Sevelinges a pris les rênes du Centre hospitalier Princesse-Grace le 1er juillet 2018. Cette Monégasque de 37 ans, qui était l’adjointe de son prédécesseur Patrick Bini, s’est d’emblée inscrite dans la continuité sur les gros dossiers qui animent le temple de la santé en Principauté.
Tout en apportant sa touche, ici et là, son style, son dynamisme, sa fraîcheur. Sa détermination, aussi, qui pointe derrière son grand sourire. Un an après sa prise de fonction, nous l’avons interrogée sur son bilan, l’actualité chargée de l’année, notamment sociale, les projets et chantiers en cours.
Le plus titanesque d’entre eux est évidemment celui de la construction du nouvel hôpital. Dans ce long entretien, la directrice du CHPG dévoile d’ailleurs le nouveau calendrier des travaux du futur hôpital.
Rencontre avec une femme passionnée par son métier, intarissable sur l’hôpital auquel elle voue sa vie et dont elle maîtrise tous les dossiers.
Le projet e-CHPG sur orbite
À terme, tous les médecins et infirmiers seront dotés d’une tablette ou d’un smartphone pour saisir les données médicales directement au lit des patients.Photo CHPG.
"Le lancement du projet e-CHPG est clairement ce que je retiens de cette première année. Nous avons totalement changé notre système d’information, sur le plan médical, administratif, économique, jusqu’à la messagerie. Nous avons lancé le dossier administratif et médical du patient, respectivement en février et en juin. C’est extrêmement structurant pour l’établissement parce que ça va changer profondément nos manières de travailler, nos organisations. Nous allons gagner beaucoup de temps sur des tâches à faible valeur ajoutée."
"Par exemple, nos secrétaires médicales passent beaucoup de temps au téléphone entre elles pour transmettre les informations sur le patient, programmer une intervention – avec le chirurgien, l’anesthésiste, la salle de bloc, le lit de réanimation, le lit dans la chambre… Avec le dossier patient que l’on est en train d’implémenter, elles feront ça en quelques clics. Elles pourront donc se recentrer sur leur cœur de métier, passer plus de temps sur l’aspect qualitatif de leur fonction, en particulier dans la relation au patient.
"L’infirmière, aujourd’hui, dispose d’un dossier patient sur papier, où elle retranscrit énormément d’informations. L’idée est de supprimer ce temps de retranscription, entre la fiche bristol et le dossier. L’objectif est de permettre aux infirmières et aux médecins de disposer d’outils mobiles, de type tablette ou smartphone, sur lesquels ils pourront saisir les constantes ou réaliser l’interrogatoire médical sur les antécédents, directement au lit du patient. Ils pourront aussi montrer des images ou des plans de rééducation aux patients. L’autre avantage est que l’accès au dossier médical, aujourd’hui constitué d’une grosse pochette, sera possible à tout moment, de n’importe où. Un avis médical pourra ainsi être sollicité très rapidement."
"Pour le patient, le dossier pourra être facilement partagé, de manière sécurisée évidemment, avec le médecin traitant, le kiné ou tout autre spécialiste. Surtout, toutes les informations médicales du patient seront au même endroit. C’est une avancée majeure. Nous sommes dans le même timing que les grands hôpitaux français sur ce point. Mais sur la mobilité, le déploiement des tablettes et des smartphones, nous serons parmi les premiers en Europe."
Une année sociale agitée
En mai dernier, les médecins en grève portaient ce badge sur la blouse.Photo archives J.D..
"On a effectivement eu une grève, le 6 juin, mais qui était accolée à celle de l’USM [Union des syndicats de Monaco, ndlr], et ne concernait donc pas spécialement l’hôpital. Elle a mobilisé moins de 5% des agents. Sur un effectif global de 2 497 agents, 82 étaient en grève, soit 3,48%. Ce sont les chiffres officiels."
Grève administrative des médecins: "Nous n’avons pas de données chiffrées dans la mesure où aucun médecin ne s’est individuellement déclaré en grève. Il n’y a donc pas eu de recueil officiel, en accord avec le Syndicat des praticiens hospitaliers. Cette grève s’est déroulée en bonne entente collective. Chacun a pu exprimer sa position en participant ou non aux réunions institutionnelles, mais en veillant à préserver le bon fonctionnement de l’établissement."
Malaise social: "Il y a eu une revalorisation des grilles de rémunération et du régime de retraite, une prime de Noël de 650€ cette année (contre 300€) et une autre pour le non-absentéisme de 300€. Les agents les plus présents ont ainsi touché 950€ en fin d’année dernière. Les ratios de personnel (par patient) sont nettement supérieurs à ceux du pays voisin. On maintient le niveau d’investissement pour améliorer les conditions de travail de nos agents… Je note au contraire une bonne ambiance générale dans l’établissement. On a des agents heureux de travailler au CHPG et le taux de satisfaction des patients ne serait pas à ce niveau-là si nos agents étaient malheureux."
Nomination des chefs de service: "Le CHPG, c’est l’hôpital public du pays. Il porte la politique de santé publique de Monaco. Certains souhaiteraient que l’on récompense systématiquement l’ancienneté et la fidélité à l’établissement. Or, cette récompense est donnée par d’autres biais : des promotions de grade, des rémunérations intéressantes par rapport à celles du pays voisin, parfois des rôles honorifiques mais, en tout cas, pas par une chefferie de service. Ceci dépend de la politique de santé publique et des qualifications que l’on souhaite voir figurer sur le CV des futurs chefs de service. Alors forcément, quand on désigne un chef de service parmi plusieurs concurrents, ceux qui ne sont pas choisis ne sont pas très heureux. Pour autant, les changements de chefs de service effectués cette année l’ont été en toute transparence. Les candidats internes et externes ont tous été reçus à plusieurs reprises, par moi, par le gouvernement, par le président du conseil d’administration de l’hôpital. De façon générale, j’ai l’impression que l’ambiance est bonne dans le corps médical de l’établissement. Il y a des tensions, c’est inévitable dans un établissement de 2 800 personnes, des incompréhensions, mais l’équilibre est préservé et l’intelligence collective permet de toujours bien dialoguer."
Le nouveau CHPG en service dès 2026
La livraison de la phase 1 a été reportée à 2026. Image ASYLUM - AIA - NMI.
"L’organisation du projet a été revue par la direction des Travaux publics. Le chantier, on le voit et on l’entend, est bien reparti. Le planning a été recalé en fin d’été. La livraison de la phase 1 est désormais prévue en 2026. Cela comprend le parc de stationnement, le belvédère et toute la partie sud du bâtiment, qui hébergera la plus grosse partie des services d’hospitalisation, les urgences, les blocs opératoires, l’imagerie médicale, l’hémodialyse, les gros plateaux techniques. Il ne restera ici [dans l’actuel CHPG, ndlr] que la polyclinique, la tour maternité et le pavillon Louis-II. Ce planning ne devrait plus déraper, sauf aléas géotechniques."
La transition: "Tous les services qui, en 2026, resteront dans les anciens bâtiments, auront été complètement rénovés. Ils seront dans des locaux neufs jusqu’à la fin de l’opération, en 2032. Ça commencera en novembre avec un étage de la polyclinique. La pédiatrie, pour sa part, date de 2011, et toutes les chambres de la maternité viennent d’être rénovées. L’an prochain, on va créer une deuxième salle de césarienne et rénover toutes les salles de naissance. On aura ainsi une maternité neuve."
Le déménagement: "Nous avons une chance : l’achat de mobilier et d’équipements neufs est prévu dans le budget. Ce sera autant de matériel que nous n’aurons pas à déménager. Tout sera déjà installé, sauf une partie des équipements médicaux. Le déménagement s’effectuera par blocs. Par exemple, le transfert des urgences, le bloc opératoire et l’anesthésie-réanimation en même temps. Certains secteurs devront être dédoublés, comme la réanimation, parce que des patients ne seront pas transportables à ce moment-là. Le déménagement se déroulera sur plusieurs mois. Pour les patients, en plus d’une liaison extérieure, deux galeries relieront l’ancien et le nouvel hôpital. Une pour la logistique et une pour les patients alités. C’est par là également que passeront les patients hospitalisés dans l’ancien ou le nouvel hôpital, et qui doivent subir un examen dans l’autre."
Un "circuit court" aux urgences
L’idée du circuit court consiste à sortir les patients les plus légers du circuit des urgences et les orienter vers un médecin de l’hôpital.
"Nous avons mené cette année un audit aux urgences. Il en ressort que ce service fonctionne bien, les taux de satisfaction sont importants. Pour autant, on est perfectibles sur plusieurs points. D’abord, sur la manière de communiquer auprès des patients. Nous allons ainsi lancer un premier volet d’actions pour expliquer la manière dont se déroule la prise en charge. Il est incompréhensible pour un patient d’arriver en salle d’attente, d’être vu par un infirmier, puis d’être ramené dans la salle d’attente, de patienter dans les boxes sans savoir pourquoi… Tout ceci est de nature à générer de l’insatisfaction et du stress. On va donc expliquer davantage comment se déroule leur prise en charge."
Les projets: "On voudrait recréer une salle d’attente pour éviter que des patients attendent dans le couloir. C’est insupportable en termes de respect de l’intimité et des droits des patients. On a également le projet de créer un circuit court. Aux urgences, on est réellement “embolisé” par des gens qui n’ont rien à y faire. Ils n’ont pas réellement besoin d’une prise en charge hospitalière mais, s’ils sont là, c’est qu’ils n’ont pas trouvé d’autres moyens d’avoir des soins. Je suis contre l’idée selon laquelle les urgences n’ont pas à s’occuper de bobologie et de renvoyer ces patients. S’ils sont là, ce n’est pas par plaisir. Ce circuit court servira à sortir ces patients du circuit classique d’examens exploratoires, afin qu’ils soient vus plus rapidement par un médecin, pris en charge dans un circuit à part, et puissent quitter l’hôpital plus vite. On travaille également à la réorganisation complète de nos services de soins. Une grande partie des patients sortent d’hospitalisation l’après-midi. Il faut ensuite faire le ménage, avant que le patient arrivé aux urgences le matin puisse y être installé. L’idée est donc de permettre aux patients de sortir le matin."
Les doléances des patients: "Oui, en traumatologie. Il peut sembler incompréhensible pour un patient de sortir de l’hôpital avec une fracture qui n’a pas été décelée. On a mis en place une organisation qui permet au chirurgien de garde, en orthopédie, d’être sollicité systématiquement pour un avis. On a également mis en place une télé-astreinte des radiologues qui peuvent alors regarder les images à distance, sur une tablette. L’idée est de pousser les urgentistes à demander plus systématiquement l’avis du radiologue et du chirurgien orthopédique quand ils ont un doute. Il faut aussi savoir qu’une fracture ne se voit pas forcément tout de suite. Nous devons mieux communiquer, dire aux patients de revenir le lendemain en cas de douleur persistante. C’est comme dans Docteur House : il faut parfois tout un épisode pour comprendre ce dont souffre le patient."
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