Rosa Parks. Nul n’ignore ce nom qui a marqué l’histoire des États-Unis et, plus largement, celle des mouvements pour les droits civiques. En décembre 1955, elle est verbalisée par la police pour avoir refusé de céder sa place à un passager blanc dans un bus.
S’ensuit un boycott massif de la compagnie de bus. Un an plus tard, la Cour suprême des États-Unis déclare anticonstitutionnelle les lois ségrégationnistes dans les bus. Elle devient un visage emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale.
Ce que l’immense majorité des gens ignore, c’est que, quelques mois plus tôt, Claudette Colvin, 15 ans, avait eu la même attitude. Sans, toutefois, entrer dans l’Histoire.
En 2015, pour la collection Nos Héroïnes, l’écrivaine Tania de Montaigne a choisi de réhabiliter ce personnage. Demain à 20h30, c’est sur les planches du théâtre Princesse-Grace que l’on retrouvera la romancière pour une adaptation du bouquin sur scène. Interview.
Sur les scènes de théâtre, vous avez choisi le parti pris de la narration. Pourquoi?
C’est avant tout celui du livre. Il appartient à une collection, Nos Héroïnes, dont le concept est de demander à une auteure de parler d’une autre femme que l’histoire n’a pas retenue. L’écrivaine doit se retrouver, d’une manière ou d’une autre, dans le livre. C’est ainsi que j’accompagne le lecteur vers un cheminement: en quoi ce que l’héroïne réalise est héroïque. C’est cette voix de l’auteure qui accompagne que Stéphane Foenkinos voulait mettre sur scène. J’ai longtemps refusé car j’estimais qu’il était plus pertinent de faire appel à une comédienne.
Vous voilà pourtant sur scène, pour la première fois…
L’écriture, c’est la dynamique inverse du théâtre. On réfléchit un texte et, une fois terminé, il fait sa vie. On ne sait pas ce que le lecteur fait de votre livre et ce moment intime échappe totalement à l’auteur. Sur scène, en revanche, on a un retour en temps réel de ce que le texte suscite chez la personne en face de vous. C’est presque une fabrication commune.
Pour rendre ses lettres de noblesse à Claudette Colvin, vous avez mené un vrai travail d’enquête…
Elle et son avocat de l’époque, toujours en vie, n’ont pas souhaité être interviewés. J’ai donc mené une enquête chez les autres protagonistes du mouvement de la lutte pour les droits civiques. Dans l’autobiographie de Rosa Parks, j’ai découvert Jo Ann Gibson Robinson, la pièce maîtresse du boycott des transports. Puis, dans l’autobiographie de cette dernière, j’en ai découvert davantage sur Claudette Colvin. Puis, j’ai lu la conséquente bibliographie historique américaine sur la question du mouvement des droits civiques. Cela m’a permis de comprendre comment Claudette Colvin avait été présentée puis effacée de l’Histoire.
Pourquoi selon vous?
À cause de son âge de 15 ans, d’abord. L’adolescence n’est, à l’époque, pas une classe sociale existante. Elle est aussi très pauvre. Et puis, le timing. Une année auparavant, il y a une jurisprudence de la Cour suprême qui déclare que la ségrégation à l’école est illégale. Cela crée une crispation dont les forces politiques s’emparent, dont les ségrégationnistes et le Ku Klux Klan. Ils font peur aux Blancs en disant que si la ségrégation n’existe plus, les Noirs vont prendre leurs places, violer leurs femmes. À partir de là, le mouvement des droits civiques défend l’idée qu’il faut un visage irréprochable à tout niveau, sur lequel on ne peut pas projeter le pire.
Rosa Parks, donc?
Elle a plusieurs choses pour elle. Elle est mariée, a 40 ans. Difficile, donc, de lui projeter une terrible vie future. Elle est couturière et fabrique ses propres vêtements. Elle donne ainsi l’illusion qu’elle appartient à la classe moyenne et qu’elle n’est pas pauvre. En réalité, si. Elle est claire de peau et a les cheveux raides. Elle est donc dans un entre-deux: pour les Blancs, c’est acceptable, pour les Noirs, c’est enviable.
Grâce à eux, les murs sont tombés
Quel message souhaitez-vous faire passer à travers votre travail?
Si, à la fin de la pièce, les gens savent qui est Claudette Colvin, alors ils sont dépositaires de ce récit. Ce sera à eux de continuer à faire vivre le nom de cette héroïne.
Justement, quelle est votre définition de l’héroïsme?
Ce n’est pas la personne qui parle le plus fort ou qui est le plus spectaculaire. Durant mon enquête, j’ai découvert plein de personnages inconnus qui ont, chacun, mis leur pierre à l’édifice. Grâce à eux, les murs sont tombés. Sans eux, on ne peut pas aller plus loin. Ils ont agi parce que cela leur semblait juste. Sans Robinson, il n’y a pas de boycott des bus. Sans boycott, il n’y a pas Martin Luther King.
Le choix du titre, Noire, n’est pas anodin?
En refusant de céder sa place dans un bus, elle oblige les États-Unis à s’interroger, non pas sur cette histoire de couleur de peau, à laquelle tout le monde s’arrête toujours, mais à traverser cette couleur et à se poser une question de citoyenneté: est-ce qu’une citoyenne américaine peut être arrêtée dans un bus pour un trajet qu’elle a payé? Cela oblige toute personne, quelle que soit sa couleur de peau, à se prononcer sur ce sujet. Cela m’intéressait de mettre cette couleur au centre. Souvent pour dire "Noire", les gens font des périphrases très étranges qui aboutissent à l’inverse de leur pensée. L’idée était de pouvoir dire ce mot pour pouvoir le traverser.
"Noire", mise en scène de Stéphane Foenkinos, de et avec Tania de Montaigne. Ce jeudi 13 janvier 2022 à 20 h 30 au théâtre Princesse-Grace. Tarifs: 25 à 35 euros. Rens: +377.93.25.32.27.
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