La salle "grands procès" de Paris va refermer ses portes pour la dernière fois, ce jeudi, après quatre mois dédiés à l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Le procès pénal a rendu son verdict le 13 décembre dernier. Restait l’audience civile. Organisée depuis mardi, elle livrera sa vérité dans plusieurs mois.
La cour d’assises spéciale présidée par Laurent Raviot, les trois avocats généraux, les avocats de près de 2600 parties civiles et une poignée de défenseurs: voici les acteurs de ce dernier acte. Seul Mohamed Ghraieb est présent dans le box. Il devrait être jugé en appel d’ici fin 2023, avec Chokri Chafroud, l’autre accusé condamné à 18 ans de réclusion criminelle.
Mais cette semaine, l’enjeu est ailleurs. Quelles parties civiles sont recevables, et lesquelles ne le sont pas? Autrement dit, lesquelles peuvent être indemnisées, remboursées de leurs frais, et reconnues par la justice? Question infiniment délicate, voire douloureuse pour les victimes de l’attaque au camion-bélier.
"Scène de guerre"
Sensibles à leurs récits et aux avis d’experts, les avocats généraux, Jean-Michel Bourlès en tête, ont élargi la zone d’exposition au danger au-delà de la seule trajectoire du camion. Mais ils excluent les personnes présentes sur les plages, ou les secouristes intervenus une fois le terroriste neutralisé.
C’est le cas de Richard, sapeur-pompier professionnel. Ce soir-là, il devait prendre son service à minuit. Il a accouru depuis la rue de France pour porter secours. Il a découvert "une effroyable scène de guerre, que personne n’est préparé à vivre", insiste Me Houdé Khadraoui-Zgaren. L’avocate évoque ces "survivants invisibles, qui souffrent au même titre que les autres victimes". La vice-procureure Alexa Dubourg l’entend. Mais elle conteste sa recevabilité: "Il est arrivé après l’action criminelle sur la promenade des Anglais".
Olivier, lui, était dans le Vieux-Nice. Il a entendu la foule crier "Fuyez! Des terroristes arrivent!" Pris de panique, il s’est réfugié dans un restaurant, a sauté par la fenêtre et s’est blessé. Il en conserve des séquelles. "Il pouvait légitimement croire à une action criminelle. Les préjudices qu’il a subis sont en relation directe avec l’attentat", estime Me Sophie Hebert-Marchal. La vice-procureure Rachel Lecuyer ne partage pas cet avis: "Sans nier le préjudice physique qui existe, il était hors périmètre".
Question de ressenti
Au total, le parquet national antiterroriste conteste la recevabilité de 224 victimes, et réclame des justificatifs pour plus de 350 demandes. Exercice délicat, là encore.
Me Hanan Hmad doit produire des échanges WhatsApp ou Facebook pour attester des liens affectifs entre Myriam Bellazouz, l’une des 86 victimes décédées, et trois de ses proches. Me Virginie Le Roy, pour une famille présente sur la plage, compile les attestations de psychiatres. Objectif: prouver que "les préjudices majeurs subis par de très jeunes enfants ont leur source unique dans cet attentat".
Les enfants, c’est pour eux que plaide Me Marie-Pierre Lazard, conseil de l’association Une voie des enfants. "Que des personnes aient pu craindre de mourir, cela dépend de leur ressenti, ce ne peut pas être décidé de l’extérieur", martèle l’avocate, à l’instar de Me Chalus la veille.
La Cour a désormais toute latitude de se montrer plus conciliante, ou à l’inverse plus intransigeante que le parquet. Pour fixer des limites juridiques à cet océan de douleur. Me Lazard prévient: laisser planer sur des victimes la perspective d’un refus, "c’est ajouter pour elles de la souffrance et de l’incompréhension".
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