Il a 40 ans. Il en avait 21 à l’époque. Le temps est passé mais l’incompréhension demeure. Olivier Tardy est un homme meurtri. Marqué par la vie. Né à Nice en 1982, cet ancien militaire a été victime d’un grave accident de service dans la touffeur de l’été 2003.
En intervention lors des incendies en Haute-Corse, le jeune homme sent un rocher céder sous ses pieds. La chute l’entraîne dans les braises, il se retrouve gravement brûlé. Hôpitaux, interventions, rééducation.
Depuis près de vingt ans, cet habitant de Saint-Laurent-du-Var se débat avec de lourdes séquelles. Un combat qui l’oppose aussi à l’État, qui lui somme de rembourser près de 50.000 euros pour un dédommagement financier jugé trop important.
Le 18 février, la cour d’appel de Marseille a confirmé le jugement: la dette est toujours d’actualité.
Comment accueillez-vous cette dernière décision?
Je suis plus qu’étonné. C’est effrayant. Je ne sais pas ce que je vais faire. Je ne peux pas être défoncé physiquement puis financièrement. C’est illogique, aberrant.
Comment est né ce litige vous opposant à l’État?
Après mon accident, on m’a payé ma retraite par rapport aux années effectuées. Ensuite, l’armée devait me faire une provision: on m’a proposé entre 80.000 et 85.000 euros en 2013 [précisément 87.181 euros, versé par le Ministère de la Défense "au titre d’une décision de la Commission des recours militaires"., ndlr]. Ils reconnaissaient avoir eu des torts avant le jugement. Selon mon avocate, il manquait énormément par rapport au barème. On passe ensuite en jugement à Aix-en-Provence, en 2016, et le juge dit que l’armée me doit encore environ 45.000 euros. Mais il y a une histoire d’interprétation sur la décision. Finalement, l’armée a trouvé un vice et la somme se limiterait à ces 45.000 euros. Une semaine plus tard, j’ai reçu un courrier pour me dire que je leur devais la différence [selon le tribunal administratif de Toulon, l’État ne devait pas 87.181 euros mais 38.000 euros. Olivier Tardy devrait donc rembourser la différence, soit 49.181 euros. Le tribunal parlait à cette époque "d’absence de faute de l’État" pour justifier sa décision., ndlr]. Tous les six mois, j’ai droit à une lettre des impôts. J’ai même eu une saisie sur salaire de 50 euros.
Tout est parti de votre accident en 2003…
J’avais 21 ans et je faisais partie de l’armée de terre. On était en mission en Corse pour aider les pompiers. J’ai voulu aller chercher un pack d’eau sur la falaise et ça a cédé. J’ai fait une chute de dix mètres. Mon casque est tombé, j’avais le crâne ouvert [il indique un trou encore visible]. Il y avait des flammes partout. La dernière chose dont je me souviens, c’est d’une discussion avec un garde forestier. C’est surtout la faute à pas de chance.
Vous avez attendu un long moment qu’on vienne vous chercher...
Ça a duré 45 minutes. J’ai été opéré de la tête à Bastia. Ensuite, je me suis réveillé à l’hôpital militaire de Toulon une semaine plus tard. J’étais shooté à la morphine pour les douleurs. Après, je suis parti à Hyères plus d’un an, j’ai aussi passé un mois aux Invalides à Paris. En tout, j’ai dû faire deux ans de rééducation. C’était neurologique, l’évolution pouvait se constater sur cinq ans. Aujourd’hui, il n’y a plus d’évolution.
Quelles séquelles gardez-vous?
J’ai un handicap au niveau droit, une hémiplégie [paralysie affectant un côté du corps., ndlr] avec des grosses blessures sur le corps. J’ai un problème à la jambe, je ne marche pas bien. Je ne peux pas courir, pas jouer au foot avec mes enfants… J’ai aussi des spasmes au bras droit et des douleurs au dos. On m’a mis des plaques dans le cou : quand je suis tombé, les cervicales ont lâché.
Vous avez reçu la visite de la ministre de la Défense de l’époque, Michèle Alliot-Marie. Que vous a-t-elle dit?
C’était à l’hôpital de Toulon, peu de temps après le réveil. Selon elle, j’étais le plus grand blessé depuis la guerre d’Algérie. Ça, je m’en souviens bien. Quand la ministre vient vous voir, ça marque! Elle m’a fait le bla-bla habituel: "On ne vous lâchera pas, on vous reclassera". Ça devait être dans l’armée ou dans le civil. J’ai aussi été invité à une Garden party à l’Élysée par Jacques Chirac. J’y avais rencontré Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin, j’avais eu Nicolas Sarkozy au téléphone… Ils m’ont tous dit: "On fera tout ce qu’il faut".
Des paroles non tenues?
Tous les six mois, je devais aller faire un examen médical, le neurochirurgien me prolongeait mon congé maladie. Et puis, un beau jour il ne m’a pas prolongé. J’ai appelé un général, un type d’enfer. J’ai eu une lettre de recommandation de sa part pour travailler dans une mairie. En 2008 ou 2009, j’ai envoyé mon CV à la mairie de Nice mais j’ai reçu une lettre de Monsieur Estrosi pour me dire que je ne correspondais pas. J’ai finalement trouvé du travail chez Leclerc, en 2009.
Vous avez pu contacter certaines instances?
J’ai envoyé une lettre à Madame Macron, elle m’a dit que tant que le jugement n’était pas fini, elle ne pouvait rien faire. Mais même si demain ils annulent la dette, ça voudra dire que mon état et ma vie valent 40.000 euros?
Est-ce que vous ressentez une forme de lassitude?
Vous imaginez? J’ai un accident, je ne suis pas un mauvais élément, on me dit on va te reclasser en mairie pour qu’à la fin on me mette un coup de pied au c… et que j’aille bosser chez Leclerc. Et en plus, je leur dois de l’argent. Même dans une série Netflix on ne trouve pas ça! C’est plus que de l’abandon.
Dans quel état d’esprit êtes-vous?
Je ne veux pas lâcher. C’est dégueulasse ce qu’ils font. Je ne comprends pas pourquoi ils s’acharnent. Je suis handicapé à vie. Quand je vais à la plage, ce sont mes gamins qui m’aident à rentrer dans l’eau ou à en sortir. Et ça, pour eux, ça vaut 40.000 euros !
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